par Serge Van Cutsem
«On ferme des productions locales au nom du climat, puis on importe de beaucoup plus loin avec plus de pollution et moins de garanties de qualité ce qu’on peut produire ici. D’Ibbenbüren au MERCOSUR, des fermes françaises aux cargos de bœuf et de produits laitiers, se dessine une écologie à deux vitesses : restrictive pour les citoyens, et profitable pour les multinationales. Derrière les discours «verts» il y a un sabotage méthodique du bon sens».
Dans l’épisode précédent, j’ai détaillé l’histoire du charbon Ibbenbüren, cette petite ville allemande devenue symbole mondial de l’absurde climatique avec la fermeture de sa mine automatisée, rentable et située à côté d’une centrale, ceci au nom de l’écologisme, et j’insiste sur le suffixe «isme» qui fait toute ma différence. Cette même centrale qui a continué de tourner durant plus de 3 ans en brûlant du charbon importé d’outre-mer (Russie, Colombie, USA, puis Australie, Afrique du Sud, Indonésie après 2022).
Avant d’aller plus loin, j’aimerais d’abord revenir et insister sur une chose que tout le monde semble avoir oubliée : le climat a toujours changé, et ceci bien avant l’ère dite «industrielle» avec nos usines, nos voitures et nos appendices technologiques. La Terre a connu des glaciations, des réchauffements et des bouleversements si brutaux que les mers montaient ou reculaient de plusieurs dizaines de mètres en quelques siècles lors de phases de déglaciation rapide.1
Je ne songerais même pas à nier qu’il se passe aujourd’hui quelque chose, quoique cela reste un sujet à débattre, mais le vrai scandale n’est pas là : il est dans l’utilisation de cette réalité comme prétexte pour imposer des décisions absurdes, incohérentes mais souvent hyper lucratives pour certains.
Car la fermeture de la mine d’Ibbenbüren n’est pas un cas isolé, le même schéma se retrouve dans nos assiettes. Pendant que l’on fermait une mine parfaitement exploitable, on signait à Bruxelles, dans le silence feutré des couloirs, des traités de libre-échange qui permettent l’importation massive de produits que nous produisons déjà chez nous, la plupart du temps avec moins d’empreinte carbone et de meilleures garanties sanitaires.
L’accord UE-Mercosur en est l’exemple le plus criant : 99 000 tonnes de bœuf2 sud-américain prêtes à débarquer chaque année, mais également du sucre, du soja, de l’éthanol… ceci avec des normes bien plus laxistes que celles qu’on nous impose, et peu importe que l’Amazonie recule à coups de tronçonneuses.3
Le CETA4, lui, est déjà en route depuis 2017, avec ses cargaisons de viande canadienne parfois gavée aux hormones, traversant l’Atlantique pour se poser sous cellophane dans nos rayons. Et que dire de l’accord avec la Nouvelle-Zélande5 ? Dix mille tonnes de viande, quinze mille litres de produits laitiers, expédiés depuis l’autre bout du monde. Rappelez-moi l’empreinte carbone d’un yaourt ayant fait vingt mille kilomètres ? … Silence radio.
Pendant ce temps, en France, environ une centaine de fermes disparaissent chaque semaine (Agreste, RA2020). Le phénomène touche aussi d’autres pays européens. Ce déclin, également dû à un ensemble de facteurs (âge des exploitants, concurrence, normes), est aggravé par la pression des importations à bas coût permises par les accords de libre-échange6. En Belgique, des éleveurs abattent leur cheptel sous la pression de normes climatiques imposées sans nuance. Et quand ceux-ci ferment définitivement la porte de l’étable, ce sont les cargaisons venues d’ailleurs qui prennent leur place, moins chères et surtout plus polluantes. Exactement comme le charbon Ibbenbüren : on détruit l’outil local pour le remplacer par une solution pire, mais qui remplit d’autres poches.
Il y a toujours un grand absent dans l’équation : le transport. En effet 3% des émissions mondiales de CO₂ proviennent du transport maritime7, sans compter les oxydes d’azote et le soufre. Pourtant, quand il s’agit de calculer l’impact des traités commerciaux, ces chiffres disparaissent. Un kilo de bœuf argentin affiche un bilan carbone nettement plus élevé, pouvant approcher le double lorsque la déforestation et le transport maritime sont inclus, selon les ACV., mais dans les rapports officiels, ce détail n’existe tout simplement pas.
Et au milieu de ce théâtre, on nous explique que l’écologie est l’affaire de tous, mais ne nous mentons pas, il faut comprendre : c’est l’affaire des citoyens, donc de vous. Vous qui devez changer de chauffage, isoler votre maison à grands frais, manger moins de viande, réduire vos déplacements… Bref, changer de vie. Simultanément les multinationales déplacent des cargos entiers de nourriture et de matières premières à travers les océans, avec la bénédiction de ceux-là mêmes qui nous font la leçon. C’est un écologisme à deux vitesses : punitive pour les peuples et lucrative pour les marchés financiers.
Alors oui, il faut poser la seule question qui vaille : qu’est-ce qu’ils ont à gagner et surtout, c’est qui «ils»? Fermer une mine locale rentable ne rapporte rien, ça coûte… mais reconstruire de l’énergétique (supposé) vert avec des aides publiques massives, importer des panneaux solaires chinois, des éoliennes subventionnées8 dont l’obsolescence est nettement plus courte que celle qui est annoncée9 et dont le recyclage est également absent des décisions10, des batteries fabriquées à l’autre bout du monde et des certificats CO₂ négociables, voilà qui crée un marché gigantesque, financé par l’argent public et capté par Siemens, TotalEnergies, BlackRock, Vanguard, Orsted, Engie et toute une galaxie de lobbies.11
En détruisant la souveraineté énergétique et alimentaire, on fabrique aussi une dépendance stratégique à des flux mondiaux et à des fournisseurs uniques et imposés : GNL américain, batteries chinoises, gaz norvégien, qui profitent à Washington, Pékin, aux banques d’investissement et aux cabinets de conseil comme McKinsey ou BCG. En modifiant de force les habitudes de vie par la peur, la culpabilisation et la taxation, on met en place un rationnement contrôlé qui sert les gouvernements autoritaires, les administrations technocratiques et les planificateurs sociaux. Enfin, on construit des récits qui masquent d’autres impasses : on parle de «fin du charbon» ou de «réduction des émissions» pour éviter de parler de la fin du pouvoir d’achat, de la désindustrialisation ou de l’échec du libre-échange mondial. Les politiques y trouvent un semblant de bilan, les médias un sujet facile, et les élites un écran de fumée bien pratique.
Ce ne sont jamais des erreurs ! C’est un agenda dans lequel tout a été soigneusement planifié. L’absurde n’est pas un accident : c’est un camouflage. Ibbenbüren et le MERCOSUR racontent la même histoire : saboter volontairement le bon sens pour mieux vendre une solution pire, mais rentable pour d’autres. Et tant que ce modèle restera caché derrière le vernis vert des discours officiels, il continuera à prospérer. C’est la raison pour laquelle je ne cesserai jamais de le dévoiler avec les (trop faibles) moyens dont nous disposons.
J’aimerais clôturer ce second volet en revenant sur cette confusion entre écologie et écologisme. La première est une science sérieuse : elle observe, mesure et tire des conclusions vérifiables sur les relations entre les êtres vivants et leur milieu. C’est l’étude des écosystèmes et de leurs interactions. Le second, l’écologisme, est ce que devient l’écologie quand on la transforme en religion politique : un mélange de dogmes, d’hérésies, de péchés carbone et d’indulgences vertes et surtout de mensonges, où l’on prétend sauver la planète à coups de taxes et de réglementations absurdes. Dans ce paysage, trois profils se détachent :
- L’écologue : C’est le scientifique pur, qui parle en données et non en slogans.
- L’écologiste : C’est le militant qui utilise la science quand elle va dans son sens, et l’ignore dans le cas contraire.
- Mais il y aussi celui qui aime et protège réellement la nature par simple bon sens
Car il faut le rappeler : la manipulation des peuples commence souvent par la manipulation des mots12. Et quand un même mot sert à désigner à la fois la rigueur scientifique et le dogme politique, la confusion devient un outil de pouvoir. C’est exactement ce qui est arrivé à «écologie» et «écologisme» : ils ont été dévoyés, contaminés, vidés de leur sens initial.
Alors pourquoi rester prisonniers de ce lexique tordu ? Pourquoi continuer à parler avec leurs mots, quand on peut en créer un qui échappe à leur narratif ?
Ce mot, je vous le propose : écophile. Rare, absent des grands dictionnaires13, il désigne celui ou celle qui protège la nature par conviction personnelle, sans dogme ni posture, simplement parce que c’est vital : l’Homme dépend de son écosystème, et pas parce qu’un parti, une ONG ou une mode du moment l’a décidé. Bref, l’écophile agit, pendant que d’autres organisent un sommet «vert» mobilisant 2000 jets privés pour imposer des normes absurdes.
Notes :
- Lors d’épisodes de déglaciation rapide (ex. le Meltwater Pulse 1A), le niveau moyen des mers a pu monter d’environ 15 mètres en 500 ans (NOAA, USGS, Nature Geoscience). Voir aussi IPCC AR6 – Working Group 1, chapitres paléoclimat, sur la variabilité naturelle du climat à travers les âges.
- Accord UE-Mercosur : prévoit un quota de 99 000 tonnes de viande bovine sud-américaine par an en contingent tarifaire à droits réduits (Commission européenne – DG Trade, fiche technique). Données confirmées par les notes de synthèse du Parlement européen.
- Déforestation de l’Amazonie : chiffres officiels de l’INPE/PRODES (Brésil) et séries temporelles de Global Forest Watch.
- (Comprehensive Economic and Trade Agreement, en français Accord économique et commercial global) est le traité de libre-échange conclu entre le Canada et l’Union européenne.
- Accord UE–Nouvelle-Zélande : quotas progressifs d’environ 10 000 tonnes de bœuf et environ 15 000 tonnes de produits laitiers (fromage, beurre, poudre) – données issues du texte officiel de l’accord (Annexes TRQ) et fiche DG Trade.
- En France, environ 100 exploitations agricoles disparaissent chaque semaine en moyenne sur la période 2010-2020 (Agreste – Recensement agricole 2020, soit environ 5000/an). Données comparables dans d’autres pays de l’UE selon Eurostat – Structure des exploitations agricoles.
- Le transport maritime représente environ 3% des émissions mondiales de CO₂, selon l’Organisation maritime internationale (Fourth IMO GHG Study 2020, mise à jour 2023).
- Selon la Commission européenne et Reuters, la Chine représente environ 60% de la production mondiale de turbines éoliennes et fournit près de 90% des aimants permanents utilisés dans les éoliennes offshore allemandes. En 2023, 59% des importations extra-UE d’éoliennes venaient d’Inde et 29% de Chine. L’Europe ne représente qu’environ 19% de la production mondiale de turbines, 15% des pales et 17% des nacelles.
- Bien que les contrats et spécifications annoncent une durée de vie de 20 à 25 ans, les données de terrain montrent que nombre de turbines subissent des baisses de performance ou des pannes majeures dès 12 à 15 ans, conduisant à leur remplacement anticipé ou à des rénovations coûteuses (The Telegraph, 2022 ; Lawrence Berkeley National Laboratory, 2021 ; UBA, 2020).
- Contrairement aux tours en acier, recyclables à plus de 90%, les pales d’éoliennes sont fabriquées en composites thermodurcissables très difficiles à recycler. Plus de 85% finissent aujourd’hui en décharge ou incinérées, et l’IRENA prévoit que l’Europe devra gérer jusqu’à 4 millions de tonnes de pales mises au rebut d’ici 2030 (WindEurope, 2022 ; UBA, 2020).
- Investissements dans les énergies dites «vertes» captés notamment par des groupes tels que Siemens, TotalEnergies, BlackRock, Ørsted ou Engie (Agence internationale de l’énergie – World Energy Investment 2024/2025). Cadre d’aides publiques détaillé dans les documents de la Commission européenne (CEEAG, Green Deal Industrial Plan). Exemples d’enchères et de contrats publics via DG ENER, ACER et autorités nationales (CRE, BNetzA…).
- Comme le décrit George Orwell dans 1984, la «novlangue» vise à restreindre le vocabulaire et gommer les nuances, afin de rendre certaines pensées littéralement impossibles à formuler. En écologie comme ailleurs, remplacer des termes précis par des slogans uniformes est une technique classique de manipulation du langage pour orienter la perception publique.
- Le terme écophile – formé sur le modèle de xénophile ou bibliophile – existe dans certains lexiques spécialisés et a été relevé au Québec, notamment dans des publications militantes ou pédagogiques sur l’environnement. Il désigne littéralement «celui qui aime la nature» ou «qui recherche l’harmonie avec l’environnement», mais reste absent de la plupart des grands dictionnaires généraux du français.