par Axel Tisserand
On se rappelle que l’élection présidentielle américaine a provoqué des dommages collatéraux sur l’édition française. N’est-ce pas, en effet, en raison d’un manque de sérénité qui était dû, paraît-il à la nouvelle situation internationale engendrée par l’élection de Donald Trump et sa lutte contre le wokisme, que les Presses universitaires de France (PUF) ont cherché à censurer la parution d’un livre cosigné par de nombreux universitaires, dont Pierre Vermeren : Face à l’obscurantisme woke ? Ce qui démontrait la vérité même de leur combat contre cette nouvelle forme de totalitarisme : de même que Descartes prouvait le mouvement en marchant, les wokistes, et leur général en chef du Collège de France, l’historien médiéviste Patrick Boucheron, devenu l’historien officiel des Jeux olympiques et du petit monde parisien macroniste, ne pouvaient mieux se dévoiler qu’en demandant et obtenant, provisoirement, la censure de ce livre collectif.
Il est vrai que les auteurs en justifiaient ainsi le propos : « Se parant de la légitimité universitaire et se réclamant d’une démarche scientifique, cette idéologie n’en constitue pas moins une formidable régression de la rationalité et de l’universalisme. Sous ses atours vertueux, ce dogmatisme fait le lit de l’obscurantisme. » Jusqu’à la vandalisation, le jour de la sortie du livre, des locaux des PUF. Retardé de plus d’un mois, il fut difficile à trouver seulement deux jours après sa sortie… en attendant une réédition bienvenue. Interrogé sur le sujet dans La Nouvelle Revue universelle, Jean Sévillia, qui venait de faire paraître, chez Perrin, Les Habits neufs du terrorisme intellectuel — une nouvelle mouture, revue et augmentée, de son Terrorisme intellectuel paru en 2000 — répond alors : « Cette affaire a été emblématique, illustrant comment fonctionne le terrorisme intellectuel dans le monde universitaire dès lors qu’un ponte du Collège de France jette un interdit sur un livre même pas encore paru. Un phénomène aggravé, vous avez raison, par le contexte international. L’élection de Donald Trump freinera peut-être le wokisme aux États-Unis, mais, en France, elle donne au contraire un coup de fouet au terrorisme intellectuel ».
Fort heureusement, au pays de Voltaire, comme diraient les Républicains… Trêve de plaisanterie, car le sujet est grave. Emmanuelle Hénin souligne, dans son introduction : « La France, longtemps immunisée par sa tradition cartésienne et universaliste, doublement rétive à l’irrationnel et aux communautarismes de tout poil, a fini par céder à l’épidémie obscurantiste », ou à ce « nouvel obscurantisme » que « trois adjectifs contribuent d’emblée à […] caractériser : il est élitiste, totalitaire et systémique ». Ce faisant, Emmanuelle Hénin révèle ce qui constitue à la fois tout l’intérêt et les limites d’un ouvrage nécessaire mais qui laisse sur sa faim.
L’intérêt est majeur. C’est en effet un tour d’horizon complet et étayé du phénomène wokiste auquel procèdent les auteurs, universitaires venus de tous horizons et bardés de diplômes mais s’exprimant dans une langue claire et précise, ne cherchant pas, dans la plupart des cas, à jargonner pour impressionner le péquin moyen. Ce livre s’adresse à tous, comme on dit, et c’est fort bien. Car le wokisme ne faisant pas dans le détail, il est nécessaire que chacun puisse se faire une idée sur cette agression radicale contre toute forme de science en particulier et contre l’intelligence en général. Divisé en trois parties — « La subversion des institutions », « Sciences sans conscience », « Fracturations identitaires » —, il s’attaque à la démarche wokiste dans tous les domaines — institutionnel et politique, scientifique, communautaire , pour dénoncer à la fois les origines — notamment une possible « matrice calviniste » accouplée à la french theory —, la pratique et les effets délétères de ce « courant ignorantiste » qui ne produit que des « pseudo-savoirs » et, dès lors, « impose ses théories par le terrorisme intellectuel ». Le livre refermé, il ne reste plus rien du wokisme en termes de crédibilité.
Mais, en voulant lourdement opposer l’esprit républicain et « universaliste » au wokisme la plupart des auteurs pèchent, du coup, par un angélisme idéologique qui pourrait leur être reproché, un aveuglement, ou du moins un simplisme intellectuel qui ne fait pas bon ménage avec la multiplicité et la complexité des sujets étudiés. Ainsi, est-ce en réhabilitant un « roman national » républicain et jacobin dont la dénomination elle-même indique le caractère fictif que nous lutterons contre les fracturations identitaires ? Est-ce en opposant un wokisme à un autre ? N’est-ce pas plutôt parce que ce « roman national » républicain, strictement idéologique, avait déraciné les Français, que ceux-ci, affaiblis dans leurs forces vives pour avoir échangé une culture enracinée et plurielle contre des mantras abstraits, n’ont rien eu à opposer à la faillite idéologique de la république de Jules Ferry ? Le (dé)colonialisme est à ce titre une exemple aussi douloureux qu’éclairant. On peut bien sûr, comme Guylain Chevrier, pourtant docteur en histoire, chanter « le principe d’indivisibilité […] de la République “une et indivisible” héritée des révolutionnaires de 1789 » et « imposée en lieu et place d’une monarchie arbitraire » : on se dit alors que, face à une telle méconnaissance historique de ce que fut la monarchie française, face à une telle indigence critique, le wokisme a encore de beaux jours devant lui.
De même, il est bien de célébrer le pays de Descartes. Et de dénoncer l’irrationalisme des wokistes, qui en viennent à nier les vérités scientifiques les mieux établies, voire leur universalité — les mathématiques sont particulièrement dans leur viseur. Mais attention à ce que le recours au rationnel ne dérive pas en un rationalisme asséchant, un scientisme aussi ringard que dangereux. Certes, chaque universitaire milite pour son domaine, mais pas trop n’en faut ! Et si on comprend que Leonardo Orlando, docteur en science politique et philosophie des sciences, et dont les cours ont été annulés par Science Po, temple du wokisme, dénonce « l’université contre Darwin », et « le déni de la biologie et de la théorie de l’évolution dans les sciences sociales», cela nous a néanmoins un petit air de déjà-vu ! Si toute phobie doit être récusée, on le sait, faut-il pour autant passer de la juste dénonciation de « la “biophobie” des sciences sociales » — il faut favoriser les interactions entre les sciences — à un discours promouvant une bio-sociologie (dénoncée par Maurras qui emploie le mot), voire une sociobiologie que la nouvelle droite, en son temps, dans un darwinisme social peu recommandable, hérité de la fin du XIXe siècle, tenta de faire valoir ? Et il est peut-être quelque peu dangereux de penser que « tant que nous ne naturaliserons pas l’ensemble des disciplines qui étudient le monde social, nous demeurerons dans la pénombre pour guider nos politiques publiques », afin, là encore, de suivre « la voie que nous ont donné les Lumières et qui nous ont permis de sortir des ténèbres de la superstition ». Amen ! Demander, comme notre auteur par exemple, à la biologie d’« expliquer » la religion et donc, à terme, d’effacer le sens religieux de l’homme, nous paraît mener tout droit au totalitarisme, sur fond d’un scientisme dont la menace serait égale à celle du wokisme. Rappelons-nous qu’au XXe siècle, le matérialisme scientifique n’a rien donné de bon, que ce soit en Allemagne ou en Union soviétique. Le matérialisme scientifique est un obscurantisme comme un autre.
« L’obscurantisme dont on parle dans ce livre n’est pas une métaphore, mais le produit d’une conjonction malheureuse que nos élites culturelles, politiques et administratives ont nourri pendant deux générations », analyse Pierre Vermeren. Et Pierre-André Taguieff de remarquer dans sa conclusion : « Il va donc falloir compter avec le type du pseudo-philosophe ou du néo-philosophe jouant l’expert omniscient, le maître de sagesse […] ou le prophète inspiré. » Or, dans le domaine de l’intelligence, comme dans le domaine politique — qui en est une application à la vie des cités —, il faut s’interdire tout désespoir. Du reste, il est probable que par ses contradictions internes, par ses excès, le wokisme s’effondre sur lui-même. Le tout est de prévenir les dégâts — il en a déjà provoqué de nombreux, notamment dans le domaine de l’instruction de nos enfants. Il convient de lutter efficacement contre lui en dénonçant non seulement son terrorisme intellectuel mais également tout ce qui a pu le favoriser. En ce sens, nous ne serions trop recommander le chapitre écrit par Pierre Valentin : « Des Lumières à l’éveil : accords et désaccords entre le libéralisme et l’idéologie woke » : il montre que, finalement, les grands Ancêtres ne sont peut-être pas si innocents que cela. Ou quand relativiser un certain simplisme idéologique.
https://www.actionfrancaise.net/2025/08/11/savoir-denoncer-le-wokisme/