ÉLÉMENTS : Comment en êtes-vous venu à travailler sur les Carnets ?
ROLAND ROCHEFORT. J’ai milité pendant plusieurs années dans les rangs identitaires, jusqu’à la dissolution de Génération identitaire en mars 2021. C’est dans le cadre de mon engagement politique que j’ai fait la connaissance des Éditions de la Nouvelle Librairie qui m’ont approché en mars 2020 pour travailler sur ce projet. Une telle proposition n’était pas seulement une opportunité professionnelle, mais surtout une véritable consécration militante, puisque Dominique Venner compte parmi les parrains intellectuels de notre mouvement : Histoire et traditions des Européens et Pour une critique positive faisaient partie des lectures obligatoires pour tout militant identitaire qui se respecte. Logiquement, être sollicité pour œuvrer à la publication des écrits posthumes de Dominique Venner est un grand honneur et un privilège autant qu’un devoir militant. La Nouvelle Librairie m’a également confié le soin de rédiger des introductions pour chaque volume des Carnets rebelles, exercice certes difficile mais très enrichissant, puisque c’est l’occasion de porter un regard neuf et synthétique sur l’œuvre et sur l’existence d’une des figures majeures de la pensée identitaire européenne.
ÉLÉMENTS : On sait combien Dominique Venner était pudique. Lève-t-il un peu le voile sur sa personnalité ?
ROLAND ROCHEFORT. Oui, il ne fait aucun doute que les Carnets permettent d’accéder à la vie intime et aux réflexions personnelles de Dominique Venner, et donc de mieux saisir sa personnalité. Cela dit, la pudicité de Venner n’était pas qu’une façade, mais bien un trait de caractère profondément ancré chez lui, ce qui signifie qu’à aucun moment il ne se livre à des épanchements émotionnels. Les Carnets confirment la grande cohérence de sa personnalité et la droiture de son caractère : il ne sombre jamais dans l’obscénité ou dans le sentimentalisme et s’astreint à la « tenue » et à la sobriété, même dans l’intimité de l’écriture personnelle. Il y révèle cependant plusieurs traits de caractère qui n’apparaissaient pas dans son œuvre : un goût certain pour le jeu de la séduction, la fascination pour l’insouciance aventureuse de l’enfance et une estime des personnalités originales, voire fantasques, pour autant que cette excentricité ne serve pas de paravent à la médiocrité. Il est la preuve que la discipline la plus haute n’est pas synonyme de morosité, bien au contraire.
ÉLÉMENTS : Quelle place ces Carnets posthumes occuperont-ils dans l’œuvre de Dominique Venner ?
ROLAND ROCHEFORT. Les Carnets permettent de compléter l’œuvre magistrale de Dominique Venner : ils en constituent la pierre manquante. On connaît le Venner engagé volontaire en Algérie, le Venner militant politique, le Venner chasseur et le Venner historien, mais il était difficile de reconstituer l’entièreté et la cohérence du personnage tant que l’on n’avait pas accès aux détails biographiques et aux réflexions personnelles qui étaient jusque-là invisibles pour le lecteur moyen. Grâce aux Carnets, nous sommes désormais capables de reconstituer l’itinéraire complet de leur auteur.
Personnellement, je considère les Carnets comme un approfondissement de la démarche commencée dans Le Cœur rebelle et poursuivie dans Un Samouraï d’Occident : ils sont à la fois une œuvre autobiographique, un recueil de méditations, une mosaïque historique du xxe siècle français et européen ainsi qu’un manuel d’éthique pour les dissidents de notre temps. Les Carnets rebelles ne sauraient remplacer le reste de son œuvre. Ils constituent son parachèvement. C’est pourquoi je conseillerais aux lecteurs qui souhaiteraient se familiariser avec le travail de Dominique Venner de commencer par lire ses livres d’histoire et ses écrits plus politiques, tels que Pour une critique positive ou Le Cœur rebelle, et de compléter cette démarche par la lecture des Carnets dans un second temps.
ÉLÉMENTS : On sait combien les questions éthiques ont traversé sa vie, quid des questions esthétiques ? Éthique et esthétique forment-elles chez lui un tout ?
ROLAND ROCHEFORT. Indubitablement. Dominique Venner était tout entier habité par un impératif : mettre en accord valeurs traditionnelles (et donc aristocratiques) et comportement. Cette auto-discipline s’est parachevée par son sacrifice final en mai 2013. Chez Venner, le style de vie détermine le style de mort. Il n’usurpe clairement pas son surnom de « samouraï d’Occident ». Tout au long de ses méditations, un jugement revient sans cesse ; celui selon lequel la beauté témoigne de la santé, et qu’il ne saurait exister de contradiction entre la qualité d’une pulsion intérieure et sa manifestation.
ÉLÉMENTS : Au regard de ces Carnets, comment définiriez-vous Dominique Venner, à la fois l’homme et l’œuvre ?
ROLAND ROCHEFORT. De par mon âge, je n’ai pas connu Dominique Venner personnellement, mais le premier sentiment qui me vient à l’esprit, c’est qu’il était à la fois une réponse et une objection à notre temps : son sens de la tenue, son auto-discipline, son dégoût pour la médiocrité et la duplicité, son sens de l’ascèse et de l’aventure sont sortis d’une autre époque. On le croirait une sorte d’aristocrate prussien préservé dans un glacis et dégivré trois siècles plus tard, à mi-chemin entre Götz von Berlichingen et Hibernatus. Dans la bouche de nos contemporains, un tel jugement constituerait sans aucun doute une insulte, mais pour moi, il n’en est rien. L’homme et l’œuvre sont inséparables chez Venner, et l’un comme l’autre témoignent de de la survivance (toujours possible) de l’esprit aristocratique qui fait défaut à la vieille Europe du xxie siècle. C’est la raison pour laquelle son œuvre me paraît cruciale, tant par la richesse de ses enseignements (la Critique positive et Le Siècle de 1914 font partie des livres qui ont véritablement structuré ma formation intellectuelle) que par l’éthique qui y transparaît.
François Bousquet