En 2017, un rapport de la commission des Finances du Sénat pointait la gestion désastreuse du patrimoine immobilier de l’État : « Mauvaise valorisation des biens, inventaire lacunaire, maîtrise d’ouvrage incompétente »… bref, ni fait ni à faire.
Pourtant, depuis 2006, l’État vend les bijoux de famille. Disons plutôt qu’il les brade en raison d’une incompétence notoire. De notoriété publique, cette agence immobilière (France Domaines) aurait en effet disparu depuis longtemps si elle était tenue par des privés et non pas par des fonctionnaires.
Le patrimoine français est si riche qu’il se vend sans problème, a fortiori s’il est sous-évalué, et tant pis si, au bout du compte, c’est le contribuable qui est spolié. L’État a récolté par ce biais 500 millions d’euros par an en moyenne, plus de 7 milliards entre 2006 et 2017. Suite au rapport du Sénat, les gens de Bercy l’avaient promis-juré : on allait faire appel à des spécialistes. Plus question de laisser partir des merveilles, encore moins de vendre à des maquignons… et pourtant.
Et pourtant, un nouveau scandale éclate au milieu de l’été : la vente du magnifique domaine de Grignon, un site agronomique de 310 hectares occupé, depuis deux siècles, par les étudiants d’AgroParisTech et les chercheurs de l’INRAE (Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement).
C’est le premier promoteur immobilier de France, Altarea, qui a remporté la mise. Dans son projet, des logements, bien sûr, avec « une programmation résidentielle au sein de bâtiments existants, de nouvelles constructions » et « une programmation touristique » avec un pôle gastronomique porté par un chef étoilé. Une restauration de luxe, voire un Disneyland de la bouffe, diront les mauvais esprits dans mon genre.
Ce projet est contesté depuis longtemps par les élus, les étudiants et les chercheurs qui travaillaient là et sont, pour beaucoup, réunis au sein de l’association Patrimoine AgroParisTech-Grignon 2000. Ayant elle-même déposé un projet alternatif (Grignon 2026), présenté avec la communauté de communes Cœur d’Yvelines, l’association dénonce aujourd’hui dans un communiqué : « Au cœur de l’été, l’État brade Grignon et reste sourd à un projet d’intérêt général concernant le changement climatique. L’État nie la compétence des collectivités territoriales à gérer le développement de leur territoire et préfère détruire deux siècles d’Histoire et d’actifs scientifiques d’une valeur inestimable au profit d’un promoteur qui saura faire son métier : acheter du foncier à un prix dérisoire et le vendre par lot au prix fort. »
Le site Réussir.fr avance des chiffres pour ce rachat : « L’association évoque la rumeur d’une offre à 13,9 millions d’euros de la part d’Altarea contre 13 millions proposés dans le cadre du projet Grignon 2026. » Altarea a été consulté mais « n’a pas souhaité » commenter ce chiffre, indiquant ne « jamais communiquer sur les montants de ses opérations ». Aucun commentaire, non plus, du côté des ministères concernés, pourtant saisis par la sénatrice des Yvelines Sophie Primas et le président du Sénat Gérard Larcher pour demander un réexamen de la décision avec les élus locaux.
Sophie Primas dénonce ainsi, sur Twitter, « une décision prise sans aucune concertation avec les élus et qui propose d’artificialiser des terres, alors que nous venons de voter la loi Climat qui vise à en limiter la consommation ! » Ça ne fait jamais qu’une incohérence de plus…
Marie Delarue