Michel Maffesoli s’est plu à décrire le régime actuel centré sur la mise en scène présidentielle comme une « théâtrocratie ». La politique française appartient en effet au domaine du spectacle, c’est-à-dire de l’illusion. Mais si la dimension spectaculaire du pouvoir n’est pas une nouveauté, il y a dans l’épisode « macronien » une particularité. Jusqu’à présent, cette dimension était extérieure à la politique. Elle ne faisait que l’enrober alors qu’elle en constitue aujourd’hui le cœur et la totalité.
Un homme était Président. Un parti détenait les clés du gouvernement, avec des idées affichées et, ensuite, la communication demandait une scénographie destinée à donner une image du chef de l’État et à permettre la réalisation de ses objectifs. Avec de Gaulle, on était dans la tragédie classique, plutôt chez Corneille que chez Racine, avec des dilemmes que le Général tranchait avec l’appui du peuple jusqu’au moment où les Français furent fatigués des tensions héroïques. Par la suite, chacun de ses successeurs eut son style, avec Pompidou au coin du feu, Giscard, carrément à domicile chez Madame et Monsieur, mais involontairement plus distant que jamais. Mitterrand, avec le soutien des médias, développa l’art de masquer les échecs de sa politique par la satire de ses concurrents. Chirac révéla ce que devenait la politique française : l’art d’occuper le pouvoir sans but autre que de le conserver, le pouvoir pour le pouvoir, comme on dit l’art pour l’art. Sarkozy préfigura la situation actuelle : le spectacle d’un homme seul improvisant en fonction des événements et s’entourant de rôles secondaires distribués pour l’intérêt du générique. Hollande n’aura été qu’une doublure appelée en catastrophe pour remplacer l’acteur pressenti victime de sa vraie vie dans un hôtel new-yorkais. Il joua si mal qu’il dut quitter la scène sous les huées.
Avec Macron, l’évolution atteint son paroxysme. Derrière l’acteur et son spectacle, il n’y a même plus les idées qui avaient permis à ses prédécesseurs de conduire leur carrière jusqu’au sommet. D’un bond, il a sauté des coulisses obscures sur la scène et sous les projecteurs. Le théâtre est maintenant plus petit et, au milieu de quelques figurants, il assume tous les rôles, changeant de costume et de registre plus vite que son ombre. Il fut Jupiter au pied de la pyramide du Louvre, revêtit un uniforme qu’il n’avait jamais porté pour jouer les aviateurs, s’affirma chef des armées et, sans avoir été soldat, traita les généraux de haut, offrit son visage de souffrance aux Français pour montrer que lui aussi avait subi le Covid, puis préféra se produire en grand frère, le maillot frappé d’un mystérieux logo pour convaincre les jeunes de se faire vacciner. De nombreux médias assurent le service après vente des prestations, aidés de faire-valoir jamais las de flagorner. C’est ainsi que 20 Minutes n’hésite pas à citer un « chercheur en science de l’information et de la communication » qui affirme sans rire que lors de sa courte intervention en « T-shirt » à destination des « djeuns », « le chef de l’État ne fait volontairement aucun effort de mise en scène ».
Comme disait le Général, nous avons de sacrés chercheurs, mais on préférerait des « trouveurs ». Il ne faut pas en effet faire de longues recherches pour percevoir que selon son habitude, M. Macron a adopté le style vestimentaire et langagier qui correspond à son public, non pas celui de ses « fans », s’il y en a, mais simplement ceux devant lesquels il se trouve si, toutefois, cette rencontre est possible sans qu’il se prenne une gifle. Pure mise en scène, donc, mais pour la « bonne cause », dira-t-on. Avec le Covid, et après une série de déconvenues qui l’ont amené à sélectionner ses auditoires et à éviter la confrontation avec de « vraies gens », il a enfin trouvé le thème de sa pièce : non plus les réformes salvatrices, non plus la lutte contre le réchauffement climatique, mais la guerre au virus à coups de vaccins. Le but n’est évidemment pas de triompher de la maladie, ce qui arrivera de toute manière malgré le chœur des pleureuses alarmistes, mais d’être réélu, comme le sauveur, […] après avoir effacé les autres échéances politiques que la présidentielle, et les autres sujets de préoccupation.