L’un des moyens de diaboliser un homme public est de l’affubler d’une appartenance à “l’extrême-droite”. Dans le “sinistrisme” propre à l’idéologie qui règne dans le microcosme qui fabrique la formation et l’information dans notre pays, le déséquilibre est marqué entre une extrême-gauche dont la violence est minimisée, ou excusée par la générosité d’idées qui vont dans le sens vertueux du progrès, et une extrême-droite rétrograde, réactionnaire et ultra-violente. C’est ainsi qu’on oubliera que l’extrême gauche révolutionnaire, et même la gauche en général, avec les Jacobins, a été lors de la Révolution française à l’origine d’un totalitarisme que la Révolution anglaise avait évité et qui est devenu un modèle : exécution du monarque, certes, mais aussi de sa famille, massacre des opposants, génocide de populations récalcitrantes, éradication de la culture nationale, de sa religion et de ses fêtes, transformation du langage et maîtrise de la pensée à travers celle de la langue.
La prétendue “Terreur blanche” en France est un faux semblant inventé pour tenter d’équilibrer les horreurs sanglantes de 1793-1794. Sait-on que Saint-Just vantait la tannerie de Meudon pour la qualité de ses culottes en peau humaine ? Celle d’Angers était notamment réputée pour avoir fourni aux contingents Bleus des Ardennes, des culottes découpées sur les cadavres des fusillés Vendéens. En face de cette férocité enveloppée dans la rhétorique des “Lumières” mêlées de rousseauisme, les représailles ou vengeances des royalistes ont été timorées. Fouché, le boucher de Lyon, qui fauchait au canon les opposants faits prisonniers, est mort en exil, de sa belle mort.
Les parents du Général de Gaulle étaient des catholiques fervents, des patriotes ardents, et conservaient une sensibilité monarchiste, viscérale chez Jeanne selon Philippe de Gaulle, son petit-fils . Mais le classement des personnes dans des cases étroites, cette tendance malheureuse et stupide qui se répand de plus en plus aujourd’hui où l’on réintroduit même la couleur de la peau, se heurte à la complexité mouvante du réel : comme chez beaucoup de légitimistes, la foi l’emportait sur la politique et déterminait chez eux l’épanouissement d’une fibre sociale. D’une grande rigueur morale, Henri, le père, était dreyfusard. Néanmoins, Charles de Gaulle laisse percer cet héritage : s’il est sensible à la gloire napoléonienne, il écrit à plusieurs reprises que le grand homme avait laissé la France plus petite qu’il ne l’avait trouvée. Dans la France et son armée, le jugement sur Napoléon est mitigé. Celui sur la monarchie l’est beaucoup moins : hommage à Louvois d’abord, et surtout insistance sur les capacités militaires réunies par Louis XVI qui ont permis sa victoire contre les Britanniques et l’indépendance des Etats-Unis, et ont été au coeur des succès de la Révolution et de l’Empire.
De Gaulle n’affiche pas nettement de position politique entre les deux guerres. Il sera proche de Pétain qui est considéré comme un maréchal républicain. Il rencontrera Blum pour lui exposer ses théories sur l’armée de métier et les blindés. Celui-ci aura une attitude typiquement socialiste, bêtement idéologique, mettant la politique intérieure avant l’intérêt national : il craignait que cette armée ne devînt celle d’un coup d’Etat ! De Gaulle ne sera compris et suivi que par Paul Reynaud qui en fera un sous-secrétaire d’Etat, source de la légitimité “républicaine” de l’homme du 18 Juin. Néanmoins, nombre de ceux qui le rejoignent dès le début de sa “Résistance” sont en fait vraiment des hommes d’extrême-droite, peu attachés à la République, mais bien davantage à la France, membres de l’Action Française et parfois cagoulards. Le colonel “Rémy”, Honoré d’Estienne d’Orves, Philippe de Hauteclocque qui deviendra le maréchal Leclerc seront parmi les premiers. Quant à Roosevelt, il cultivera longtemps un préjugé défavorable: “un fanatique et une nature fasciste”, dira-t-il du Général !
“Fasciste, extrême-droite”, c’est la vieille tactique conseillée par Staline, qui lui ne se trompait pas sur le patriotisme légitime de de Gaulle, mais conseillait aux communistes de traiter de fascistes leurs adversaires, quels qu’ils fussent, car le temps qu’ils mettraient à s’en défendre les empêcherait d’attaquer. De Gaulle avait un idéal, en fait très concret, qui était la France qu’il voulait la plus forte possible, condition inéluctable pour assurer la liberté et la prospérité des Français. Cet idéal de bon sens, il ne le voulait ni de droite ni de gauche, mais malgré lui, il penchait à droite dans la mesure même où la gauche a systématiquement affaibli la France politiquement, économiquement et militairement. Alors on pourra constater ses efforts durant la guerre pour rallier à lui la gauche radicale et socialiste afin de ne pas laisser le poids des communistes devenir trop lourd et on pourra de même insister sur le fait que parmi ses adversaires les plus résolus se trouvaient les nostalgiques de Vichy et les partisans de l’Algérie française qui se réunirent en 1965 derrière Tixier-Vignancour et contribuèrent à une élection plus difficile que prévue. Mais, quand on regarde les motivations de sa politique algérienne telles qu’il les rappelle dans ses “Mémoires d’Espoir”, on perçoit qu’elles étaient nourries par l’exigence de l’intérêt national plus que par un “droit” abstrait. “L’intégration n’était pour moi qu’une formule astucieuse et vide… Cela reviendrait à maintenir la France enlisée politiquement, financièrement et militairement… Ce serait, en même temps, enfermer notre armée dans l’impasse… Quoi que j’aie moi-même .. espéré à d’autres époques, il n’y avait plus, à mes yeux, d’issue en dehors du droit de l’Algérie à disposer d’elle-même”.
Qui imaginerait que la continuité de la France et de son Etat, inséparable de l’unité nationale et de l’indépendance du pays, qui était l’essence même du gaullisme en 1940, puisse s’accommoder de la situation que les politiciens qui se sont succédé au pouvoir ont créée : un archipel multiculturel, des îlots perdus, une démocratie légitime soumise à la technocratie bruxelloise, une France à la remorque de l’Empire américain ? Si résister à cette dérive, c’est être d’extrême-droite, alors il faudrait en conclure que De Gaulle était d’extrême-droite, ce qui est absurde. Il était ardemment patriote, idéaliste dans ses buts et réaliste dans les moyens déployés pour les atteindre.
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