Macron voudrait se mettre à dos le monde enseignant qu'il ne s'y prendrait pas autrement. Lors de sa conférence de presse, définissant l'école comme « un chantier majeur », il a fait preuve d'une méconnaissance totale du travail des professeurs, qui ne les incitera guère à soutenir sa politique. Aurait-il acté qu'il a perdu le vote des personnels de l'Éducation nationale et qu'il ne vaut pas la peine de les ménager ? En tout cas, par ses propositions démagogiques, il risque fort d'en pousser un grand nombre, même parmi ceux qui votaient à gauche, à préférer Marine Le Pen ou Éric Zemmour.
La plupart des syndicats, quelle que soit leur tendance, ont dénoncé, dans ses propositions, des propos « hors-sol » et « insultants », des « clichés » et des « préjugés ». Le Syndicat national des lycées et collèges (SNALC), qui revendique son indépendance à l'égard de toute organisation politique, confessionnelle ou idéologique, dénonce à juste titre « une sorte de pensée magique sur l'éducation » selon laquelle il suffirait de « faire fonctionner l'éducation comme une entreprise, de rémunérer les profs au mérite » pour obtenir de meilleurs résultats.
Macron semble prendre le parti du bon sens quand il annonce qu'il faut « poursuivre de manière significative l'augmentation des rémunérations » et conditionne cette augmentation à de « nouvelles missions ». Et de citer le « remplacement des professeurs absents », un « suivi plus individualisé des élèves », « l'aide aux devoirs » ou encore le « temps d'accompagnement dans le périscolaire ». Le hic, c'est qu'il semble ignorer que beaucoup de professeurs accomplissent déjà ces tâches. Pis : il stigmatise, non sans démagogie, « celles et ceux (sic) qui ne sont pas prêts à davantage s'engager ou à faire plus d'efforts », reprenant le cliché du professeur fainéant.
Il ignore le travail effectif de la plupart des professeurs, même s'il s'y trouve, comme partout, un petit nombre de fumistes qui se la coulent douce. À aucun moment il n'évoque le déclin de l'enseignement, la crise du recrutement, le manque d'attractivité de la condition enseignante qui dissuade les meilleurs étudiants de se consacrer à ce métier, qui est aussi une vocation. Il néglige la mission première des professeurs, qui devrait faire l'objet de toute son attention : instruire les élèves et transmettre le savoir, ce qui suppose qu'on mette le savoir au centre du système éducatif.
Le mérite d'un professeur ne se mesure pas au nombre d'activités annexes qu'il exécute mais à la qualité de son enseignement. Celui qui forme efficacement ses élèves et se consacre par ailleurs à la recherche est-il un moins bon professeur que celui qui fait des cours médiocres et s'illustre dans la vie de l'établissement ? Sans compter que Macron, qui prône la rémunération au mérite, oublie un peu trop facilement qu'il fut ministre dans le même gouvernement que Najat Vallaud-Belkacem, qui uniformisa la carrière des enseignants en mettant en place un rythme unique d'avancement.
Vouloir rémunérer les professeurs au mérite n'a que l'apparence de la justice si l'on ne définit pas les objectifs premiers de l'enseignement. En voulant faire fonctionner l'éducation comme une entreprise, Macron, loin d'améliorer l'enseignement, encourage à la servilité. Il conçoit les professeurs comme de simples exécutants, alors que leur mission est d'éveiller les esprits. Ceux qui auront la curiosité de lire le programme de Marine Le Pen ou d'Éric Zemmour dans le domaine éducatif s'apercevront que ces deux candidats ont une vision beaucoup plus lucide de la nature de l'enseignement et des mesures qu'il faut prendre pour le redresser.
Philippe Kerlouan