par Frédéric Andreu
La ficelle est grosse comme une corde, mais diablement efficace : le système électoral et la logique pernicieuse du “vote utile” consistent à nous faire choisir, au final, non pas entre deux visions du monde radicalement différentes, mais entre deux copies du même. Les élections présidentielles françaises illustrent parfaitement cette stratégie avec la montée de Valérie Pécresse dans les sondages. Le but du système étant de nous fourguer un “Macron remasterisé” en nous donnant le choix entre un énarque idéologique d'un côté et une autre énarque plus pragmatique.
Par quel tour de passe-passe le système s'y prend pour s'auto-reproduire tous les cinq ans? C'est très simple : la démocratie avance toujours par “étapes”, jamais de face, et en présentant des copies du même afin que tout tourne autour du même rond-point idéologique.
C'est une question d'ingénierie sociale que connaissaient déjà les Anciens. En effet, les Présocratiques ont montré un certain nombre de principes qui prévalent de toute éternité. Ils ont notamment démontré qu'entre l'original et la copie, c'est toujours la copie qui l'emporte. Le pouvoir du "double" est fascinatoire et intrinsèquement luciférien (en tant qu'il est "porteur de lumières"). D'ailleurs, le candidat est étymologiquement le “candidus”, celui qui porte la tunique blanche qui reflète la lumière. A l'époque antique, la tunique était un signe de visibilité mais à notre époque d'écrans omniprésents, il est devenu le règne du reflet luciferien. La stratégie du double règne dans nos consciences avec une redoutable efficacité. La démocratie, qui s'exerce en France le temps de déposer un bulletin pendant quelque instant est un exercice de “pensée magique” qui consiste à faire croire au “changement”, à l' “alternative”. C'est l'aspect fascinatoire du système électoraliste.
Que faire face à ces gorgones de papier issues des mêmes cavernes universitaires ? Il reste à brandir le bouclier de Persée. Ne pas regarder en face Macron, Pécresse, c'est refuser déjà de valider leur vocabulaire et autres "éléments de langage", leurs arguments à coup de taux de croissance, leurs poncifs historiques de la seconde guerre mondiale, leur logique de bilans et autres courbes économiques destinés à donner un vernis scientifique à ce qui n'est qu'une croyance économique.
Tout ce petit monde formé aux méthodes de la "com" a le pouvoir magique de transformer notre jugement en pierre, c'est pourquoi il ne faut pas se prémunir de leurs stratégies. Leurs "éléments de langage" sont des formules de sorcellerie médiatique. Il convient au contraire de montrer que la stratégie du système est celle de la photocopieuse qui, en période électorale, marche à plein régime. Elle consiste à envahir le paysage médiatique de copies du même afin de faire croire à la liberté de choix entre deux candidats en réalité consensuels sur le fond mais opposés sur la couleur des tickets de métro; opposés sur tout mais consensuels sur le processus néolibéral de déréalisation du monde.
Entre Macron et Pécresse, on nous dira que voter pour Pécresse, c'est être moderne car c'est voter pour une femme. On nous opposera des différences de fond sans jamais nous dire lesquelles. Dans l'ère de la démocratie cosmétique, la victime, c'est l'imagination, la poésie, le don gratuit, la tradition - et finalement ce "pays réel" qui agonise en silence sous les coups de boutoir des normes, alors même que son négatif, le “pays légal” triomphe dans tous les domaines. C'est pourquoi les lendemains des élections se suivent et se ressemblent. Ils ressemblent à ces lendemains de fête lorsque les convives sont partis et que l'on se retrouve avec la gueule de bois et la maison sans dessus dessous. Toujours ce même sentiment de descendre en enfer, de voir la France et l'Occident s'évaporer dans le néant. Le même sentiment de ne croiser que le vide dans les yeux des passants.
Je ne dis pas que les candidats, en tant que personne, seraient porteurs de toutes les responsabilités. Tout revient, comme l'a bien montré Guy Debord à l'auto-mouvement cybernétique du capital en oeuvre dans la “Société du Spectacle”. C'est elle qui explique pourquoi sous François Hollande, on finissait par regretter Sarkozy ; sous Macron, on a regretté Hollande, et pourquoi nous sommes tous plus ou moins en train de nous demander si l'on ne va pas regretter Macron...
En réalité, les idéologies programmatiques, surtout celles qui nous promettent le bonheur sur terre, sont des "calypsos” (les forces de la captation et de la dissimulation) des véritables processus en cours dans l'Histoire. On remarquera en effet que tous les systèmes opposés sur le papier, capitalisme et communisme (voire, dans une moindre mesure, le fascisme), ont tous servi le processus technicien. Ils ont tous remplacé l'objet par le produit, le jardin par l'usine, la qualité par la quantité et au final, l'homme par la machine...
La stratégie de nos Macron ou Pécresse consiste à accompagner le broyage systématique du Pays Réel tout en jouant la carte de la nouveauté. Il faut paraître jeune et "branché", ou à l'inverse, réactionnaire. Toutes les stratégies sont bonnes pourvu que la France demeure une puissance inféodée aux grands ensembles mondiaux au rebours de ce que sa situation géopolitique lui commende : être le fer de lance des pays “non-alignés”.
Au lieu de chercher le consensuel mou, le pathos, le cercle de raison, les candidats devraient au contraire se rappeler qu' "un homme persuadé persuade". La foi agit comme une onde de choc et non comme une programation. Le phénomène Zemmour le montre bien.
A "gauche", Mélenchon auto-censure ses pulsions nationalistes à la Marcel Déat. A "droite", les idéaux restent prisonniers du tribunal idéologique de la gauche. En 2006, Pécresse n'a-t-elle pas déclaré que la “société métissée est l'avenir de la France” ? Quant à Marine Le Pen, elle court derrière la « respectabilité » c'est-à-dire derrière les inférences de la gauche idéologique. Au fond des choses, le jeu électoraliste est implicitement pervers car basé sur la peur et le vote utile.
Un pays qui a connu l'aventure bonapartiste est dans son Histoire prédisposé à jouer un autre rôle que celui de caniche nain des oligarchies mondialistes. Même si la démographie n'est plus celle de la fin du 18ème siècle, la France, riche du génie de ses peuples, de sa géopolitique liée à ses territoires ultramarins, est prédisposé à être le chef de file des pays non-alignés du monde.
La France est une locomotive que l'on cherche a réduire à un wagon.