Mercredi soir, des millions de Français seront suspendus devant le moment clé de cette campagne présidentielle. Les acteurs sont les mêmes qu’il y a cinq ans, mais le film risque d’être très différent. Le duel démarrera à 21 heures, il sera retransmis sur TF1, France 2, LCI et FranceInfoTV. On connaît les thèmes dans le désordre : le pouvoir d’achat, bien sûr, les retraites, la place de la France dans le monde, l’immigration, la sécurité, la laïcité. Emmanuel Macron et Marine Le Pen seront aussi interrogés sur leur manière de gouverner. Si le débat respecte ces chapitres et si les deux candidats se respectent tout court, ce sera déjà une première différence de taille avec le débat de 2017. Macron avait écrasé de son mépris son adversaire, coupant ses propos sans la laisser parler, injuriant la candidate et ses électeurs. Deuxième différence : les arbitres. En 2017, les journalistes Nathalie Saint-Cricq et Christophe Jakubyszyn avaient été débordés par la violence du choc entre Macron et Le Pen. Demain, Gilles Bouleau et Léa Salamé auront évidemment tiré les enseignements de ce naufrage. Les Français sont en droit d’espérer qu’ils parviennent à installer un dialogue plus équitable.
Autre différence : les deux débatteurs ne sont plus tout à fait les mêmes…
Cinq ans se sont écoulés et c’est long, cinq ans, quand on est président de la République. Emmanuel Macron a braqué des pans entiers de la société et il le sait. S’il est cassant, méprisant et supérieur comme en 2017, surtout vis-à-vis d’une femme, il donnera des armes à son adversaire. Cinq ans, c’est long, aussi, quand on est chef d’un parti d’opposition et qu’on rumine les causes de l’échec du débat de 2017. Marine Le Pen a beaucoup travaillé son programme, chacun le lui reconnaît. Elle va tenter de prendre de la hauteur, de rassurer, de materner les Français pour casser les tentatives de diabolisation de Macron.
Les deux candidats vont se concentrer sur les failles de l’autre. Emmanuel Macron va attaquer très dur le programme de Marine Le Pen. Il va tenter de le décrédibiliser, de montrer ses contradictions internes, de souligner les évolutions dans le temps d’une candidate qui a mis pas mal d’eau dans son vin. Marine Le Pen dénoncera, elle, le flou du programme de Macron qui aura navigué à vue dans cette campagne pour séduire tous azimuts. Un démagogue au sens propre du terme. Elle montera surtout à l’assaut du bilan du chef de l’État, sur la dette ou les libertés individuelles, sur les chiffres de l’immigration ou sur ceux de l’insécurité. Là encore, rien à voir avec le débat de 2017 dans lequel Macron pouvait reporter sur Hollande les résultats du gouvernement dont il était pourtant une pièce maîtresse.
Ce débat peut encore changer la donne de l’élection présidentielle. D’abord, les deux candidats restent à portée l’un de l’autre dans les intentions de vote. Marine Le Pen est, dans les sondages, au moins dix points au-dessus de son score de second tour aux dernières présidentielles. Or, de nombreux Français n’ont pas encore fait leur choix. Et dans ces débats d’entre-deux-tours, une seule phrase peut tout bousculer. On se souvient du mot de Giscard à Mitterrand, en 1974 : « Vous n’avez pas le monopole du cœur. » Giscard l’emportera. Mitterrand prendra sa revanche, sept ans plus tard, en qualifiant Giscard d'« homme du passif ». Giscard l’avait traité d'« homme du passé ». Ces deux phrases ont fait basculer le destin. Enfin, si Marine Le Pen résiste honorablement, cela lui sera compté comme une demi-victoire. Il y avait plus de 16 millions de téléspectateurs devant le débat d’entre-deux-tours, voilà cinq ans, c’était peu pour ce grand rendez-vous, mais c’est suffisant pour changer la fin d'un scénario qui n'est pas écrit.