Le chouchou des médias gauchisants en est aujourd’hui la « Jeune Garde » (JG) qui a été créée à Lyon en 2018 et dispose de sections à Paris et à Strasbourg. C’est le dernier-né d’une nébuleuse prétendument antifasciste (entendez anti patriotes) en pleine ébullition. On ne compte plus les livres publiés sur le sujet. Un jeu de société, créé par le collectif La Horde et édité avec les éditions Libertalia, vient même de voir le jour. Le but : faire exister un groupe antifa face aux exactions de l’extrême droâââte. Ce bouillonnement est, pour ces activistes, une réponse à la place prise par les idées dites d’extrême droite dans la vie politique française. En réalité, ces gens-là ont toujours existé et ont toujours cherché à nuire à la France. Une vieille tradition de gauche…
La JG dénote dans le paysage antifasciste français, avec une composition beaucoup plus féminine que celle des autres groupes existants, des militants qui avancent à visage découvert et qui ont un système de porte-parolat. Ils défendent une ligne unitaire et parlent avec un grand nombre de formations de gauche, aussi bien des partis que des syndicats.
Plusieurs personnalités de gauche (par exemple, Olivier Besancenot, tout le groupe parlementaire de La France insoumise, des écologistes, des communistes, mais également des intellectuels), ainsi que des formations politiques et syndicales, ont signé l’appel à l’union. « On se réadapte, notamment avec l’arrivée de Zemmour. L’espace médiatique est pris par l’extrême droite et ses thèmes. On essaye de contribuer à ce que notre camp montre une certaine unité. L’idéal serait que les organisations de gauche aient un corpus commun sur l’extrême droite », détaille Raphaël Arnault, le porte-parole.
Ayant « entre 20 et 30 ans », M. Arnault est « passé par le Nouveau Parti anticapitaliste [NPA] ». Mais il tient à préciser que la JG n’est en rien une émanation de la formation d’extrême gauche. « Nous ne sommes pas des dogmatiques, on passe par l’action. Notre antifascisme est un antifascisme de classe », résume-t-il sans rire. Conséquence : les discussions avec la gauche s’arrêtent au Parti socialiste. Et la présence du communiste Fabien Roussel à un rassemblement de policiers, en mai devant l’Assemblée nationale, a rafraîchi les relations avec le PCF.
L’antifascisme – nébuleuse composée de groupes affinitaires, sans structuration nationale et sans stratégie commune – profite de l’affaiblissement des formations politiques de gauche. Leurs satellites SOS Racisme (proche du Parti socialiste), le Mouvement contre le racisme et pour l’amitié entre les peuples (MRAP, proche du PCF) et Ras l’front (proche de la Ligue communiste révolutionnaire, ancêtre du NPA) ont soit disparu, soit sont en très mauvaise santé. « Il y a une partie de la jeunesse révulsée par la “zemmourisation des esprits”. Les étudiants ou les lycéens voient et entendent des trucs ahurissants, explique Théo Roumier, syndicaliste à SUD-Education. La Jeune Garde fait le pont entre les combats antiracistes et antifascistes. Elle a une approche unitaire très forte. »
La JG a ainsi une nature ambivalente. C’est une sorte de pivot pour unir la gauche de la gauche dans la lutte contre la droite patriote, et elle avance à visage découvert. Tant mieux car cela permet une meilleure identification des ennemis de la France. Mais, dans le même temps, ses membres assument un « antifascisme de rue », s’entraînent à des sports de combat, comme l’illustre leur page Facebook. « Comme les Toujours prêts pour servir, il y a la question unitaire et la volonté d’occuper la rue », reconnaît Raphaël Arnault.
Si l’antifascisme a toujours existé à gauche depuis les années 1930, il y eut des phases de reflux. L’antifascisme que l’on connaît est l’héritier de celui réapparu au début des années 1980, au moment où le Front national (aujourd’hui Rassemblement national) connaissait ses premiers succès électoraux.
C’est à Toulouse, en 1984, qu’apparaissent les Sections carrément anti-Le Pen (Scalp). « L’antifascisme revient alors comme une lutte fédératrice. C’est un combat que l’on peut gagner, que l’on peut réussir à atteindre. Cela a fédéré différentes générations. Avec Le Pen, on a un objet. Il y a aussi la rencontre avec le rock alternatif, c’est une lutte qui s’inscrit dans la culture populaire », rembobine Hervé, du collectif La Horde. Comme la très grande majorité des antifas, ce dernier souhaite conserver l’anonymat. Depuis cette époque, le milieu antifasciste français garde une forte proximité avec les libertaires et les anarcho-syndicalistes de la Confédération nationale du travail (CNT), même si le reste de l’extrême gauche était aussi impliqué, notamment au sein de Ras l’front.
Après le 21 avril 2002, où Jean-Marie Le Pen accède au second tour de la présidentielle et perd face à Jacques Chirac, le FN ne voit aucun de ses candidats élu lors des législatives qui suivent. Les manifestations de l’entre-deux-tours ont montré, pense-t-on alors, un rejet massif de l’extrême droite. L’antifascisme perd son objet, son ennemi autour duquel il définissait son action. Et disparaît quasiment pendant une petite dizaine d’années. Les militants basculent vers d’autres luttes, altermondialistes voire écologistes notamment.
C’est dans les années 2010 qu’un nouvel antifascisme apparaît. Tout le milieu se restructure. Dans cette effervescence militante, Paris fait alors figure de cas à part. Un antifascisme d’un genre nouveau apparaît, influencé notamment par la culture ultra de la tribune Auteuil du Parc des Princes. C’est dans cet écosystème que l’Action antifasciste Paris-banlieue (AFA) voit le jour.
Ce groupe deviendra incontournable dans la mouvance antifa. « Il y a alors une rupture générationnelle dans le mouvement antifasciste parisien, confirme un militant qui évolue dans ces milieux. Avant, c’était très influencé par le punk rock et les redskins [skinheads d’extrême gauche], la CNT y était hégémonique. Le nouveau mouvement antifa naît avec une génération tournée vers le stade, le Parc des Princes, notamment à Auteuil, qui est fortement implantée en banlieue, dans les quartiers peuplés d’immigrés, et qui a plus une culture rap. C’est le moment de “la guerre des tribunes”, où des gens du stade sont venus avec les antifas pour aller trouver les mecs de Boulogne. »
D’ailleurs, quelques années plus tôt, en 2005, les émeutes en banlieue sont aussi un tournant souligné par plusieurs antifascistes. A ce moment-là émerge l’antiracisme politique, qui infuse dans l’antifascisme. Cela amène non seulement de nouveaux militants issus de l’immigration mais aussi de nouvelles thématiques comme la lutte contre les violences policières et « le racisme d’Etat ».
Les ferments de la guerre civile raciale qui vient.
A Paris, les antifas font du quartier de Ménilmontant, et par extension du nord-est de la capitale, une base forte, un embryon de contre-société. Au fil des années, un bar est ouvert, le Saint-Sauveur, servant de point de ralliement ; une équipe de foot, le MFC 1871 est créée. Des librairies naissent aussi, comme Libertalia, à Montreuil (Seine-Saint-Denis). L’AFA est au cœur de ce milieu. La mort de Clément Méric, l’un de ses militants, en 2013, lors d’une rixe avec des skinheads de la droite radicale, la met sur le devant de la scène médiatique et politique, la surexpose sans qu’elle y soit préparée. « D’un coup, on est devenus publics, alors que l’on venait de quelque chose de contre-culturel », affirme un militant.
Pour l’AFA, l’antifascisme ne se résume pas à la lutte contre l’extrême droite. « Le fascisme, c’est aussi la répression policière, le racisme d’Etat. Si, demain, le fascisme arrive, je compte autant, sinon plus, sur la résistance des quartiers populaires que sur les syndicats ou l’extrême gauche », affirme-t-il.
David, 35 ans, militant antifasciste lillois, confirme : « Le fascisme, ce ne sont pas les groupes les plus radicaux qui l’incarnent le mieux. La pointe avancée du fascisme, c’est Eric Zemmour. Mais ce qui permet à ces discours de se diffuser dans l’opinion, c’est les dirigeants et leurs politiques, leur bras armé qui est la police. Ils sont au pouvoir, ils sont armés et font des victimes dans les quartiers populaires, chez les racisés, et s’en prennent aux mouvements sociaux dans un contexte de crise économique latente. La fascisation n’est pas que la pointe avancée, mais le système entier. » C’est ce qui explique la présence de l’AFA dans les mouvements sociaux, comme celui contre la loi travail en 2016 ou les « Gilets jaunes » en 2018-2019. On les retrouve au sein du cortège de tête où sont les éléments les plus radicaux.
Différentes lectures existent donc au sein de l’antifascisme, pour définir son objet. Pour la Jeune Garde, il s’agit de lutter prioritairement contre l’extrême droite et la diffusion de son discours. Pour l’AFA, c’est le système entier, celui qui produit les idées d’extrême droite, qu’il faut abattre.
Ugo Palheta, sociologue, enseignant à l’université Lille-III, coauteur, avec Ludivine Bantigny, de Face à la menace fasciste (Textuel, 128 pages, 14,90 euros), confirme cette dichotomie : « La manière la plus simple de définir l’antifascisme est de dire que c’est la lutte contre l’extrême droite et tout ce qui la nourrit. Si l’on met l’accent sur la première partie, on est dans la confrontation politique, intellectuelle, voire physique quand cela est jugé nécessaire. Si l’on met l’accent sur la seconde, on dénonce la dérive autoritaire de l’Etat, le racisme systémique, la mise en concurrence généralisée, etc. » Ou comment décrire les derniers hoquets d’une gauche à l’agonie !
D’ailleurs, voici ce que nous disent les sociologues en question : « Faut-il lutter contre les petites bandes ou contre les lois antimigrants ? L’antifascisme ne peut plus être sectoriel ou monothématique. Il doit devenir le langage commun de tous les mouvements d’émancipation. Il faut, par ailleurs, s’adapter à ce qu’est devenue l’extrême droite aujourd’hui et à la dimension plus complexe, plus habile, de son discours. » C’est sans doute là le défi le plus périlleux à relever pour les antifascistes. Celui qui les perdra.
Sur le plan emblématique, la Jeune Garde utilise les traditionnelles « trois flèches » orientées vers la gauche. Le symbole est connu des initiés : c’était celui des groupes d’autodéfense socialistes français des années… 1930, Toujours prêts pour servir (TPPS) et Jeunes Gardes socialistes (JGS), qui entendaient répondre, dans la rue, aux ligues de droite de l’époque. Ils avaient repris les « trois flèches » de leurs camarades allemands qui symbolisaient le combat contre la réaction, le nazisme et le stalinisme. Plus tard, après la guerre, la Section française de l’internationale ouvrière (SFIO, ancêtre du PS) adoptera ce symbole comme logo officiel.
Ses membres reproduisent le signe en plaçant une main vers le bas, joignant le pouce et l’index, laissant les trois autres doigts tendus. Cela complète un autre logo, beaucoup plus répandu dans la mouvance « antifa » : deux drapeaux se superposant dans un cercle. Ironie de l’histoire, ce dernier est inspiré de l’Antifaschistische Aktion, groupe lié au Parti communiste allemand dans les années 1930. Chassez le naturel, il revient au galop !
L’Espagne a connu les mêmes divagations avant 1936. On sait comment cela s’est terminé.