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Du commerce et des cannibales

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Peut-être doit-on regretter que nos gros médias et nos chers commentateurs agréés demeurent si discrets sur la dégringolade monétaire de la Turquie. Pourtant, la participation du ministre français des Affaires étrangères M. Le Drian, pendant 3 jours, à la réunion quadripartite des pays quotidiennement menacés par les provocations d'Ankara en Méditerranée orientale, la France se tenant aux côtés de l'Égypte, de Chypre et de la Grèce, pays habituellement considérés comme amis, et auxquels nos industries de défense vendent des armes, pourrait au moins les interpeller.

En 5 jours le 19 novembre le cours de l'euro par rapport à la livre turque avait progressé de 10,74 %. Depuis le 1er janvier la hausse correspondante aura été de 39,36 %. En 5 ans de 254,28 %.

Le salaire minimum national turc fixé au 1er janvier évolue lui-même de manière beaucoup plus lente. En monnaie nationale il était en 2016 de 1 647 livres turques soit l'équivalent de 518 euros ; en 2021 l'ouvrier spécialisé turc recevait certes 3 577 livres chaque mois, mais cette somme ne correspondait plus qu'à 393 euros. Lequel euro lui-même a perdu entre-temps quelque 2 % par an.

Certes les spéculateurs internationaux sont sans doute tentés d'y voir un encouragement à la délocalisation de certaines productions, sous-traitances légales et contrefaçons, vers ce pays, petite Chine proche-orientale. Rappelons que malgré un vote négatif du parlement de Strasbourg, l'intelligent M. Juppé, le meilleur d'entre nous Chirac dixit, l'a imposé en 1993 dans l'Union douanière, ceci sans qu'il soit admis dans l'Europe communautaire aux normes si contraignantes. Cela lui confère un statut qu'il partage avec les principautés d'Andorre et de Monaco et la république de Saint-Marin, moindres concurrents industriels. Cherchez l'intrus. Les curieux se souviendront que l'Angleterre avait aimablement proposé, en 2017, de rejoindre cette petite cohorte mais que le [très méchant] négociateur continental Barnier ne l'a pas permis.(1)⇓

Tout ceci stimule grandement surtout les tensions nationalistes et l'agitation frénétique d'Erdogan lequel persiste, particulièrement depuis 2016, dans son alliance politique avec le parti des Loups Gris et une gestion financière catastrophique.

Sans doute est-il nécessaire de souligner que cette double fuite en avant cherche et trouve des arguments islamiques : Ankara entend devenir une puissance globale en se plaçant à la tête de l'islam mondial sunnite et, en adepte littéral du Coran et des hadiths, s'emploie à entraver le prêt à intérêt.

Erdogan passe encore auprès de certains bureaucrates de l'OTAN, demeurés dans les anciens schémas hériéts de la guerre froide, à l'époque où son pays était gouverné par les kémalistes, pour un allié, un partenaire indispensable, de l'Occident.

Il se retrouve en phase avec un autre gouvernement islamiste sur l'alliance duquel le Département d'État à Washington a longtemps misé, celui du Pakistan.

Cette illusion se dissipe, mais aujourd'hui une autre se dessine, chez nos géostratèges, celle de voir le Nigeria devenir principal interlocuteur en Afrique subsaharienne. Votre chroniqueur n'hésitera pas sur ce sujet à se citer lui-même. Publiant régulièrement dans Présent, une rubrique factuelle présentée comme la moderne version, à l'heure d'internet, du Tour du monde de Philéas Fogg, voici ce qu'il remarquait à ce sujet en date du 16 novembre :

Le 11 novembre, à Paris, un certain nombre de présidents africains s’étaient retrouvés autour de Macron Ier, et de son épouse Brigitte, pour le Forum de la paix. Quatrième édition de cette invention de notre chef d’État bien-aimé, cette aimable réunion, à laquelle s’était jointe la vice-présidente américaine Kamala Harris, se propose de mieux intégrer notamment le continent noir dans le processus de mondialisation. L’initiative prétend ne réunir exclusivement que ce qu’elle considère comme des démocraties.

La veille, le 10 novembre, s’était tenu, toujours à Paris, le Forum du partenariat international du Nigeria.

Dans la bonne ville d’Abuja, substituée il y a 30 ans à Lagos comme nouvelle capitale du Nigeria, on ne peut que s’en réjouir. Le président français est considéré comme un « ami » de cet énorme État de 219 millions d’habitants, le géant de l’Afrique. Première puissance économique du continent, la 27e au niveau mondial relativement à son PIB calculé par la Banque mondiale, sa richesse repose, sans surprise, sur le pétrole. La corruption n’y est pas inconnue.

Le 12 novembre, le quotidien pro-business de Nicolas Beytout, L’Opinion, publiait sans trop rechigner une « tribune » signée de son président Muhammadu Buhari, réélu en 2019, démocratiquement pour sûr. Ce grand homme se félicitait, alors que son pays est entouré de quatre pays francophones, de voir l’intérêt constamment manifesté par Emmanuel Macron, dès 2018, pour une nation anglophone comme la sienne.

À vrai dire, les bonheurs de Buhari ne sont pas sans mélange. La guérilla interminable de Boko Haram dure depuis douze ans, ayant abattu plus de 40 000 victimes civiles, sans parler des enlèvements de fillettes arrachées à l’éducation occidentale.

Les militaires aussi sont tués : le 13 novembre c’était encore le tour de sept soldats dont le général Zirkusu.

Un autre aspect, plus inquiétant pour le tourisme, est celui du massacre systématique et massif des chrétiens par les djihadistes. Les spécialistes y voient un génocide, un règlement de compte séculaire courant en Afrique entre les bergers peuls, convertis à l’islam, et les sédentaires, chez lesquels se recrutent les chrétiens habituellement protestants.

On ne réfléchira donc jamais assez aux conséquences négatives du cynique dicton anglais, simple sinon simpliste : "on peut tout acheter aux cannibales, excepté la viande". Élémentaire mon cher Watson.

JG Malliarakis  

Apostilles

  1. cf. in La Voix du Nord du 15 août 2017 : "Londres plaide pour une union douanière provisoire après le Brexit"

https://www.insolent.fr/

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