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Allemagne. Citoyens d’une nation ou du monde ? La bourgeoisie est à gauche

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Par le Junge Freiheit ♦ Junge Freiheit (« Jeune liberté » en français) est un hebdomadaire allemand proche des idées de la « Nouvelle Droite » fondé en 1986 dont les ventes augmentent chaque année, jusqu’à atteindre les 30 000 exemplaires vendus. Vous trouverez ci-dessous une traduction d’un article de ce média qui gagne à être connu en France.
Polémia

En Allemagne, traditionnellement le terme parti « bourgeois » désignait tout ce qui était à droite et au centre. Qu’en est-il en 2021 ? Nous traduisons un article de Junge Freiheit, certains intertitres sont de notre rédaction.

Bourgeois ?

Que cela soit dans les émissions ou les éditoriaux, la “bourgeoisie” occupe les esprits de nombreux hommes politiques et journalistes. Presque tous les partis revendiquent l’attribut « bourgeois » – des Verts à l’AfD (n.d.t. : parti de droite conservatrice). Mais que peut-on qualifier encore de « bourgeois » aujourd’hui ? Et surtout qui ? La théorie des camps de Heiner Geissler domine encore le discours politique. Alors secrétaire général de la CDU, Geissler qualifiait dans les années 1980 tout ce qui était à droite du centre de « camp bourgeois », son propre parti donc, et le FDP, parti libéral.

Il lui opposait le « camp de gauche », les socialistes du SPD et les Verts. Cette démarcation est encore au cœur de la pensée de nombreux conservateurs aujourd’hui. Et pourtant … Pour faire court, au risque néanmoins de faire mal : cette classification est dépassée, obsolète et ne pourrait être plus fausse de nos jours. La bourgeoisie du XXIème siècle se situe majoritairement à gauche.

Repli individualiste

Depuis son émergence en classe sociale distincte à la fin du XVIIIe siècle, la bourgeoisie allemande s’est façonnée en combinant la fierté d’être propriétaires et d’avoir fait des études supérieures ; par ailleurs, ses membres étaient en totale adhésion avec l’idée de nation et prêts à contribuer à la « formation interne de l’État » (Otto Hintze). Seule une partie de cette vérité subsiste aujourd’hui.

Cependant, il ne reste de nos jours guère plus qu’une simple bourgeoisie foncière. Car si jadis la coquille de la bourgeoisie était l’État-nation, la société ouverte façonne les cercles cultivés d’aujourd’hui. Le citoyen du monde cosmopolite sert de mesure à toutes choses et l’on cherche désormais généralement en vain une adhésion à la nation chez les intellectuels et les politiciens.

Ce repli individualiste conduit à un pharisianisme très particulier. La bourgeoisie a toujours été enfermée dans un style de vie conservateur, dont même la bourgeoisie libérale de gauche moderne ne peut se détacher. Seules les limites de la défense ont changé. L’« intrusion de l’élémentaire », à laquelle le citoyen a toujours voulu « fermer hermétiquement » son propre espace de vie (Ernst Jünger), ne s’arrête plus à la frontière de l’État. L’immigration est bienvenue si nécessaire, mais la tolérance s’arrête à la clôture de son propre jardin. Multiculturel ? Diversité ? Oui, bien sûr ! Mais faut-il vraiment construire le nouveau foyer pour réfugiés juste à côté ? Jamais de la vie !

Minorités et intérêts de groupe

C’est précisément en se détournant de la nation et en niant les forces sociales qui en sont le lien que l’on se coupe dans sa propre chair. Partout dans le monde, des minorités formulent actuellement leurs véritables intérêts de groupe, que ce soit aux États-Unis ou en Europe. L’identité de gauche sert de moyen pour parvenir à une fin. En fin de compte, seuls ceux qui se considèrent comme un collectif peuvent accéder au pouvoir dans un État. Une fois intériorisée, cette idée de base a parfois un effet plus fort que les conditions démographiques.

Les Allemands (de souche ndr) constituent la majorité de la population ; mais ils se sont repliés sur un universalisme bourgeois et ont ainsi abandonné la volonté de puissance. La critique libérale des politiques identitaires, portée par la classe moyenne, qui rejette toute pensée collective, est ainsi comme une musique de supermarché ou d’aéroport à laquelle personne ne s’intéresse. L’attaque de l’avant-garde « woken» est combattue de manière argumentative et surmontée, une contre-attaque attendue depuis longtemps n’a pas lieu.

Fin d’un idéal-type

Le citoyen cultivé conservateur classique existe encore – il en reste probablement plus qu’on ne le soupçonne. Néanmoins, il a depuis longtemps cessé de représenter l’idéal-type. Sur la scène mondiale, il est plus susceptible d’avoir une fonction muséale qui peut difficilement s’exonérer d’un certain côté tragique. En tant que personnage public, comme une biche timide, il n’apparaît qu’occasionnellement.

La plupart du temps, il assume alors le rôle que les chiens de garde du discours de gauche lui ont assigné. Il apaise, exhorte à l’équilibre, fait appel à la raison et critique la psychose morale collective et l’engouement identitaire de notre temps avec des mots fleuris, mais sans devenir vraiment dangereux, laissant la souveraineté interprétative, sans quitter la défensive. Alors, rit la gauche, en quoi votre liberté d’expression est-elle menacée ? Vous avez le droit de parler librement, n’est-ce pas ?

Sociétés parallèles conservatrices

Pour les jeunes penseurs qui veulent critiquer l’air du temps sur un pied d’égalité, ce type de personnes est devenu insignifiant. Cependant constater l’extinction de la bourgeoisie classique ne signifie pas abandonner les vertus originairement bourgeoises sans songer aux pertes.

La « personnalité formée, façonnée tout au long de la vie par la soif élémentaire d’expériences spirituelles », comme le décrit Joachim Fest, est toujours recherchée. On la trouve désormais rarement dans le milieu bourgeois d’aujourd’hui, mais plutôt dans des sociétés parallèles conservatrices. La « passion de participer à la culture », ou plutôt de participer à sa propre culture, a disparu. Dans un sens universel, le citoyen cultivé existe encore. Et le virage de droite à gauche peut être représenté au mieux précisément en sa personne, comme le montre de manière impressionnante une étude publiée fin mai.

Montée du populisme de droite

Les économistes Thomas Piketty, Amory Gethin et Clara Martinez-Toledano ont évalué les données de plus de 300 élections entre 1948 et 2020 afin d’examiner les changements de préférences des électeurs dans 21 démocraties occidentales. L’étude fait apparaître la montée du populisme de droite comme une fatalité historique. Selon les données étudiées, peu de choses ont changé entre les années 1960 et aujourd’hui dans le fait que les hauts revenus sont plus susceptibles de voter pour les partis à la droite du centre, bien que les partis de gauche rattrapent leur retard. Piketty parle du « droit marchand », le droit commercial, qui est également façonné par de nombreux indépendants. Les électeurs des partis de centre-droit ont un revenu nettement plus élevé que les partisans des partis anti-immigration plus à droite.

Chassé-croisé bourgeois/milieux populaires

Par contre, le niveau d’instruction des électeurs de droite et de gauche a radicalement changé. Les personnes ayant un niveau d’instruction plus élevé sont passées de la droite à la gauche au cours des décennies. Les moins instruits sans diplôme universitaire, à leur tour, ont migré, eux, de la gauche vers la droite. Un phénomène qui n’est pas seulement allemand, mais que l’on peut constater en Grande-Bretagne, en France, en Suède et dans  des dizaines d’autres pays. Les anciens partis ouvriers de gauche sont ainsi devenus des partis de la bourgeoisie instruite. Cependant, on peut se demander ce que représente un diplôme universitaire dans le monde d’aujourd’hui. La classe moyenne instruite représente désormais plutôt une catégorie sociologique.

Parallèlement, l’étude souligne à quelle vitesse la proportion de fonctionnaires ou assimilés votant à gauche a grimpé en flèche au cours des dernières décennies. Et c’est précisément dans ces professions (enseignants, universitaires, fonctionnaires, fonctionnaires politiques, journalistes) que se trouve le noyau de la bourgeoisie moderne et libérale de gauche. Ainsi, lorsque les gens du spectre libéral-conservateur aspirent à une «révolution bourgeoise»,  ils fantasment dans le vide. Pourquoi la bourgeoisie d’aujourd’hui devrait-elle se rebeller ? Un changement de tendance dans un système ne peut jamais venir de la force qui est le plus susceptible de soutenir ce système.

Les rabat-joie conservateurs ont fait leur temps

Ce qui est particulièrement frappant, c’est le comportement petit-bourgeois qui s’est répandu à gauche depuis des décennies. Le rabat-joie conservateur a enfin fait son temps. Aujourd’hui, les Verts sèment les interdictions linguistiques ; les gardiens de la vertu de gauche jugent ce qui est permis ou non dans le discours politique. Des esprits éclairés décident de ce dont les autres ont le droit ou non de se moquer. Tout ce qui était détesté par le soixante-huitard et reproché à la génération de ses parents, le paternalisme, l’index moralisateur, tout ce qui pour lui sentait le renfermé, il l’a repris à dessein à son compte.

Mépris de classe

Frappant aussi, le mépris omniprésent pour les gens ordinaires. Car celui qui est enraciné – par ailleurs de plus en plus souvent sans le sou – et fermé au monde globalisé des citoyens du monde, est considéré comme étant à jamais un passéiste incurable, un élément qui fait obstacle à l’utopie de l’empire mondialisé. Hillary Clinton, pour ne citer qu’elle, a relégué les électeurs de Trump au « basket of deplorables/panier des déplorables ». Toute forme de résistance à cette idéologie est ainsi qualifiée d’antibourgeoise. L’autorité d’en haut fonctionne comme une sorte de clergé de la mondialisation.

Voici donc ce qui définit la bourgeoisie moderne. On se rend compte que les idées de droite n’ont aucun poids dans ce milieu. Il est permis de se demander si, pour les non-gauchistes authentiques et critiques de l’esprit du XXIème siècle – que cela soit en tant qu’individu ou en tant que parti – il est encore pertinent de se dire bourgeois ?

Junge Freiheit (14/06/2021) – Traduction AC

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