[Ci-contre : José Antonio Primo de Rivera (1903-1936). Jeune avocat, il entre en politique pour défendre la mémoire de son père, le dictateur déchu. Tout d’abord favorable à la République, quelque peu influencé par le fascisme italien, mais d’une façon totalement idéaliste, il fonde la Phalange espagnole en octobre 1933]
Prolégomènes de la guerre civile
En décembre 1935, les Cortès sont dissoutes, à l'issue de la septième crise ministérielle de l'année. En vain, José Antonio tente de rompre l’isolement de son mouvement. Des envoyés phalangistes discutent à plusieurs reprises avec le leader syndicaliste-révolutionnaire Angel Pestana. D'autres entrent en contact avec Juan Negrin, un des principaux représentants de la fraction non-marxiste du parti socialiste. Mais ces négociations répétées n'aboutissent à aucun accord. À la veille des élections de février 1936, obsédé par l'éventualité d'une seconde révolution socialo-marxiste — après la tentative manquée d'octobre 1934 — José Antonio suggère la création d'un large front national. Proposition sans lendemain ! L’échec des pourparlers — cette fois avec des dirigeants de droite — laisse la Phalange en dehors du Bloc national, coalition comprenant les conservateurs-républicains, les démocrates-chrétiens, les monarchistes, les traditionalistes carlistes, les agrariens et les divers modérés de droite. Cinq mois plus tard, ce Bloc national constituera l'essentiel des forces civiles qui soutiendront le soulèvement militaire.
Aux élections, la gauche reprend l'avantage. Le Front populaire s'installe au pouvoir sous la direction de Manuel Azana. Pour la Phalange, le scrutin a été un désastre. Paradoxalement, le mouvement enregistre un afflux extraordinaire d'adhésions. Il ne comptait que 15.000 adhérents début 1936, pour la plupart étudiants et employés, il en aura 500.000 à la fin de Tannée. Jusqu'alors les militants de la Phalange se recrutaient à droite comme à gauche. À l'inverse au lendemain de la victoire du Front populaire, les nouveaux venus proviennent presque exclusivement des partis de droite.
Dès son arrivée au pouvoir, le Front populaire ordonne la clôture de tous les centres de la Phalange et l’interdiction de ses publications. Le 14 mars, José Antonio est incarcéré en même temps que la quasi totalité des membres du Comité exécutif et près de 2.000 militants. Il ne recouvrera plus jamais la liberté. Le jour même de sa détention, José Antonio déclare : « aujourd'hui, deux conceptions totales du monde s’affrontent. Celle qui vaincra interrompra définitivement l'alternance. Ou la conception spirituelle, occidentale, chrétienne, espagnole, avec ce qu'elle suppose de sacrifice, mais aussi de dignité individuelle et politique, vaincra, ou vaincra la conception matérialiste, russe, de l’existence… ».
Héritière de structures incompatibles avec la démocratie libérale, se heurtant à l’hostilité et à la frénésie révolutionnaire de la gauche, survenant enfin en pleine crise mondiale du libéralisme, la Seconde République espagnole s’achemine irrémédiablement vers le désastre. Dans la phase finale, le désordre public, véritable plaie du régime, prend des proportions alarmantes. De février à juin 1936, on ne compte pas moins de 269 morts et 1.287 blessés. Atterré, le leader socialiste Prieto commente : « Nous vivons déjà une intense guerre civile ».
À droite, les complots se multiplient. Averti du soulèvement national qui se prépare, le chef de la Phalange donne son accord définitif aux militaires à la fin du mois de juin. Dans l’esprit de José Antonio, le soulèvement — auquel il n’accepte de collaborer qu’à la dernière heure — est l'ultime recours pour stopper l’autodestruction de la société espagnole. À tort, il croit que la majeure partie de l’armée se soulèvera et que le reste suivra peu de temps après. Cette illusion explique son attitude ultérieure. Lorsque le putsch s’avérera inefficace, son angoisse, sa préoccupation essentielle sera d’éviter la guerre civile. Pour cela, de sa prison, il essaiera désespérément de persuader les belligérants de négocier par tous les moyens : comme en ont témoigné les ministres du Front Populaire Prieto et Echevarria.
Le 13 juillet 1936, Calvo Sotelo, chef de l’opposition, est enlevé sur ordre du gouvernement puis assassiné. La découverte de son cadavre met le feu aux poudres. Le 18 juillet, l'armée du Maroc, commandée par le Général Franco, se soulève. La guerre civile commence. Elle ne s’achèvera que le 1er avril 1939.
Dès le début du conflit, la Phalange paie le prix du sang. En l’espace de quelques mois, 60% de ses dirigeants sont tués : tombés dans des embuscades ou assassinés en prison. Condamné à mort par un “tribunal populaire”, José Antonio est fusillé le 20 novembre, malgré l’intervention de plusieurs diplomates étrangers et du Foreign Office britannique. En pleine tourmente, la Phalange se retrouve décapitée. Trop peu nombreux, les quelques cadres rescapés s’avèrent incapables d’assimiler l’énorme avalanche de reçues.
Franco met la Phalange au pas
Cinq mois plus tard, le Conseil national, soucieux de bien marquer son indépendance à l’égard des militaires, décide d'élire Manuel Hedilla second chef national. Mais il est alors trop tard : l’État Major et Franco ne l’entendent pas ainsi ! Le lendemain, 19 avril 1937, Franco annonce la fusion de tous les partis politiques insurgés contre le Front populaire et la création d’un nouveau mouvement : la Phalange Traditionaliste. Beaucoup de phalangistes accepteront le fait accompli, d'autres résisteront. Manuel Hedilla, estimant que cette unification forcée revient à faire perdre toute autonomie à la Phalange et “neutralise” son idéal social et révolutionnaire, refuse de s’incliner. La réaction est immédiate. Accusé de rébellion, déféré devant un tribunal, le second chef de la Phalange sera condamné à mort, condamnation commuée par la suite en détention de 1937 à 1946.
Après l’éviction de Manuel Hedilla, une Phalange “proscrite”, dissidente et plus ou moins clandestine s'organise en marge du régime. Elle ne cesse de dénoncer la “récupération” et la “trahison” de Franco mais son action politique demeure très limitée. La Phalange Traditionaliste, appelée bientôt Movimiento, reprend les mots d’ordre du phalangisme originel en les dépouillant progressivement de leur contenu. Très vite, le Caudillo comprend le parti qu'il peut tirer de l’instauration d’un culte voué à José Antonio. Il exalte son exemple et son sacrifice, élimine de sa doctrine les sujets dangereux et mène l’Espagne par des chemins fort différents de ceux que José Antonio voulait emprunter. Encore tout récemment, le beau-frère du Caudillo, Ramón Serrano Súñer, ministre de 1938 à 1942, déclarait sans détours, « Franco et José Antonio n'avaient ni sympathie ni estime l’un pour l’autre… Ils se trouvaient dans des mondes très éloignés par leurs mentalités, leurs sensibilités et leurs idéologies… Il n'y eut jamais de dialogue politique, ni d'accord entre les deux ! » [extrait, cité dans Le Monde, 1983, d'un entretien av. A. Imatz, in : Écrits de Paris n°463, déc. 1985].
La mort du Caudillo, en 1975, allait sonner le glas du Movimiento (non point de la Phalange car la référence à celle-ci avait déjà été supprimée par la loi organique de l’État du 14 décembre 1966), dont la plupart des représentants devaient se rallier rapidement au nouveau régime mis en place sous la conduite du Roi Juan Carlos et de son Premier ministre, ex-secrétaire général du Movimiento, Adolfo Suárez.
Pendant près de 40 ans, les personnalités les plus diverses affirmèrent leur foi phalangiste ou rendirent hommage aux vertus du “Fondateur”. Manuel Fraga Iribarne, leader de l’opposition conservatrice, écrivait : « La postérité verra en José Antonio (…) le premier homme politique de l’Espagne contemporaine » (1961). Joaquim Ruiz-Gimenez, principal responsable des catholiques de gauche, exaltait « l’élégance de son esprit [et] la noblesse de son âme » (1961). Eduardo Sotillos, porte-parole du gouvernement socialiste, citait abondamment José Antonio dans une apologie de la révolution nationale-syndicaliste (Ariel, 1963) et ses propos élogieux n’auraient sans doute pas été démentis par le ministre socialiste de l'Intérieur, José Barrionuevo, alors haut responsable du Movimiento.
On comprend que l'historiographie post-franquiste hésite encore entre le silence, la polémique ou la condamnation d'ensemble lorsqu'elle aborde l'étude d'un passé aussi embarrassant. Gageons cependant que les interprétations-schématisations qui prédominent aujourd'hui, ne tarderont pas à lasser. Jean Jaurès, dont le talentueux esprit jette parfois de soudaines clartés, déclarait en 1903 au Parlement, dans une formule suggestive que les historiens de la Phalange devraient méditer : « Pour juger le passé, il aurait fallu y vivre ; pour le condamner, il faudrait ne rien lui devoir ».
Frédéric Meyer, Orientations n°3, 1982.
Pour prolonger :
• émission MZ n°55 : “L'héritage de la Phalange”
• Présence de José Antonio, Olivier Grimaldi, Déterna, 2006
• José Antonio, chef et martyr, Gilles Mauger, Nouvelle éditions latines, 1955
• La Réponse de l'Espagne, José Antonio Primo de Rivera, éd. du Trident, 2003
• Face au soleil, l'Espagne de José Antonio, Jean Marot, La Librairie française, 1960
• Face à face : José Antonio face au tribunal populaire, éd. de L'Homme Libre, 2005
• Totalité n°13 - La Phalange espagnole : une voie solaire : Entre tradition et révolution (G. Gondinet) — JA Primo de Rivera : le fondateur de la Phalange (A. Medrano) — La Phalange Espagnole : une voie solaire (AM) — Le joug et les flèches (AM) — Une chanson du soleil (AM) — Le drapeau de la Phalange (AM) — R. Ledesma Ramos : le créateur du national-syndicalisme (AM) — Rafaël Sanchez Mozos : le doctrinaire oublié (AM) — Éthique et style de la Phalange selon José Antonio (J. de Calatrava) — José Antonio et le national-syndicalisme (F. Meyer) — Capital et propriété privée : À propos d'un fragment de José Antonio (R. de Bazelaire)
• Totalité n°14 : La vocation poétique de la Phalange espagnole : [à venir]
• Discours de José Antonio Primo de Rivera du 29 décembre 1933
http://www.archiveseroe.eu/histoire-c18369981/21