Au collège Jean-Moulin de Perpignan, un établissement d’éducation prioritaire (entendez que la majorité des élèves y est d’origine étrangère extra-européenne…), 40 % des élèves sont inscrits sur dérogation (c’est-à-dire sans respecter les règles habituelles appliquées aux Gaulois…), en raison des multiples options disponibles. Les classes sociales se mélangent ainsi de manière volontariste selon les exigences de la doxa cosmopolite du moment.
Le collège accueille ainsi des sections musicales mais aussi de chinois, catalan, rugby et basket. Ce n’est évidemment pas l’un de ces établissements bourgeois pour lesquels les familles s’inventent des passions artistiques qui leur éviteront un collège de secteur moins coté. Classé réseau d’éducation prioritaire (REP), il accueille essentiellement les enfants des quartiers mitoyens de Saint-Jacques et Saint-Mathieu, qui forment le « centre ancien » de Perpignan, où le taux de pauvreté atteint 55 %. Mais l’établissement concentre entre ses murs des écarts de richesse importants, entre les enfants du quartier Saint-Jacques, une communauté gitane sédentarisée dans laquelle le taux de chômage atteint 85 % (mais ne tient pas compte de l’économie souterraine…), et des enfants un peu plus favorisés de Perpignan et alentour. Un peu sur le modèle du trop fameux film de Cantet et Bégaudeau, « Entre les murs » (https://conseildansesperanceduroi.wordpress.com/2019/11/12/ils-nous-ont-deja-fait-le-coup/).
Le temps est loin, nous dit-on, où l’on regroupait les bons élèves dans les mêmes classes. « A une époque, les musiciens étaient d’un côté et les enfants du quartier de l’autre. Quand un élève se démarquait, on s’arrangeait pour l’exfiltrer vers les classes musique », se souvient Marie-Laurence Mestres, professeure de français en poste depuis vingt-deux ans dans l’établissement. « Les autres classes étaient marquées par une forte culture de l’échec, renchérit Terenci Vera, professeur de catalan à Jean-Moulin depuis 2001. Les élèves savaient que le niveau était mauvais et se sentaient condamnés. »
Aujourd’hui, les classes sont composées « en concertation avec les enseignants », indique la principale, Valérie Fauquet. On veille à y panacher les musiciens, les rugbymen, les basketteurs, les sinisants et les enfants du secteur, en s’autorisant à revoir les équilibres d’une année sur l’autre. L’équipe tente à chaque fois de « casser les dynamiques qui ne fonctionnent pas, sans isoler un élève qui va devenir l’intello de service, précise Terenci Vera. On ne gagne pas à tous les coups, mais parfois ça marche… »
Futé, non ?
Pour les équipes, accueillir des élèves de milieux aussi divers ne se fait pas sans une période d’ajustement. « Avec les élèves du quartier, on a besoin de recadrages au départ sur la façon de parler à un adulte, note Mehdi Bouam (sic), assistant d’éducation depuis quatre ans. Les CHAM (ndcer: classes à horaires aménagés musique), en revanche, vont me vouvoyer et m’appeler monsieur… Je dois leur expliquer qu’il faut m’appeler par mon prénom. »
Les enseignants de l’établissement défendent un modèle complexe, qui ne se résume pas à faire venir des élèves favorisés avec des options attractives : ils cumulent cela avec un fort travail d’accompagnement de tous. Pas question de laisser les élèves dehors au cours de ces demi-journées banalisées où les musiciens sont au conservatoire et les rugbymen au gymnase. Au fil des années, l’équipe, installée de longue date, a imaginé les arts pluriels. Des projets transversaux souvent portés par des binômes d’enseignants, qui mêlent connaissances disciplinaires, découverte artistique et éducation citoyenne. Ce « mode projet », typique des établissements prioritaires, remobilise des adolescents parfois éloignés des apprentissages scolaires. Beaucoup de bricolage pour tenter d’en sauver quelques uns…
Le collège Jean-Moulin est loin d’être le seul, en Occitanie comme ailleurs, à avoir tenté de cumuler ces différentes recettes pour faire vivre la mixité social. « Il ne suffit pas de créer une section théâtre d’une rentrée à l’autre, insiste Sophie Béjean, la rectrice de Montpellier. C’est un travail long et partenarial. En l’occurrence, ce collège bénéficie aussi de son implantation : il est au cœur d’un quartier où les relais associatifs sont importants, et en même temps proche de lieux culturels et artistiques dont l’équipe tente de tirer parti. »
Cet équilibre, « atypique » et « fragile », selon les enseignants, est aussi le fruit de concessions. « Il ne faudrait pas laisser croire qu’on a pléthore de moyens et qu’on fait tout ce qu’on veut », insiste Terenci Vala. Le dispositif réservé aux enfants étrangers du quartier Saint-Jacques, fierté des enseignants, cristallise ainsi beaucoup d’inquiétudes. Certains de ces élèves, qui n’ont pas tous le niveau collège après une scolarisation en pointillé, sont accueillis sur des journées plus courtes dans des classes spécifiques réparties en trois niveaux. A la rentrée de septembre, ces trois groupes ne devraient pas « se poursuivre dans leur forme actuelle »,explique la principale du collège. Avec des prévisions d’effectifs en baisse, la direction d’académie a alloué moins d’heures, ce qui a en retour encouragé l’établissement à repenser l’accueil de ces enfants. Ils pourraient passer une plus grande partie du temps dans les classes ordinaires…. histoire sans doute d’accentuer une acculturation déjà nocive !
Les enseignants dénoncent la « brutalité » de ce changement et soupçonnent une logique de redistribution paradoxale : en réussite, le collège Jean-Moulin devrait « rendre » une partie de ses heures à d’autres établissements moins bien lotis. « On veut nous reprendre quelque chose qu’on a mis trente ans à construire, sous prétexte que cela fonctionne, s’agace une enseignante. Sauf que si ça marche, c’est parce qu’on s’est battus et qu’on nous en a donné les moyens. Mais moi, je ne suis pas la fée Clochette. Etudier Maupassant avec des 4es non lecteurs, je ne vais pas y arriver. » Au rectorat de Montpellier, on défend, au contraire, un dispositif « plus inclusif », puisque les enfants seront mélangés aux autres.
Ah ! mixité ethno-culturelle, quand tu les tiens…