OPINION. Failles dans le renseignement, capacité à détecter les signaux de radicalisation, évaluation du risque terroriste… Le procès des attentats du 13 novembre 2015 doit être l’occasion de repenser le maillage territorial français de la lutte antiterroriste.
Au moment où s’ouvre le procès des attentats du 13 novembre 2015, les victimes et familles de victimes, mais aussi tous les Français sont en attente de vérités. D’abord celle des auteurs et de leurs complices qui risquent fort de ne pas être dévoilées, mais aussi celle des responsables politiques et opérationnels des services de renseignement. Patrick Calvart, le Directeur général de la sécurité intérieure (DGSI) de l’époque ainsi que Bernard Bajolet, le Directeur général de la sécurité extérieure (DGSE) comparaîtront à la barre. Ils devraient confirmer les « angles morts » juridiques qui existaient dans notre politique de lutte contre le terrorisme à l’époque, évoqués dans leurs auditions devant la commission d’enquête parlementaire le 5 juillet 2016 sur les moyens mis en œuvre par l’État après le 7 janvier 2015 pour lutter contre le terrorisme et qui persistent en partie aujourd’hui.
Notre État de droit ne s’est pas véritablement encore adapté à la menace et, plus le temps passe, plus nous nous habituons à cette situation. Alors que l’on peut estimer que le risque d’attentat avait été sous-évalué par Bernard Cazeneuve après les attentats du mois de janvier 2015, des failles juridiques restent encore à combler. Quelques adaptations ultérieures ont bien été réalisées, mais insuffisantes. Des améliorations opérationnelles sont aussi possibles, en particulier en matière de renseignement territorial.
Après janvier 2015, une sous-évaluation du risque d’attentats
Le ministre de l’Intérieur, Bernard Cazeneuve, a été auditionné une première fois le 7 mars 2016, par la Commission d’enquête parlementaire relative « aux moyens mis en œuvre par l’État pour lutter contre le terrorisme depuis le 7 janvier 2015 ». Il s’était alors borné à justifier le bien fondé de sa politique faite d’adaptation successive du dispositif législatif face aux attentats, précisant que « les conditions juridiques n’étaient pas réunies pour déclencher un état d’urgence après le 7 janvier 2015, le péril n’étant pas “imminent”, les terroristes ayant été tués ». On comprenait donc de son raisonnement qu’il n’y avait plus de risque « imminent »après le 7 janvier 2015… l’argument ne tient pas à l’analyse de la loi du 3 avril 1955 sur l’état d’urgence, sauf à reconnaître qu’il y a eu une sous-estimation du risque.
Et puis, il y a eu le 13 novembre… Le 2 juin 2016, le ministre était de nouveau auditionné par la même commission d’enquête après qu’elle ait entendu les responsables des différents services de renseignement et des forces d’intervention. Son président, George Fenech, a émis des réserves sur la complexité de l’organisation de nos services de renseignement, leur coopération et leur coordination. « Même le chef du service de renseignement israélien ne sait pas à qui s’adresser, avait-il déclaré. Aucun responsable de haut niveau n’a fait l’objet de remise en cause professionnelle alors que, manifestement, il y a eu échec de nos services de renseignement, c’est un échec collectif » avait-il surenchéri avant se demander : « La quasi-totalité des terroristes était connue. Comment ont-ils pu échapper aux radars ? » Le Premier ministre lui-même déclarait le 9 janvier que « lorsqu’il y a 17 morts, c’est qu’il y a eu des failles ». Pas pour Bernard Cazeneuve, qui a contesté l’existence de failles supposées des services : « La DGSI n’a pas pour mission d’enquêter sur des étrangers. Aucun service étranger ne les a signalés. Même les Américains ne les ont pas signalés malgré leurs moyens », a-t-il soutenu. La commission a donc voulu regarder le cas emblématique de Sami Animour, un des terroristes du Bataclan, Français d’origine algérienne. La DGSI l’avait entendu et il avait été mis en examen, placé sous contrôle judiciaire, ce qui avait eu pour effet de mettre fin à ses écoutes administratives par la DGSI… et il avait alors disparu dans la nature jusqu’au Bataclan. Pour Cazeneuve, ce n’est pas une faille non plus : « Les services n’ont fait qu’appliquer le droit, ou alors il faut changer le droit. » Constatons que la loi sur le renseignement votée en 2015 n’a pas modifié cette situation. D’autre part, durant son contrôle judiciaire, Sami Animour avait trouvé le moyen de sortir du territoire national et d’y revenir. Pour le ministre, c’est aussi la faute de la coordination européenne bancale, de la défaillance de l’espace Schengen et pas des seuls services français. Leur coordination a été améliorée nous assure-t-on. Nous voilà consolés, mais pas rassurés.
Le problème dans tout cela, c’est que nous, Français, sommes principalement frappés et que nous ne pouvons donc compter que sur les mesures que nous prenons. En conclusion, Bernard Cazeneuve indiquait que la menace restait extrêmement élevée, que la surveillance était de plus en plus difficile, les terroristes utilisant la dissimulation par la technologie (faux documents, moyens chiffrés, chiffrement de conversation…). Il n’a pas pu s’engager à ce qu’un drame comme celui du Bataclan ne se reproduise pas. Bernard Cazeneuve n’a fait que se cramponner désespérément à la séparation des pouvoirs exécutif et judiciaire sans proposer une adaptation de la loi. Les chefs des services de renseignement, DGSI et DGSE, reconnaissaient pour leur part un échec, puisqu’ils n’avaient pas réussi à prévenir les attentats et qu’il y avait encore des « angles morts » dans notre dispositif juridique qui n’ont aujourd’hui pas été comblés, ni par la loi sur le renseignement ni par celle sur l’état d’urgence.
Des failles juridiques qui n’ont pas été comblées malgré une récidive en 2017
Premièrement, lorsqu’un individu qui fait l’objet d’interceptions de sécurité administratives (écoutes) par les services de renseignement est mis en examen par la justice, ses écoutes deviennent judiciaires et seuls les services judiciaires sont alors habilités à en connaître le contenu, secret de l’instruction et respect des droits de la défense obligent. Aucune technique de renseignement ne peut plus être mise en œuvre. Ce fut le cas pour Samy Amimour, un des terroristes du Bataclan. La DGSI a ainsi été privée des renseignements contenus dans ses écoutes judiciaires et donc de son suivi. Cet « angle mort » n’a pas été pris en considération, ni dans le cadre de la loi Renseignement, ni dans celui de l’état d’urgence. Ce n’est pas moi qui le dis, c’est Patrick Calvart, le DGSI de l’époque, page 820 du rapport des auditions. Un apprenti terroriste a donc intérêt à se faire repérer et mettre en examen pour ne plus être écouté par la DGSI… Le plus grave est que l’attentat du 20 avril 2017 sur l’avenue des Champs-Élysées, qui a coûté la vie au policier Xavier Jugelé, ressort de la même problématique. La séparation des pouvoirs n’a pas permis à la DGSI de surveiller un individu faisant l’objet d’une enquête judiciaire alors qu’il avait annoncé qu’il voulait tuer des policiers. Drôle de lecture de la grille des risques… C’est un cas concret exemplaire qui n’a toujours pas servi de leçon sur le rapprochement indispensable entre juges et services de renseignement. Ce cas a aussi montré, une fois de plus, le laxisme judiciaire, l’intéressé ayant rompu son obligation d’assignation à résidence sans être sanctionné.
Deuxième exemple et autre faille, cette fois-ci concernant les saisies judiciaires lors de perquisitions (téléphone portable, ordinateur, etc.) qui seraient très utiles aux services de renseignement. Le Code de procédure pénale et le secret de l’instruction empêchent que ces objets puissent leur être remis, pour la même raison de séparation des pouvoirs. C’est Bernard Bajolet, le DGSE de l’époque, qui le dit page 866 du rapport des auditions. Par exemple, cette situation place la DGSI dans une position délicate vis-à-vis de la DSGE, car la DGSI a la compétence de police judiciaire, mais elle n’a pas le droit de lui transmettre ces informations. Dans certains pays de droit européen et outre-Atlantique, les juges autorisent qu’une copie des contenus leur soit remise, question de bon sens et d’efficacité.
Pour ce qui est des métadonnées, la question se pose de la pertinence de la séparation entre le renseignement et le judiciaire, dès lors qu’il s’agit de les analyser et de les croiser. Américains et Britanniques, notamment, les rassemblent à des fins opérationnelles alors que notre loi ne le permet pas. Cela est dommageable à l’action d’anticipation. C’est encore Patrick Calvart, le DGSI qui le dit, page 813 du rapport d’auditions.
D’autres évolutions juridiques et opérationnelles ultérieures prouvent notre pusillanimité sur la question de l’appréciation du risque terroriste.
La loi 2016-731 du 3 juin 2016 « renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement, et améliorant l’efficacité et les garanties de la procédure pénale » a prévu dans son article 52, une simple assignation à résidence d’une durée maximale d’un mois, éventuellement renouvelable une fois, pour des individus de retour du djihad contre lesquels il n’y aurait pas d’éléments suffisants pour justifier une mise en examen. Ce dispositif ne permet en aucune façon d’anticiper le retour de djihadistes sur notre territoire, qui seront ainsi laissés en liberté, avec toutes les conséquences que l’on peut imaginer (voir page 467 du rapport d’auditions). Le gouvernement a déposé le 22 septembre 2016 au bureau du Sénat, un projet de loi autorisant la ratification du protocole additionnel à la convention du Conseil de l’Europe pour la prévention du terrorisme. Ce dernier préconise l’incrimination de certains actes liés à des infractions terroristes, comme le fait de « se rendre à l’étranger à des fins de terrorisme », ou de tenter de s’y rendre. Ce protocole n’a pas été ratifié alors qu’il aurait permis pour l’avenir de créer enfin un délit spécifique de départ pour le djihad permettant de judiciariser systématiquement la situation des djihadistes avant leur départ de manière préventive ou dès leur retour sur le territoire national.
La loi antiterroriste de 2017 a transcrit dans le droit commun certaines dispositions de la loi sur l’état d’urgence (perquisitions administratives, assignation à résidence remplacée par une obligation de ne pas se déplacer à l’extérieur d’un périmètre géographique, fermeture temporaire de lieux de culte par les préfets, périmètre de protection établi par les préfets…). C’est un peu le verre à moitié plein ou à moitié vide. On peut faire autant de lois que l’on voudra, s’il n’y a pas de volonté farouche de lutter contre la guerre intérieure qui nous a été déclarée, rien n’y fera. Pourtant, dans le programme du candidat Macron, une mesure pouvait laisser espérer une évolution : « Permettre l’accès aux données des instructions en cours lorsqu’elles peuvent aider à la prévention d’actions et à la recherche de terroristes » et « offrir aux juges un meilleur accès, protégé, à des données des services utiles à leur travail d’instruction et aux poursuites ». L’idée était intéressante et constituait une reconnaissance de la problématique évoquée plus haut… mais elle n’est pas apparue dans la loi ou de manière partielle, dans le cas de figure des perquisitions administratives (préfet), autorisées par le juge des libertés et de la détention (judiciaire) de Paris qui autorisera ou non l’exploitation des documents saisis. Pourquoi ne pas avoir rédigé un texte plus général qui aurait pu concerner aussi toutes les perquisitions judiciaires et les instructions en cours ou à venir ? Nous avons encore une guerre de retard dans la lutte contre le terrorisme en agissant par petites touches en attendant la prochaine loi… La guerre sera gagnée par celui qui ose et anticipe !
Le Plan d’action contre le terrorisme (PACT) de janvier 2018 visait à essayer de limiter les conséquences du terrorisme islamiste sans s’attaquer aux causes et à la racine du mal. Il n’était pas non plus à la hauteur de l’enjeu. La mesure emblématique de ce nouveau plan concernait la création d’une cellule chargée de la surveillance des 450 « sortants » de prison d’ici à la fin de l’année 2019 (sur 1 500 incarcérés au total). Celle-ci n’aura pas une vocation opérationnelle, mais sera chargée de désigner le service chargé de la surveillance de chaque sortant. Quand on connaît le manque de réussite de la surveillance des fichés S ainsi que des personnes placées sous contrôle judiciaire qui sont passées à l’acte, tout est à craindre. Le gouvernement prend donc la responsabilité de laisser dans la nature des bombes potentielles plutôt que de leur appliquer une rétention judiciaire ou administrative. La loi antiterroriste de juin 2021 instaurant des mesures de sûreté pour les personnes sortant de prison, retoquée par le Conseil constitutionnel, n'améliore pas vraiment la situation.
Dans le prolongement du PACT, le ministre de l’Intérieur a annoncé en juillet 2018 que « la DGSI assurera la coordination opérationnelle du renseignement, des investigations judiciaires sous l’autorité des magistrats, et des stratégies de coopération nationale et internationale du ministère de l’Intérieur en matière antiterroriste ». Un nouvel état-major de coordination opérationnelle installé dans les locaux de la DGSI rassemble quatorze services, dont la gendarmerie, mais aussi les armées et les services fiscaux. Cette réorganisation va dans le sens des conclusions de la commission d’enquête parlementaire sur les attentats de 2015 qui avait mis en relief une trop grande dispersion des services de l’État concernés. On se demande bien, d’ailleurs, pourquoi il aura fallu attendre deux ans de latence avant que la puissance publique ne réagisse. Si cette mesure va donc dans le bon sens, elle ne va pas jusqu’au bout du raisonnement en prenant en considération la proposition de la commission d’enquête parlementaire de créer une agence nationale de lutte antiterroriste, rattachée directement au Premier ministre, en charge de l’analyse de la menace, de la planification stratégique et de la coordination opérationnelle, mesure de coordination de bon sens (proposition n° 18).
D’autre part, le nouveau parquet national antiterroriste n’est pas représenté dans ce nouvel état-major alors que l’on sait, depuis l’affaire Merah, que les magistrats spécialisés doivent pouvoir rentrer dans la « boucle » du renseignement et, inversement, les services de renseignement rentrer dans l’information détenue par les services judiciaires. Le manque de coordination entre les magistrats et les services de renseignement persiste donc, au moins sur le plan juridique.
L’indispensable et nécessaire renforcement de la fiabilité du Renseignement territorial responsable de la détection des signaux faibles de radicalisation islamiste
Nous constatons régulièrement que les passages à l’acte terroriste sont souvent le fait d’individus inconnus de la justice et des services de renseignement. Le risque terroriste islamiste endogène sur notre territoire est pourtant devenu le risque le plus probable et celui capable de terroriser la population par sa réitération. La détection des signes faibles de radicalisation islamiste sur l’ensemble du territoire est donc devenue une priorité absolue du renseignement territorial. Il est grand temps de repenser l’organisation Police/Gendarmerie afin de rechercher une plus grande efficacité dans ce domaine. Le repositionnement du Service central du renseignement territorial (SCRT) constitue une première étape indispensable.
Sur le plan policier : Le rattachement du SCRT à la Direction générale de la police nationale (DGPN, sous-direction de la sécurité publique) constitue le principal problème de l’architecture actuelle comme l’indiquait un rapport du Sénat de 2015 sur les moyens consacrés au renseignement intérieur, « les intérêts et les priorités des directeurs départementaux de la sécurité publique (DDSP) et du renseignement territorial sont souvent contradictoires ».
Sur le plan de la gendarmerie : il arrive que le commandement de terrain de la gendarmerie (département) ne soit pas informé du contenu des notes du renseignement territorial local alors que ces notes sont établies sous le double timbre police/gendarmerie. Il faut aujourd’hui développer un état d’esprit particulier consistant à passer du « besoin d’en connaître » au « devoir de partager ». Il faut changer de culture dans le renseignement, le service localement compétent doit savoir quelles menaces sont présentes chez lui, alors que ce n’est pas toujours le cas actuellement. Si le renseignement territorial est composé de « 15 % de gendarmes », qui ne sont pas vraiment considérés comme l’apport « renseignement » gendarmerie, la zone de compétence de la gendarmerie représentant pourtant 95 % du territoire. La gendarmerie est donc « championne de France » des capteurs d’informations sur le terrain, comme l’a précisé il y a peu devant le Sénat son Directeur général, synthétisés au sein de la sous-direction de l’anticipation opérationnelle (SDAO), organe de renseignement qui lui est indispensable. Mais ses 3100 brigades territoriales n’ont pas encore donné tout leur potentiel dans la détection des signaux faibles de radicalisation islamiste.
Il est donc nécessaire de rapprocher, c’est d’ailleurs ce que proposait déjà la commission d’enquête parlementaire, sans les fusionner, les entités « radicalisation » du SCRT police et de la SDAO gendarmerie au sein d’une unité rattachée directement au ministre de l’Intérieur, comme c’est le cas pour la DGSI. La nouvelle entité pourrait être rattachée fonctionnellement aux deux directeurs généraux de la police et de la gendarmerie nationale, chacun pour ce qui le concerne. Il s’agit d’une réorganisation à faible coût supplémentaire par rapport à son intérêt.
Toute la question est de savoir si le procès des attentats du 15 novembre 2015 permettra d’infléchir la position actuelle de nos responsables politiques sur l’évaluation du risque terroriste et les mesures préventives à prendre, qu’elles soient juridiques ou opérationnelles., comme l’accueil de réfugiés à risque provenant de pays musulmans en faillite comme l’Afghanistan.
Source : https://frontpopulaire.fr/