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« La Traite des Slaves : l’esclavage des Blancs du VIIIe au XVIIIe siècle » de Alexandre Skirda

Un crime contre l’humanité politiquement incorrect : la traite des Slaves du VIIIe au XVIIIe siècle.

Sait-on que le mot français « esclave » vient du latin sclavus désignant l’homme slave asservi, terme apparu en ce sens en 937 dans un diplôme germanique puis largement utilisé dans les actes notariés gênois et vénitiens à partir de la fin du XIIe siècle pour finalement s’imposer dans les langues romanes et germaniques ? L’étymologie, encore plus explicite en anglais, révèle un fait historique le plus souvent ignoré non seulement du grand public, mais du milieu historien lui-même : la traite esclavagiste exercée aux dépens des peuples slaves du VIIIe au XVIIIe siècle.

Mr Alexandre Skirda, essayiste et historien d’origine russe, vient de consacrer à cet épisode tragique de l’histoire européenne un livre (1) qui comble une lacune de notre documentation française, et qui pourtant n’a guère suscité l’intérêt du public parce qu’on ne lui fait pas la publicité qu’il mérite. Comment s’étonner de la censure médiatique ? Ce livre met à la portée du grand public des faits irréfutables permettant de constater la réduction en servitude de millions de Blancs, soumis à une traite plus sévère encore que la traite atlantique des Noirs d’Afrique puisqu’elle s’accompagnait de castration, et vendus dans la plupart des cas à des acquéreurs musulmans : un défi insupportable pour les canons de la repentance à sens unique instaurés par la loi Taubira de 2001 !

On peut avancer une autre explication de l’injuste occultation du livre de Mr Skirda : il nous introduit dans le monde slave qui ne nous est guère familier, nos chercheurs étant affectés d’un tropisme anglo-saxon, et leur curiosité se heurtant en outre au barrage linguistique induit par des langues difficiles, bien qu’indo-européennes, et pour une bonne partie d’entre elles écrites en alphabet cyrillique. Ainsi le Belge Verlinden, qui avait entrepris entre les années 1940 et 1977 une volumineuse étude de l’esclavage aux temps médiévaux, après s’être penché sur Al Andalus et le monde méditerranéen, s’était arrêté au pied des Carpathes, faute de connaître les langues slaves dans lesquelles étaient rédigés les principaux documents.

Mr Skirda vient donc à propos combler une lacune, par un ouvrage faisant la synthèse des études consacrées à ce thème, notamment de la monographie récente, non encore traduite en français, de l’historien russe Dimitri E. Michine (2).

Notre auteur distingue nettement deux traites des Slaves : la traite occidentale, qui s’exerça en Europe centrale, et la traite orientale, qui sévit de la Pologne à l’Oural. La première ne dura que 300 ans, du VIIIe au XIe siècle ; la seconde, qui débuta également au VIIIe siècle, dura quelque mille ans. Elles impliquèrent l’une et l’autre des peuples variés, qu’il s’agisse des victimes, les divers locuteurs de langues slaves répandus de la Bohême à l’Ukraine, de la Pologne aux Balkans, ou qu’il s’agisse, côté prédateurs, de nomades turco-mongols venus des steppes de l’Asie centrale, les Polovtses, les Khazars et surtout les Tatars, auxquels il faut ajouter les Francs et les Juifs rhadhânites (3) des Etats carolingiens, les Varègues de Scandinavie, les Gênois et les Vénitiens, enfin les Turcs ottomans, lesquels prirent part à ce crime contre l’humanité à diverses époques historiques.

Notons que la traite des Slaves fut contemporaine des traites arabo- et turco-musulmanes qui ravagèrent l’Afrique Noire et de la guerre de course menée par les Barbaresques qui hantèrent les côtes de Méditerranée occidentale, un peu mieux connues grâce aux travaux de MM. Pétré-Grenouilleau, Tidiane N’Diaye, Robert C. Davis et Jacques Heers, pour ne citer que ceux-là. Le point commun qui rapproche ces différentes traites est qu’elles ont toutes, à quelques rares exceptions près, été entreprises pour le compte d’Etats musulmans qui furent les plus gros demandeurs d’esclaves de l’histoire.

Les responsabilités de l’islam, « civilisation esclavagiste par excellence » (F. Braudel)

Depuis l’Hégire en 622, l’islam s’est répandu essentiellement par la guerre sainte ou djihad, aussi les Etats musulmans exigeaient-ils toujours plus d’esclaves – la religion mahométane justifiant la réduction des infidèles en servitude – pour mettre en valeur, administrer et policer des territoires qui s’accroissaient au fur et à mesure de leurs conquêtes, sans compter les besoins en soldatesque et en galériens pour mener la guerre sur terre et sur mer. La demande en femmes ne fut pas moins exigeante, non seulement pour accomplir les travaux domestiques chez les maîtres, mais aussi pour remplir les harems des califes, sultans et hauts dignitaires dont la religion aphrodisiaque engendrait une polygamie au sens large du terme puisqu’elle permet, outre les quatre épouses légitimes autorisées par le Coran, d’user d’un nombre illimité de concubines le plus souvent esclaves .C’est ainsi qu’Abd Ar Rahmane III, qui régna de 912 à 961 sur Cordoue, disposait d’un harem comptant 6300 femmes, eunuques et domestiques, le palais fatimide du Caire, 12.000.

Songeons aussi que l’avènement d’un nouveau maître pouvait exiger le renouveau du harem du défunt : à Istanbul il arriva au XVIIe siècle qu’un vizir se débarrassât des favorites de son prédécesseur en les noyant dans le Bosphore, après avoir cousu les malheureuses dans un sac ; ce Barbe-Bleue enturbanné eut des imitateurs ! (4) La castration des esclaves, mortelle dans plus de la moitié des cas en ces époques de médecine rudimentaire, répondait à la stratégie millénaire de l’islam qui a toujours utilisé la démographie comme une arme de guerre. La stérilisation des immigrés esclaves évitait la submersion démographique des fidèles d’Allah par des étrangers infidèles. Aussi n’y eut-il pas plus de problème noir que de problème slave en Arabie Saoudite ainsi que dans les autres Etats islamisés sur la longue durée. Les eunuques n’étaient pas seulement préposés à la garde des harems, ils étaient aussi employés comme soldats, ou comme gardes prétoriens du calife ou du sultan tels les saqalibas d’Al Andalus. On comprend dès lors – rareté obligeant du fait de la non-reproduction par les naissances et de la mortalité des esclaves-militaires à la guerre – la nécessité constante d’en renouveler le contingent.

Les musulmans disposaient grâce à leurs succès guerriers d’un immense trésor en métaux et objets précieux procurés par le pillage ; ils parvinrent aussi à contrôler par leurs conquêtes les mines d’or du Sud-Soudan : le dinar et le dirhem dominaient le marché mondial du Haut Moyen Age ; ils purent donc payer à prix d’or les marchands de bétail à visage humain : la demande stimulait l’offre et finançait la traite.

La traite occidentale des Slaves

La traite occidentale qui débuta au VIIIe siècle concernait ceux des Tchèques, des Moraves, des Slovaques, des Polonais, des Slovènes et des Croates de Slavonie qui furent razziés ou faits prisonniers dans les guerres les opposant à leurs agressifs et puissants voisins germains ou hongrois, quand ils ne s’opposaient pas en combats fratricides, comme il arriva parfois entre Tchèques et Polonais. Les prisonniers étaient acheminés vers Prague, grande plaque tournante de l’esclavage, puis à Verdun, le plus important centre européen de castration du Haut Moyen Age, pratique essentiellement réalisée par des Juifs dont c’était la spécialité en raison de leur familiarité avec le rite de circoncision ; les malheureux étaient ensuite acheminés vers Cordoue, capitale de l’Espagne islamisée depuis la conquête de Tariq. Le transport et la vente étaient assurés  par les Rhadânites, nom signifiant en persan « connaisseur des routes » par lequel on désignait les marchands juifs s’adonnant au trafic international ; leur itinéraire empruntait la vallée du Rhône et le port d’Arles. Les Esclavons de Slavonie pouvaient être enlevés à partir des côtes dalmates par des bandes armées, puis expédiés à Venise, où on peut encore voir le quai dit « des esclavons » ; de là ils étaient transportés jusqu’en Al Andalus, nom de l’Espagne islamisée depuis la conquête de Tariq en 711. Ce matériau humain pouvait être réexporté vers d’autres pays musulmans : la Syrie, l’Égypte, l’Irak ou le Maghreb.

La traite occidentale prit fin au XIe siècle en raison des progrès de la Reconquista qui barrait la route aux Rhadhânites, en raison aussi de la fin survenue en 1031 du califat de Cordoue qui éclata en principautés rivales, les taïfas. Le développement économique, la christianisation des peuples slaves d’Europe centrale entre le VIIIe et le XIe siècle, leur structuration progressive en états comparables à ceux des voisins germaniques influencés par le modèle de l’Empire romain, et dont la puissance régalienne se révéla capable d’assurer une certaine sécurité, ne furent pas non plus étrangers à la fin de la traite occidentale des Slaves.

La traite orientale des Slaves

Les peuples slaves qui s’étaient installés à l’est de l’Europe connurent mille années de vicissitudes : établis sur des plaines immenses dépourvues d’obstacles naturels permettant d’assurer leur protection contre les envahisseurs, placés aux confins de l’Asie centrale parcourue par d’incessantes hordes nomades de pillards, il ne leur fallut pas moins de mille ans pour bâtir un Etat solide, capable de résister aux agressions étrangères.

Paradoxalement, le premier Etat russe fut créé au IXe siècle par des Scandinaves du nom de Varègues qui avaient été appelés en renfort par les Ukrainiens en butte aux attaques des nomades polovtses, petchénègues et khazars, mais les chefs vikings songeaient avant tout à exploiter l’Ukraine comme une colonie dont la ressource principale était l’habitant qu’ils razziaient avec une habileté de chasseurs d’homme proverbiale, pour aller le vendre soit au nord, sur la plaque tournante de l’esclavage viking que fut Hedebut au Danemark, soit au sud à Byzance, capitale de la chrétienté d’Orient qui ne connut pas l’extinction rapide de l’esclavage touchant la chrétienté occidentale à la même époque. Peu à peu les Russes, dont le nom vient du suèdois « ruotsi » signifiant « rameurs », s’émancipèrent de leurs tuteurs païens : ils obtinrent à partir de 964, sous Sviatoslav, des princes de leur sang et parlant leur langue, puis se convertirent en 988 au christianisme sous l’influence de missionnaires byzantins, et bâtirent un État qui dura jusqu’à la conquête mongole au XIIIe siècle, mais qui fut incapable d’enrayer la traite esclavagiste.

Les Khazars, peuple turcomane plus ou moins judaïsé, expédiaient les victimes de leurs rapts vers l’est, à Itil, leur capitale située sur la Volga, de même qu’à Boulgar plus au nord, ainsi qu’à Boukhara et Samarcande, centres de castration et d’un commerce esclavagiste fructueux à destination non seulement de Bagdad, mais aussi de l’Extrême-Orient. Les Khazars quittèrent la scène de l’histoire au XIe siècle, éliminés par les Byzantins, tandis que les Varègues renonçaient à la traite au XIIIe siècle après leur conversion au christianisme et au travail productif.

C’est alors que les Gênois, auxquels l’empereur latin de Byzance a confié la maîtrise de la mer Noire, entrent en scène pour deux siècles : installés dans les anciennes colonies grecques qu’ils exploitent en intermédiaires d’une traite  alimentée par les razzias mongoles au détriment de Slaves et de Grecs orthodoxes ou de païens abkhazes, tcherkesses ou tatars, ils ravitaillent l’Égypte des Mamelouks en jeunes garçons destinés à renforcer l’armée. Leurs rivaux vénitiens se taillent une petite part du marché servile, en se spécialisant dans l’exportation de femmes à partir de leur port de Tana sur la mer d’Azov. Chassés de la mer Noire par l’avancée des Turcs ottomans, maîtres de Byzance depuis 1453, les Italiens se replièrent sur la Méditerranée orientale et laissèrent la Crimée aux Tatars.

Ce peuple turco-mongol converti à l’islam au XIVe siècle fut le plus féroce esclavagiste de l’histoire russe, menant des incursions ravageuses du XVe au XVIIIe siècle sur le monde russe. Vassaux des Turcs ottomans, les Tatars, ravitaillaient Istanbul et son empire en esclaves prélevés sur les terres des Slaves orientaux. Leurs déprédations prirent fin sous le règne de la tzarine Catherine II, victorieuse de l’Empire ottoman.

Un bilan désastreux

Le bilan humain de cette traite millénaire est fort difficile à quantifier, faute de documents, surtout pour les périodes lointaines. Entre le VIIIe et le XIIe siècle, Mr Skirda estime le nombre de victimes à plusieurs centaines de milliers d’êtres humains, auxquels il faut ajouter un million de prisonniers réduits à la servitude, s’ajoutant au million de tués du fait de la conquête mongole. L’Encyclopédie ukrainienne de 2002 a évalué à 2 M / 2,5 M le nombre d’esclaves prélevés par les Tatars sur l’Ukraine, la Biélorussie et la Moscovie entre 1482 et 1760, chiffre considérable si l’on tient compte de ce que la population de ces régions entre ces dates peut être estimée à 5 ou 6 M d’habitants.

Le total des victimes de la traite des Slaves entre le VIIIe et le XVIIIe siècle est évalué en millions par Mr Skirda ; peut-être, si l’on veut être précis, peut-on avancer le chiffre de 4,5 M d’âmes, en se fondant sur le bilan de la traite barbaresque établi par Mr Davies à 1.250.000 esclaves européens pour le seul domaine de la Méditerranée occidentale, sur une période quatre fois plus réduite. Ce prélèvement catastrophique a largement contribué au retard économique de l’Europe orientale par rapport à l’Europe occidentale.

On ne suivra pas Mr Skirda sur certaines de ses conclusions : par exemple lorsqu’il attribue la renaissance économique occidentale des Xe et XIe siècles aux profits réalisés par les marchands italiens grâce à la traite des Slaves, rejoignant le raisonnement des tiers-mondistes qui attribuent l’essor du capitalisme aux profits réalisés grâce à la colonisation ; on peut alors se demander s’il n’appelle pas à une nouvelle repentance qui s’ajouterait à celle que nous ordonne la bien-pensance gauchiste. De même ses sympathies pour l’anarchie l’empêchent-elles de réaliser le potentiel de protection assuré par la puissance régalienne d’un État exerçant le monopole de la violence au service de ses ressortissants : c’est l’avènement de véritables Etats en Bohême, en Pologne ou en Russie qui mit fin aux intrusions prédatrices provoquant la réduction en servitude de leurs habitants.

Ces restrictions mises à part, on ne peut que recommander la lecture d’un ouvrage qui nous révèle un épisode ignoré de l’histoire, dont la méconnaissance est source du préjugé voulant que les Blancs indo-européens aient toujours été les méchants exploiteurs de la planète, tandis que ceux qu’ils colonisèrent au cours des deux derniers siècles sont crédités des meilleures intentions du monde, puisqu’ils pratiquent « une religion d’amour, de tolérance et de paix ».

Notes :

1) Alexandre Skirda, La Traite des Slaves : l’esclavage des Blancs du VIIIe au XVIIIe siècle, Editions de Paris Max Chaleil, octobre 2010.

Historien et essayiste, Alexandre Skirda, né en 1942 de parents réfugiés de la guerre civile, est un spécialiste du mouvement révolutionnaire russe. Il a publié dans la même collection Nestor Makhno, le cosaque libertaire, Les anarchistes russes, les soviets et la révolution de 1917, Le Socialisme des intellectuels de Makhaïski (traduction et présentation).

2) Dimitri E. Michine, Sakalibas, slavanié v islamskom miré (Sakalibas, les Slaves dans le monde musulman), 2002.

3) Radhânites : aristocratie marchande du monde juif médiéval dont le nom persan, signifiant « connaisseur des routes », évoque le rayonnement mondial de l’Orient à l’Europe et à l’Extrême-Orient. Mr Jacques Attali rend hommage à leur connaissance des langues les plus variées et à leur sens des affaires qui les rendirent indispensables dans les relations entre le monde arabe et la chrétienté, notamment au cours du Haut Moyen Age (cf. Les Juifs, le monde et l’argent, Paris 2002). Des auteurs persans et arabes attestent le rôle des Radhânites dans la traite esclavagiste et leur spécialité de la castration des esclaves (par exemple Ibn Kordabeh, maître des postes persan en 847, ou Ibn Hankel, auteur arabe du Xe siècle).

4)  Georges Young, Constantinople des origines à nos jours, Payot, Paris 1948.

Abbon, 12/07/2013 http://www.polemia.com

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