Dans un article traduit par Benoît-et-moi, Riccardo Cascioli met en garde contre la diabolisation de Poutine :
[…] les gouvernements et les principaux médias ne font qu’un pour réclamer la tête du président russe Vladimir Poutine, et malheur à quiconque ose poser des questions. Il se retrouve immédiatement dans le cercle des traîtres, des pro-russes et des négationnistes, comme cela s’est produit pendant la pandémie pour ceux qui ne se sont pas fait vacciner ou qui ont critiqué le green pass.
Donc, maintenant l’ennemi est la Russie et Poutine en particulier. Hier, l’Italie, avec d’autres pays européens, a expulsé 30 diplomates russes, pour une menace non spécifiée à la sécurité nationale, aujourd’hui, l’Union européenne lancera de nouvelles sanctions contre la Russie ; et surtout, l’engagement militaire des pays occidentaux en faveur de Kiev augmente de jour en jour : hier, le secrétaire général de l’OTAN, Jens Stoltenberg, a lui aussi réaffirmé que l’OTAN allait accroître son soutien militaire.
En fond sonore à cette course aux armements, il y a le massacre de Butcha, la ville proche de la capitale Kiev où – après le retrait des soldats russes – les corps de centaines de civils torturés et assassinés ont été retrouvés. Le massacre de Butcha est immédiatement devenu le principal acte d’accusation contre Poutine, une fois de plus décrit comme un « criminel de guerre » par le président américain Joe Biden. Rendant ainsi impensable d’opposer une quelconque résistance à cette escalade inquiétante. Et pourtant, comme nous l’avons écrit hier et comme l’affirment plusieurs correspondants de guerre, il y a beaucoup de choses à clarifier sur ce qui s’est passé à Butcha [cf. Reporter de guerre: faire son métier, simplement].
A l’évidence, le simple fait de poser une question suscite des accusations ou des insultes de toutes sortes, et cela suffirait à faire croître les soupçons. Pas parce qu’on croit l’armée russe incapable de telles atrocités, bien sûr : l’histoire, même récente, en fournit de nombreux exemples. Mais des atrocités ont également été commises par les Ukrainiens, la guerre, malheureusement, c’est cela. Surtout, nous savons aussi très bien le rôle que joue la propagande dans cette guerre, comme dans toutes les guerres. Et combien de fois des faits ont été créés ad hoc pour diaboliser l’ennemi et justifier la guerre. Ce mois-ci aussi, nous avons vu en action une forte propagande, des deux côtés. Rien ne doit donc nous surprendre. Ce n’est pas une question de culture du doute, ou de complotisme, ou de sympathie pour Poutine : c’est une question de prudence face à des faits dont l’explication est au moins incomplète.
C’est pourquoi il serait bon de mettre en place une commission internationale indépendante chargée de déterminer rapidement ce qui s’est réellement passé à Butcha. Et ce serait surtout l’intérêt de l’Europe de faire la lumière sur ce qui est arrivé, étant donné les conséquences que cet épisode aura sur la poursuite de la guerre. Il ne semble pourtant pas que l’on veuille sérieusement s’engager dans cette voie, apparemment, le désir de mener cette guerre est si fort qu’on ne peut se permettre aucune hésitation: le massacre de Butcha vient à point pour justifier une implication toujours plus grande en faisant taire toute opposition.
Par contre, ce qui s’est passé à Butcha, quelle qu’en soit l’explication, devrait nous ouvrir les yeux sur le fait que la guerre est toujours atrocité, elle est toujours mort, elle est toujours destruction : pas seulement destruction de bâtiments et de structures, elle est la destruction des cœurs, la multiplication de la haine et du ressentiment qui se perpétue pendant des générations et qui est très souvent la cause d’autres guerres. Seuls ceux qui l’ont lu dans les journaux ou les livres peuvent penser que la guerre mène à une résolution des problèmes. Au contraire [elle mène] à ne pas calculer les conséquences catastrophiques d’un allongement des temps et d’un élargissement des parties concernées.
C’est pourquoi il faut s’efforcer de parvenir à un cessez-le-feu et à un accord le plus rapidement possible. Reconnaître la différence entre l’agresseur et l’agressé, et reconnaître le droit à la défense de l’agressé n’est pas contradictoire avec la recherche d’une solution négociée. Tout dépend du véritable objectif poursuivi : ici, s’il est de parvenir rapidement à une paix aussi juste que possible, ou bien de saisir l’occasion pour donner une leçon à Poutine et affaiblir la Russie.
Il semble assez clair que les États-Unis et l’OTAN visent ce deuxième objectif; du reste, le désir d’un changement de dirigeant à Moscou est désormais explicite. Mais les implications de ce choix sont graves : parce que c’est d’abord le peuple ukrainien (y compris la partie russophone) qui le paie, alors qu’il a déjà des milliers de morts et 4 millions de réfugiés et que les combats se déroulent sur son territoire; et il touche aussi l’Europe: À court terme, elle le paie économiquement, mais nous savons à quel point les guerres peuvent facilement devenir incontrôlables et nous pourrions nous retrouver impliqués dans un véritable conflit dans lequel même l’arme atomique ne serait plus taboue.
Malheureusement, pour autant que l’on puisse en juger, la course vers l’abîme a commencé.