« Privilège blanc », un concept lourd de conséquences
Un entretien réalisé par Guy Denaere.
— Le concept de « privilège blanc » est récent en France, mais il a une histoire. Où et quand s’est-il forgé ?
— Le premier à employer l’expression est Theodore W. Allen, un militant communiste américain. Dans un livre publié en 1975, L’Invention de la race blanche, il explique que les planteurs blancs ont instauré un « privilège de la peau blanche » dans les colonies américaines afin de diviser les travailleurs, pour que les Européens se sentent supérieurs aux esclaves noirs. Selon Allen et ses continuateurs, il pouvait exister de la haine raciale avant cela, mais seuls les Européens sont allés jusqu’à la hiérarchisation des races, l’infériorisation de certains peuples. Le privilège blanc serait l’expression de ce racisme fondateur qui structurerait toujours les sociétés occidentales, par l’histoire de l’esclavage en Amérique et de la colonialisation en Europe.
L’ethnomasochisme : quand les Blancs font le jeu des très racistes Black Lives Matter.
— C’est donc une nouvelle arme marxiste, idéologie qui crée un ressentiment puis en exploite toutes les « fonctionnalités » – le mouvement woke ?
— En prenant un peu de recul, on s’aperçoit vite qu’il s’agit d’un schéma marxiste classique dominants/dominés. Les Blancs ont remplacé la bourgeoisie tandis que les non-Blancs sont les nouveaux prolétaires. Le marxisme n’est cependant que la matrice. Le cheminement intellectuel passe par la théorie critique de l’Ecole de Francfort, la French Theory des postmodernes et poststructuralistes – Foucault, Derrida, Bourdieu… – jusqu’aux campus américains travaillés par les questions raciales.
Le produit final est la « théorie critique de la race », grille de lecture du mouvement woke dont le concept du privilège blanc est l’élément central. Doctrinalement parlant, il ne reste pas grand-chose de Marx outre le logiciel mental manichéen qui est passé de la lutte des classes à la lutte des races. Ce qui n’empêche pas les gauchistes d’être très impliqués. Cela fait longtemps qu’ils ont délaissé les travailleurs blancs.
— Il y aurait donc un péché originel blanc ? Vous et moi appartiendrions à une race intrinsèquement mauvaise ?
— Non contents d’avoir inventé le racisme, nous le perpétuerions dans nos sociétés, avec le privilège blanc qui l’accompagne, même sans le vouloir, sans en avoir conscience. Nous sommes accusés d’imposer notre « blanchité », notre norme blanche, via la couleur des pansements par exemple. Nous entretiendrions donc ce privilège par notre simple existence et notre être au monde spécifiquement européen. De plus, d’après Robin DiAngelo, l’un des auteurs les plus en vue sur le sujet, déconstruire son privilège blanc serait « le travail d’une vie » et « les Blancs devraient cesser de dire “je ne suis pas raciste” ». Impossible d’y échapper. Pour le professeur Joseph Bottum, le wokisme est un postprotestantisme, « une Eglise du Christ sans le Christ ». Il n’y a donc pas de pardon possible. Nous sommes consubstantiellement mauvais et nul ne rachètera nos péchés.
— Le succès du wokisme en France n’est-il pas dû (entre autres choses) à « l’autophobie », ou haine de soi du Blanc, distillée pendant un demi-siècle et qui a en quelque sorte préparé le terrain ?
— Les élites françaises, atteintes d’un ethnomasochisme pathologique, toutes passées par les mêmes écoles et formées dans le même moule socio-idéologique, étaient prêtes à accepter ce discours. Il n’a ainsi fallu que six mois pour que le concept de privilège blanc passe de la romancière Virginie Despentes, qui l’a évoqué en marge d’une manifestation du Comité Adama Traoré, à Emmanuel Macron dans les colonnes de L’Express en décembre 2020. Il y a autant de calcul politique – draguer les minorités, donner des gages à la gauche – que de convictions. Ajoutons à cela le clergé progressiste formé par l’université, les médias dominants et les associatifs gauchistes, et nous avons les nouveaux Etats confédérés qui détruisent notre civilisation de l’intérieur, en France et partout en Occident. La propagation fulgurante des idées woke ne fut possible que grâce à leur continuel travail de sape.
— A l’enfer blanc et son racisme systémique que vivraient les Noirs, s’oppose une Afrique fantasmée – le Wakanda –, une relecture de l’histoire qui fait des Africains des inventeurs et des découvreurs. Cela ne révèle-t-il pas, derrière des allures d’affranchis, un sérieux complexe d’infériorité ?
— La colonisation et l’esclavage auraient laissé tant de marques qu’il serait impossible à l’Afrique ou aux Africains en Occident de s’en remettre. C’est d’autant plus coupable que les Européens auraient tout volé à l’Afrique ! On sent dans ces théories un ressentiment qui mêle haine, jalousie et culture de l’excuse. Cette victimisation permanente permet surtout de ne jamais se remettre en question puisque c’est systématiquement la faute des Blancs.
Ce fantasme wakandais peut parfois sembler drôle. Ne négligeons pourtant pas les dangers qu’il véhicule : si les Blancs sont responsables de tout, la solution est l’abolition de la blanchité, c’est-à-dire de la civilisation occidentale voire de la « race blanche » comme a pu l’affirmer l’historien communiste Noel Ignatiev, un pionnier des études sur la blanchité.
Ce discours est pourtant facilement contredit. Il suffit de constater la réussite économique des Asiatiques, dont la plupart des pays furent colonisés ou dominés. De même, les diasporas asiatiques en Occident sont généralement bien intégrées. Aux Etats-Unis, de nombreuses communautés asiatiques ont un salaire moyen supérieur et un taux de criminalité inférieur aux Euro-Américains. Le privilège blanc ne les oppresserait donc pas ? Le problème a été simplement résolu : pour les militants woke, les Asiatiques sont désormais catégorisés comme des Blancs !
— Il y a l’idéologie qui déconstruit, il y a aussi les affaires qui rapportent. Comment les marques aident-elles à la propagation du mythe du privilège blanc ?
— Contrairement aux autres communautés, les Européens ne se perçoivent pas comme un groupe. En conséquence, ils réagissent peu lorsque les Blancs sont moqués, humiliés, attaqués. N’importe quel propos ou publicité peu amène envers les Africains ou les musulmans provoque une réaction, sur les réseaux par exemple, un bad buzz organisé par des mouvements militants. Mais on peut faire ce que l’on veut aux Européens. Dans leur communication, les marques jouent de plus en plus sur ces codes woke, pro-diversité et anti-Blancs : elles savent d’une part que les non-Européens et les Blancs masochistes y seront sensibles, d’autre part que les Blancs ne se mobiliseront jamais massivement pour un boycott. Une logique purement commerciale incite donc les marques à aller sur ce terrain, par exemple L’Oréal qui, à l’apogée des manifestations Black Lives Matter, a fièrement annoncé retirer de ses produits et de sa communication des mots tels que « blanc », « blanchissant » et « éclaircissant ».
Il ne faut cependant pas sous-estimer le nombre croissant de commissaires politiques formés aux études sur la blanchité ou de genre, qui imposent leurs idées au sein des entreprises. On songe aux formations de Coca-Cola pour apprendre à ses employés à se « déblanchiser ».
— Comment ne pas entrer dans le piège de la rhétorique woke ?
— Le plus important est de ne jamais s’excuser face à leurs reproches, de n’avoir honte ni de ce que nous sommes, ni de nos ancêtres. Les accusations sont infondées et visent à culpabiliser les indigènes, les Européens, pour les dominer au sein des sociétés que ces derniers ont bâties. Aucune concession ne sera jamais suffisante. Ni « réparation », ni compromis, ni même la soumission ne permettra d’être épargné. Il ne faut toutefois pas hausser les épaules et croire que c’est un délire circonscrit à des cercles d’illuminés : ces théories font des ravages dans la jeunesse. Il est indispensable de se documenter pour pouvoir tout réfuter, en bloc et en détail, de façon intransigeante.
C’est une idéologie qui ne cherche pas la justice mais la punition. Christiane Taubira l’a dit dans sa préface de l’ouvrage Le Procès de l’Amérique – Plaidoyer pour une réparation : « Nulle réparation matérielle n’effacera un crime si grand que l’esclavage ou la colonisation. » S’il y a crime ineffaçable, il y a victime éternelle. Les Blancs ne doivent pas imaginer pouvoir solder leur dette imaginaire. Plus nous céderons, plus ils prendront. Cette rhétorique installe un climat prégénocidaire : on peut tout faire au nom de la lutte contre les privilèges illégitimes et contre le racisme. Les massacres des révolutions française et bolchévique s’appuyaient sur des idées comparables.
Georges Guiscard, Le Privilège blanc – Qui veut faire la peau aux Européens ?. Préface de François Bousquet. Iliade – La Nouvelle Librairie, 222 pages, 16 euros.
Tribune reprise de Présent