Le ralliement de Guillaume Peltier à Eric Zemmour permet à chacun d’ouvrir les yeux sur les contradictions mortelles de la politique française. Nos institutions actuelles, celles de la Ve République ont été voulues par un homme, Charles de Gaulle qui avait horreur des partis qu’il considérait comme une de ces féodalités qui empêchent l’Etat de remplir sa mission au service du pays et sous le contrôle le plus direct possible du Peuple souverain. Le long et désastreux passage de Mitterrand à l’Elysée, l’invasion des sphères de pouvoir par les tristes produits de 1968, la vacuité et la lâcheté de la plupart des dirigeants que l’on situe à droite ont dévasté l’édifice pour n’en laisser que des ruines.
Maurice Duverger avait remarquablement défini les deux versants de la politique : “Pour les uns, la politique est essentiellement une lutte, un combat, le pouvoir permettant aux individus et aux groupes qui le détiennent d’assurer leur domination sur la société, et d’en tirer profit. Pour les autres, la politique est un effort pour faire régner l’ordre et la justice, le pouvoir assurant l’intérêt général et le bien commun contre la pression des revendications particulières”. Il est clair pour un observateur impartial que le Général de Gaulle faisait sienne la seconde ligne de pensée. On ajoutera bien sûr que ni l’ordre, ni la justice, ni l’intérêt général, ni même le bien commun ne sont des réalités intangibles. Il y a dans leur conception une visée idéologique, ou mieux philosophique. Celle de de Gaulle était issue de ses lectures, de Chateaubriand, de Barrès, de Péguy, de Bergson, et correspondait à un nationalisme raisonnable et ouvert, humaniste en somme, qui plaçait “l’intérêt supérieur de la Patrie” au-dessus de tout et confiait à l’Etat le soin de le défendre, étant entendu que cela valait pour tous les Etats, la France ayant cependant à ses yeux une place privilégiée en raison de son histoire et de sa culture. Très soucieux de l’esprit du temps, l’homme du 18 Juin se voyait aussi bien en Richelieu au service d’un monarque que serviteur de la République, mais il savait que la légitimité démocratique avait définitivement remplacé le droit divin. En l’absence de cette dernière, et persuadé à juste titre que le gouvernement trahissait l’intérêt national, il n’avait pas hésité à devenir un rebelle. Par la suite, il avait eu avec les partis politiques un rapport compliqué, en raison du mépris qu’il ressentait à leur encontre et de la nécessité de leur existence qu’il reconnaissait cependant. La France Libre n’en était pas un. C’est Jean Moulin, résistant héroïque certes, mais radical, qui réintroduisit les partis de la 3e République dans la politique qui deviendrait celle de la Libération. De Gaulle tenta de les combattre en créant son propre parti, le RPF, puis y renonça, englué dans le jeu parlementaire où la formation qui se réclamait de lui avait fini par faire sa petite cuisine sur son petit feu. Par la suite, il se tint à distance tout en étant parfaitement conscient du soutien que lui apportait le mouvement au sigle changeant qui rassemblait l’armée de ses partisans. C’est ce mot d’armée qu’il employa finalement et non celui de parti lorsqu’il quitta le pouvoir. La capacité rarissime du Général d’abandonner celui-ci, en 1946, puis en 1969, de même qu’il avait toujours renoncé aux avantages personnels qui étaient liés à sa possession, exclut de voir en lui un ambitieux frénétique.
Les ambitieux frénétiques peuplent au contraire les partis politiques qui sont pour eux les instruments nécessaires de leur réussite. Les plus voraces les créent, comme Mitterrand, comme Chirac, comme Bayrou, avec plus ou moins de bonheur. Les partis et les politiciens qui y font carrière correspondent évidemment à la première famille de pensée définie par Maurice Duverger. Derrière ceux qui parviennent au pouvoir suprême, il y a la bousculade de ceux qui vont à la curée des privilèges et des honneurs, et ceux qui veillent à prolonger leur vie d’élus. Et puis il y a aussi ceux qui ont le malheur d’avoir des idées et des valeurs auxquelles ils tiennent. Entre les premiers prêts à se rallier opportunément à toutes les circonvolutions du parti pour y demeurer à l’abri, et les autres qui ont leur moment de “gaullisme”, c’est-à-dire qui ressentent en eux l’exigence de dire “non”, le choc est inévitable, et se termine toujours par l’écrasement des seconds. C’est ce qui m’est arrivé lorsque j’ai vu poindre chez Sarkozy le goût de la mode idéologique, la soumission aux coteries prisées des médias, et que j’ai défendu davantage mes idées, celles qui m’avaient fait venir au RPR, plus que celles qui m’étaient imposées par son avatar en pleine décadence.
C’est l’une des raisons pour lesquelles le soutien de Guillaume Peltier à Eric Zemmour me semble sympathique et courageux. On le traite de transfuge avec plus de sévérité que pour Mme Pécresse ou pour M. Bertrand, qui avaient quitté le parti de Waucquiez, avant d’y revenir par intérêt, ou même que pour les traîtres qui après avoir criblé Macron de critiques acerbes se sont piteusement couchés à ses pieds pour obtenir un maroquin. Tous ces professionnels de la politique aspirent au pouvoir, obéissent aveuglement au parti qui les fait y participer, ou changent de camp pour rejoindre leur vainqueur, sans le moindre respect d’eux-mêmes. Guillaume Peltier, c’est l’oxymore du transfuge fidèle, qui cherche désespérément un parti qui ne trahisse pas ses idées. Lui n’en a guère changé : patriote, souverainiste, libéral-conservateur, son passage d’un parti à l’autre ne l’a jamais éloigné de sa ligne de pensée, mais avec l’ambition légitime d’avoir un rôle suffisant pour la mettre à l’oeuvre. Son mandat de député, sa responsabilité au sein de LR lui ont permis de se faire entendre, et il prend le risque de tout perdre plutôt que d’y renoncer. Si le RPR était demeuré fidèle à lui-même, la guerre picrocholine des partis qui ont récupéré ses électeurs déçus n’aurait pas lieu. Mais, tout se passe selon la prédiction de Rousseau : les partis défendent leur intérêt et non celui du pays. Moins leur unité se fait sur des idées, plus elle se fait sur la sauvegarde de leur existence, sur le succès aux élections, et plus, paradoxalement, les sanctions à l’encontre de ceux qui s’écartent d’une ligne inexistante se font lourdes.
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