• Avant-propos : La question territoriale russe a été primordiale. Immédiatement après la Révolution de 1917. Néo-nationaliste russe d’aujourd’hui, Sergueï Constantinov dévoile dans son texte — qui choquera sans doute beaucoup d’Occidentistes sinon d’Occidentaux — ce que retiennent les patriotes actuels du stalinisme. Ils reprochent à Lénine et à Gorbatchev d’avoir accepté le principe de la sécession et adhèrent au principe stalinien de l’autonomie sans droit de sécession. Ces questions peuvent paraître vaines à l’observateur ouest-européen d’aujourd’hui, mais le débat entre Lénine et Staline sur les questions nationalitaires dans l’ex-empire russe ou dans l’ex-URSS constituent un débat de base sur toute organisation continentale.
En effet, un peuple a pleinement droit à son autonomie ou à son indépendance culturelle. Il n’a pas le droit d’opérer une sécession en faisant simultanément le jeu d’un adversaire global, dont les bases se situent sur un autre continent, ayant intérêt à organiser le chaos sur les rives qui lui font face. Mais les franges frontalières de l’ex-empire russe ne pouvaient pas admettre d’être coupées du reste de l’Europe. La pratique de la sécession, dans leur cas, peut être acceptée d’un point de vue ouest-européiste mais non d’un point de vue eurasien ou d’un point de vue qui donnerait à l’OSCE le rôle d’organiser organiquement et militairement le destin des peuples d’Europe et de l’ex-URSS.
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Après la Restauration des Bourbons en 1814, toute l’histoire de France, de Mirabeau et Robespierre jusqu’à Napoléon, fut rayée des mémoires et des manuels ou frappée de malédiction ; de même, en Russie, la période stalinienne de l’histoire nationale fut livrée au plus cruel des ostracismes et non plus étudiée objectivement. D’une certaine façon, on peut le comprendre : les individus, enivrés par l’idéologie libérale du marché, n’auront de chances de succès dans un pays dont l’intégrité territoriale, l’économie et la culture ont été ravagées de fond en comble, où domine désormais une conscience nationale dégradée, que s’ils parviennent à imposer une relation sado-masochiste à l’égard des temps d’héroïque abnégation du peuple soviétique et de son chef Staline. Tout comme autrefois en France Robespierre et Napoléon furent soumis, à titre posthume, au jugement de la valetaille et des débris de l’aristocratie bourbonnaise, aujourd’hui, en Russie, Staline est livré au jugement posthume des valets du “nouveau mode de pensée” gorbatchevien dont les spécialistes démographes seraient bien avisés, d’ailleurs, de dresser le bilan du nombre des victimes.
Génie et scélératesse
L’histoire a réfuté — et continue à réfuter — la formule de Pouchkine selon laquelle « génie et scélératesse sont deux choses incompatibles ». Tous les grands empires mondiaux furent créés précisément par ceux qui combinaient en eux génie et scélératesse. La malédiction portée contre l’empire que fut l’URSS est un défi à la logique de toute l’histoire mondiale. Ce n’est pas par hasard que la fraction anti-nationale de l’élite soviétique, ayant maudit et abjuré l’URSS, s’oriente maintenant à grands pas vers le rabaissement de l’ensemble du passé impérial de la Russie séculaire : les ennemis de toute forme d’empire comprennent parfaitement que les sentiments impériaux du peuple représentent l’un des principaux obstacles sur la voie de notre défaite définitive dans la “guerre froide” menée contre les États-Unis et leurs alliés.
La qualité géopolitique des plans et des actes de Staline doit faire l’objet d’une étude honnête et sérieuse, indépendamment de tout cliché idéologique, étude destinée à contribuer au rétablissement de nos aspirations géopolitiques eurasiennes perdues, sans la réalisation desquelles la Russie est vouée au rôle de colonie impitoyablement exploitée par les bâtisseurs du “nouvel ordre mondial” qui décideront dans quelles frontières il lui faudra exister. Ainsi, en avril 1992, dans le projet de politique extérieure de Fonds américain du Patrimoine, Kim R. Holmes et Jay P. Kozminski conseillaient avec insistance à l’administration des États-Unis de tout faire afin que « l’Union Soviétique ou un État semblable ne puisse plus jamais apparaître ». Plus loin dans ce rapport, on vise à prévenir le possible rétablissement de l’URSS ou d’un État similaire, et on recommande au Pentagone de « continuer les recherches et les applications dans les domaines de la défense anti-sous-marine, des armes de grande précision, des technologies anti-satellites » et autres formes d’armement. Tout cela afin que l’Amérique puisse continuer « même par la suite à jouer un rôle global (…) nécessaire pour la défense des États-Unis (…) de ne pas admettre le contrôle par des puissances hostiles aux États-Unis des principaux centres industriels d’Europe et d’Asie, ainsi que sur cette région-clé pour les matières premières, le Golfe Persique ».
Le potentiel de la géopolitique de Staline
Les patriotes de Russie, en s’appuyant sur les meilleurs travaux nationaux de géopolitique, doivent s’opposer à un schéma aussi impitoyable. Et ici, le potentiel de la géopolitique de Staline est susceptible de rendre un éminent service. C’est à ce titre que Staline doit intéresser aujourd’hui les patriotes : non pas comme “fossoyeur de la révolution” et “combattant contre le sionisme”, mais comme géopoliticien, étatiste et homme d’empire ayant résolu une série de problèmes fondamentaux en faveur de la Russie avec une dimension véritablement impériale et une force devant laquelle durent plier et battre en retraite les principaux impérialistes de ce XXe siècle, eux aussi politiciens assez retors, Roosevelt et Churchill.
Staline, le rassembleur de la Russie
En 1951, la célèbre historien S. P. Melgounov écrivit dans l’un de ses articles qu’il n’y a pas en Russie « de combustible dont l’allumage pourrait mener à la désintégration du pays. Le mal bolchevik contemporain, lui-même, peut rendra un grand service : le bolchevisme lie puissamment antre elles les nationalités de Russie ; le pouvoir sinistre de la dictature du Kremlin, quoiqu’il en soit, existe dans l’intérêt immédiat de l’unité nationale ». Pour connaître le rôle joué par Staline dans le maintien de l’unité nationale russe, il suffit d’examiner les faits.
Le Staline étatiste et unitariste s’était formé déjà dans la période d’avant octobre de l’histoire du bolchevisme. Dans son ouvrage fondamental, Marxisme et question nationale (1913), il voyait la seule solution possible de ce problème dans l’autonomie régionale d’« unités déterminées comme la Pologne, la Lituanie, l’Ukraine, le Caucase, etc. », sans faire aucune allusion à une possible séparation.
Au cours de cette même année 1913, la réunion du CC du POSDR à Poroninskoe (à laquelle Staline, alors en exil, n’assistait pas) adopta la résolution rédigée et présentée par Lénine dans laquelle le droit des nations à l’auto-détermination était considéré comme le droit de chaque peuple de Russie à la sécession et à la formation d’un État indépendant. Il est intéressant de remarquer que Lénine avait l’intention de neutraliser par l’instinct anti-séparatiste de Staline les effets spontanés et fortuits pour les bolcheviks de cette bombe à retardement dirigée contre l’intégrité territoriale de la Russie. Ainsi, la résolution de Poroninskoe stipulait que « la question du droit des nations à l’autodétermination est indissolublement liée à la question de la rationalité de la séparation d’une nation quelconque ». Cette proposition reproduisait presque textuellement la thèse stalinienne selon laquelle la social-démocratie n’était aucunement obligée et ne comptait d’ailleurs pas « défendre n’importe quelle exigence des nations ».
À suivre