Les premières négociations entre Kiev et Moscou avaient pour but de mettre en place des couloirs humanitaires pour évacuer les civils de Kiev, Marioupol, Soumy et Kharkiv, quatre villes qui subissent des bombardements et qui s’attendent à une attaque au sol. Mais même cette mesure tourne à l’épreuve de force, car quatre des six couloirs proposés par Moscou conduisent à Moscou et à la Biélorussie.
Kiev estime que les civils qui fuient les zones de conflit doivent pouvoir choisir leurs lieux de refuge, et que la plupart d’entre eux ne tiendront pas spécialement à gagner la Biélorussie, semi-dictature alliée de Moscou, où Lénine reste honoré, ni Moscou même.
Les couloirs humanitaires peuvent jouer un autre rôle, qui n’a guère été évoqué par les commentateurs : la possibilité de faire parvenir aux assiégés du matériel médical, des convois alimentaires. Mais ces mêmes couloirs pourraient aussi être utilisés pour acheminer des armes. C’est l’une des explications aux difficultés pour trouver un accord.
Lundi, le Haut Commissariat aux réfugiés comptait plus d’un million sept cent mille personnes déplacées. Sur une superficie plus importante que la France, l’Ukraine a un tiers d’habitants de moins que notre pays, et la population est davantage dispersée sur le tout le territoire ; mais environ quatre millions de personnes pourraient être poussées à fuir les théâtres des opérations en cours. Autant dire que ces couloirs humanitaires sont susceptibles de sauver de nombreuses vies.
Les premiers essais de leur mise en place ont échoué, chaque partie renvoyant la responsabilité de l’échec sur l’autre partie. Mais, selon la Croix-Rouge, les barrages et les mines sur les axes de communication constituent une vraie difficulté.
D’heure en heure la situation peut évoluer dans un contexte où tant les autorités de Moscou que celles de Kiev sont susceptibles de dissimuler la vérité. Lundi, Kiev parlait d’une « manipulation » de Moscou à propos de ces couloirs. Or, qui dit évacuation de civils dit cessez-le-feu temporaire, sur la voie d’acheminement des évacués, mais aussi en amont de cette voie, pour que les civils acceptent de quitter les caves et les abris ou ils se terrent, de se rassembler, d’être transportés en dehors du champ de bataille annoncé.
Les autorités russes ont indiqué que des corridors sécurisés avaient enfin été ouverts, et ceci sur demande personnelle du président français à l’occasion de l’entretien qu’il avait eu dimanche avec Poutine. Mais la présidence de la République démentait l’information quelques heures plus tard.
Les Ukrainiens fixaient le préalable d’une évacuation via la ville de Lviv, proche de la frontière polonaise, à l’ouest, et pas par la Russie ou via son allié biélorusse.
La France elle-même semble progressivement entraînée dans le conflit
Moscou accusait pour sa part les dirigeants ukrainiens d’utiliser les civils comme bouclier humain. Macron s’en est pris au « discours hypocrite » de Moscou, « au cynisme moral et politique » des dirigeants russes.
Tout cela ne sent pas bon, une catastrophe humaine n’est plus à exclure. La France elle-même semble progressivement entraînée dans ce conflit.
Lueur d’espoir : un cessez-le-feu était enfin officialisé, du moins par Moscou, ce mardi à partir de 9 heures – heure française –, pour l’évacuation des civils. Seraient concernés les habitants de Kiev, Soumy, Marioupol, Kharkiv et Tcherniguiv. Vers l’ouest ou vers le nord et l’est ? De la réponse à cette question dépend sans doute le volet humanitaire d’une guerre qui, elle, va continuer et devrait même se durcir encore.
Francis Bergeron
Article paru dans Présent daté du 8 mars 2022