Rares auront été les analystes à rendre compte avec lucidité du séisme constitué par les résultats de Jean-Luc Mélenchon au premier tour de la présidentielle. La difficulté à intégrer l’enjeu du vote communautaire contribue à brouiller les pistes. Il est vrai qu’il est plus politiquement correct de s’en tenir à une lecture purement sociale du « vote radical ».
Dans Le Figaro du 11 avril dernier, Jérôme Jaffré donnait comme explication au score très élevé du candidat LFI son charisme de « bête de campagne » et sa capacité à incarner le vote utile à gauche. Dans le même temps, le politologue constatait que Mélenchon « sous-performait » dans les Hauts-de-France alors qu’en Île-de-France, son envolée était « spectaculaire » avec des scores « parfois sidérants » comme à La Courneuve ou à Saint-Denis. Comment comprendre cette opposition ? L’Île-de-France serait « plus politisée ». Un peu court.
Et, surtout, totalement contradictoire avec les analyses apportées jusque-là sur des banlieues censées être marquées par un rejet de la politique. En 2017, dans un article consacré à l’abstention, France Inter prenait comme exemple les « quartiers populaires » de Seine-Saint-Denis où les habitants étaient « peu nombreux à être inscrits sur les listes et encore moins nombreux à se déplacer pour voter ». La raison suivante était donnée : « Ils n'ont pas l'impression d'avoir face à eux un candidat pour les représenter ». Il semblerait donc que, cette fois-ci, ils aient trouvé leur candidat.
Dans Marianne, le 11 avril dernier, Christophe Guilluy, célèbre pour avoir théorisé « la France périphérique », analysait l’électorat mélenchoniste en distinguant « ses deux assises » : les « classes moyennes urbaines » et les « classes populaires issues des minorités ». Voilà qui permettait de mieux comprendre, car il y a en effet plusieurs « classes populaires » dans la mesure où il y a, désormais, en France, plusieurs peuples. On ne peut donc plus s’en tenir à une grille de lecture strictement sociale qui opposerait le « bloc élitaire » à un « bloc populaire » monolithique.
Marie d'Armagnac, le 11 avril dernier, sur Boulevard Voltaire, était une des rares à apporter un diagnostic lucide et sans langue de bois : « Le Grand Remplacement a définitivement quitté le domaine de la théorie ardemment et hypocritement décriée par la plupart des candidats pour se traduire en actes politiques, sous nos yeux. »
Pour s’en convaincre, on se reportera notamment aux articles de SaphirNews, site d’information généraliste sur l’actualité des musulmans.
Mohammed Colin, le directeur de la publication, y donnait, le 11 avril dernier, une analyse des résultats du premier tour. « Nous regrettons vivement la non-qualification de Mélenchon », indiquait-il. Tout en précisant ne pas croire « au vote uniforme et de type communautaire », il remarquait « qu'une majorité des électeurs de confession musulmane » avaient « porté massivement leurs voix sur le candidat des Insoumis ». Ce que confirmait un sondage IFOP pour La Croix d’après lequel 69 % des électeurs musulmans avaient voté pour Mélenchon.
SaphirNews, le 8 avril, juste avant le premier tour, avait publié un autre article qui évoquait la « tentation Mélenchon » chez les musulmans et qui citait comme exemple une chaîne de messages WhatsApp se fixant comme objectif de les mobiliser en vue de la présidentielle : « Le but est de créer un effet de surprise car on s’attend à une abstention record. Si l’on arrive à unir les votes des musulmans, le candidat Mélenchon pourra accéder au second tour où tout peut arriver. »
Il y a bien eu « effet de surprise » et mobilisation, mais pas suffisante pour porter le candidat au second tour. Ses partisans misent donc désormais sur le troisième tour que constitueront les élections législatives. Le député LFI Adrien Quatennens a ainsi indiqué, sur France Inter, vouloir « imposer une cohabitation » à Macron en juin prochain.
D’ici là, on peut présumer que le vote des musulmans se reportera sans difficulté sur Macron dans la mesure où, en 2017, ils avaient été 92 % à se prononcer en sa faveur. Ce n’est donc pas sans raison que le Président-candidat organise un meeting, le 16 avril, à Marseille, fief de Mélenchon, où il est arrivé en seconde position derrière le candidat LFI.
L’un comme l’autre ont bien compris qu’à côté d’un vote de classe, il y avait un vote communautaire qu’il ne fallait surtout pas négliger.
Frédéric Lassez