Le 9 octobre 1981 était abolie la peine de mort. Ce quarantième anniversaire fait l’objet d’une célébration consensuelle unanime : ce fut un immense progrès humaniste. Est-il encore possible, en 2021, de contester ce qui est devenu un dogme de foi ?
C’est effectivement devenu un dogme de foi : l’abolition est sainte, et Badinter fut son prophète. Il est très mal vu de contester cette vérité officielle de nature religieuse.
La peine de mort est un sujet tabou dont on n’a plus le droit de parler de manière libre. En effet, l’anathémisation de la peine de mort est un des dogmes de la religion des droits de l’homme – ou encore religion humanitaire –, qui est aujourd’hui notre grande religion d’État. Toute contestation du bien-fondé des dogmes de cette religion séculière est prohibée par la police humanitaire de la pensée, d’où une disparition progressive de la liberté d’expression.
Il faut impérativement braver ces interdits et rouvrir le dossier car, en réalité, rien n’est réglé. La suppression de la peine de mort s’est faite avant tout sur le mode de l’indignation, et non pas de la réflexion. L’abolition a fait naître un droit de l’homme immoral qui détruit la confiance dans le pacte social et déshonore l’idée de droit de l’homme. Pouvoir tuer sans risquer d’être tué en punition de son crime est aujourd’hui un droit de l’homme. Le vice fondamental de l’idéologie abolitionniste est qu’elle fait passer la vie des criminels avant la vie des innocents, qu’elle reflète une préférence pour les assassins, perçus comme des victimes à sauver à tout prix. En 1973, au moment où il commençait sa croisade contre la peine de mort, Robert Badinter avait osé avouer que, tout en mesurant « l’immensité de la peine » des proches des gens assassinés, il ne se sentait pas, « au fond », du côté « des honnêtes gens, des victimes ». Inquiétant, chez un futur garde des Sceaux !
Dans votre livre Libres Réflexions sur la peine de mort, vous écrivez que celle-ci était la clé de voûte de notre justice. Est-ce à dire que sans peine de mort, la justice s’effondre et qu’il faut voir là la raison de nos soucis actuels en matière de sécurité ?
De fait, la suppression de la peine de mort a provoqué une perversion de la justice génératrice d’insécurité. Par sa simple présence dans la loi, la peine de mort était la clé de voûte d’un système pénal juste qui restait fondé sur la responsabilité de l’individu, laquelle combine deux principes : réparation et expiation. Expiation suprême, la peine de mort s’inscrivait dans une philosophie de la responsabilité de l’individu. Jusqu’à sa mise au rebut de 1981, la peine de mort, bien que très peu appliquée, légitimait toutes les autres peines, lesquelles paraissaient douces par comparaison. Au lieu de quoi, l’abolition de la peine de mort, qui était fondée sans qu’on n’ait osé le dire clairement sur l’idée d’une irresponsabilité de l’individu, a délégitimé toutes les autres peines avec, pour conséquence, un ébranlement de l’ensemble de la justice pénale, pervertie par un humanitarisme anti-pénal et un laxisme judiciaire générateurs d’insécurité au sein de la société. Agissant comme une onde de choc, l’abolition a été productrice à tous les niveaux d’une impunité toujours plus grande des criminels mais aussi des délinquants. Avec, pour conséquence, que la justice devient créatrice d’insécurité.
De Victor Hugo à Robert Badinter, les idéologues de l’abolitionnisme avaient promis une perpétuité réelle pour protéger la société contre les criminels dangereux. Mais il n’en a rien été. Le même discours humanitaire qui a réclamé et obtenu l’abolition de la peine de mort s’est ensuite retourné contre la détention perpétuelle, condamnée à son tour pour motif d’inhumanité. Car la revendication de l’abolition de la peine de mort n’était que le fer de lance d’une idéologie qui va bien au-delà de cet objectif. Déjà présente chez Hugo, l’idéologie anti-pénale affirme que le criminel n’est qu’une victime innocente de la société et conteste à celle-ci son droit de le châtier, lui fixant le devoir de soigner en lui un être blessé. Réclamant un désarmement de la société face au crime, l’idéologie anti-pénale ne s’intéresse qu’aux délinquants et aux criminels et à leur réadaptation sociale, qui est devenue l’objectif central du système pénal.
L’humanitarisme judiciaire qui a inspiré l’abolition de la peine de mort est, en réalité, générateur de barbarie. N’osant plus ou ne voulant plus punir, une justice laxiste laisse en liberté des délinquants inquiétants et remet en liberté des criminels dangereux qui ne tardent pas à passer à nouveau à l’acte. Se réclamant des droits de l’homme, la création indéfinie de droits subjectifs en faveur des criminels ainsi que la multiplication des mesures bienveillantes à leur profit fonctionnent comme une machine à fabriquer de l’insécurité. Celle-ci touche largement les policiers, lesquels sont couramment l’objet de violences pouvant entraîner la mort, voire visant à la donner, alors qu’il y avait, avant 1981, un réel respect pour leur vie car ceux qui les tuaient étaient toujours condamnés à mort et exécutés.
Éric Zemmour a relancé le sujet récemment. Robert Badinter lui a répondu par voie de presse interposée qu’il lui semblait impossible que la France revienne un jour en arrière sur ce point. C’est également votre avis ?
Il n’est pas impossible à la France de rétablir la peine de mort, en dépit de l’interdiction qui est aujourd’hui faite au peuple français de nourrir un tel projet et des verrous qu’on a placés pour y faire obstacle. Pour verrouiller l’abolition, les autorités françaises ont, en effet, enlevé la question de la peine de mort à la souveraineté des citoyens en inscrivant sa disparition dans la Convention européenne des droits de l’homme (2002) et dans la Constitution (2007). Ce faisant, on a dénaturé la démocratie. Sous l’effet de la religion des droits de l’homme, la France a abandonné le modèle classique de la démocratie libérale pour glisser vers une démocratie droits-de-l’hommiste où ce ne sont plus les citoyens qui sont souverains mais les dogmes de la religion humanitaire et les juges qui les imposent aux gouvernants comme aux gouvernés. C’est une criante violation de l’article 3 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, lequel proclame, on le sait, que « le principe de toute souveraineté réside essentiellement dans la nation ».
Comme il y a eu naguère les démocraties populaires (l’Union soviétique et ses satellites) qui étaient, en réalité, des totalitarismes, il y a aujourd’hui la démocratie droits-de-l’hommiste, qui est une forme plus feutrée mais bien réelle de totalitarisme. Dans nos démocraties perverties par la religion des droits de l’homme, comme naguère dans la prétendue démocratie qu’était le monde soviétique, les citoyens sont écrasés par des tabous idéologiques et privés de leur souveraineté. Mais il suffit de revenir à une vraie démocratie pour que devienne possible le rétablissement de la peine de mort.
Jean-Louis Harouel