Les sondages prédisent tous, depuis des semaines, l'absence de la gauche au second tour de l'élection présidentielle. Et, en toute honnêteté, on imagine difficilement dans le contexte actuel, ni Mme Hidalgo, ni sa rivale Taubira surmonter l'immense discrédit, pour ne pas dire le ridicule, qui frappe leurs deux candidatures.
À peine se montrera-t-on surpris en apprenant que la candidate du parti socialiste, et maire, de Paris a engrangé plus de 600 parrainages de maires, de notables et autres élus, alors que, même additionnés, ceux des deux adversaires les plus médiatisés de l'autre bord, ne semblent pas encore atteindre la moitié de ce chiffre.
La distorsion entre les pronostics journalistiques sondagiers quant au premier tour, reflets maladroits de l'opinion publique, et les mécanismes de cette élection devrait suffire à condamner l'article 7 de la constitution, réformée en 1962. Complètement trituré par Hollande, le dispositif viole désormais de façon outrageuse les principes élémentaires dont il se réclame, et notamment celui de la souveraineté du peuple.
Il existe de nombreuses raisons de mettre en garde les observateurs sérieux de la vie politique, et plus encore les militants, devant les dangers de l'arithmétique des sondages.
Parmi les motifs de suspicion citons certes la complaisance de certains instituts, créés, depuis l'ère Mitterrand par le pouvoir lui-même, et dont le propos a toujours visé à manipuler.
Évoquons surtout le rôle de la technique actuellement dominante. On a vite remplacé les coûteux entretiens dits "face à face", d'abord par appels téléphoniques. En eux-mêmes ceux-ci déjouaient la sincérité des réponses. "Monsieur Dupont que pensez-vous de l'immigration ?" pouvait demander déjà au bout du fil une charmante beurette ayant trouvé le numéro de téléphone et l'adresse de son interlocuteur dans l'annuaire. Mais désormais on se trouve en présence de questionnaires sur internet pilotés à partir de comptes courriels invérifiables. Cette dernière méthode, bien meilleur marché, tend à supplanter toutes les autres. Je recommande vivement à mes amis lecteurs de prendre connaissance, pour comprendre le mécanisme, de l'article référencé en apostille.(1)⇓
Outre ces considérations techniques, qui réduisent les prétendues études à de simples évaluations des humeurs et des rumeurs, très grossièrement comptabilisées, abordons la question que les politologues prétendent traditionnellement évacuer : le poids déterminants des diverses formes d'abstentionnisme et la différence de mobilisation des couches sociales.
L'abstention n'est pas devenue en effet par hasard le premier parti de France.
Choisir entre coca-cola et pepsi-cola, ce n'est pas être libre. On le sait.
Or, le sentiment, la prise de conscience, qui sourdement progresse, de cette situation de quasi-servitude peut produire des effets parfaitement inattendus.
On ne doit pas en sous-estimer la nocivité.
L'idée que la gauche politique serait définitivement moribonde, donc désormais inoffensive, peut même servir paradoxalement son plus remuant candidat. Puisque Taubira, puisque Hidalgo n'ont aucune chance, puisque Jadot semble lui aussi s'effondrer contaminé et saboté par sa rivale Sandrine Rousseau comme l'ont toujours été les écolos modérés, pourquoi ne pas voter Mélenchon ?
Éternel battu, comme Mitterrand semblait condamné à le rester en octobre 1980, le vieux trotskiste deviendrait le dernier recours protestataire d'une gauche sans doute affaiblie mais qui, de ce fait, se retrouverait paradoxalement unie, n'ayant rien à perdre en face d'une droite arithmétiquement beaucoup plus forte sans doute, mais divisée en trois par Macron, après avoir été divisée en deux par Mitterrand.
La récente prise de position de Mélenchon renouvelant son appel du pied permanent en direction des islamistes peut elle aussi jouer un rôle. Il vient de recevoir ainsi l'aval du site "Islam et info" animé par le citoyen Imzalène. Au sommaire : Jean-Luc Mélenchon est-il “le dernier rempart contre l’islamophobie” ? Les raisons de ce choix sont claires et l'intéressé n'a jamais manqué de jouer ce rôle.
La réserve de voix communautaristes peut donc jouer dans ce scénario un rôle déterminant. Or, le communautarisme a, devant lui, des perspectives plus riches que ne le croient les instituts de sondages. Quand on apprend par exemple que la ministre déléguée à l'Égalité femmes-hommes soutient l'opération de provocation islamo-gauchiste des "hijabeuses", c'est-à-dire très exactement le contraire de l'intitulé de son ministère, on doit bien se représenter qu'une partie de la Macronie, elle aussi, cherche, par des biais détournés, à faire feu de tout bois.
Certes, strictement, à ce jour, aucune loi française ne prohibe encore de façon explicite, le port d'un voile, ou d'un béret basque, ou d'un casque gaulois en carton, sur un terrain de sport. Le mouvement actuel n'était pas prévu, à ce jour par le Code pénal. Un amendement du Sénat avait lucidement et courageusement essayé de bâtir une digue le 19 janvier. Lâchement, le pouvoir a renvoyé aux fédérations sportives le soin de résoudre le problème au niveau de leurs règlements respectifs. Or, ce n'est pas un tel terrain que Mme Moreno a ouvert la boîte de Pandore : légalement, circulez il n'y a rien à voir, décline-t-elle au micro de l'insupportable mais insubmersible Martichoux ce 10 février(2)⇓ .
Ainsi, face à Mélenchon, au second tour, soutenu désormais par Éric Woerth, peut-être même en sous-main par Sarkozy, Macron paraîtrait le candidat "de droite", dénoncé comme tel par Mediapart et discrètement flatté par L'Opinion...
Dites-moi que je rêve, que c'est un cauchemar, que je ne devrais pas abuser de mon excellent saint-émilion familial. Je vous répondrai simplement que je n'en ai pas bu une goutte depuis longtemps et que, parfois, je le regrette.
JG Malliarakis
Apostilles
- cf. "Dans la fabrique opaque des sondages" par Luc Bronner in Le Monde du 4 novembre 2021.⇑
- Sur LCI⇑