Le drame sordide de la crèche de Lyon du 22 juin dernier - une jeune employée, excédée par les cris, avait fait ingérer un détergent à une fillette de 11 mois, qui en était morte - demeure dans les esprits.
Pour les parents, pourtant, la crèche avait jusque-là cet avantage sur la nourrice d’être plus sécurisante : ce n’est pas un huis clos entre un bébé incapable de faire un compte rendu de sa journée et un adulte de ce fait tout puissant et donc possiblement dissimulateur, mais une armada de salariées qui se contrôlent l’une l’autre et ne peuvent donc être maltraitantes sans (qu'en principe) on s’en aperçoive. Mais désormais, avec cette affaire terrible, comment ne pas s’inquiéter de voir privilégier la quantité sur la qualité et tabler sur un infléchissement du niveau d’exigence pour recruter ?
Une situation inquiétante qui n’est pas sans rappeler, à l’autre bout de la vie, tout aussi vulnérable, celle des EHPAD, brutalement révélée par le livre Les Fossoyeurs. Le constat et les causes larvées sont similaires : une société de moins en moins holiste, de plus en plus individualiste, dans laquelle la charité chrétienne - que l’on appelle, dans sa version laïcisée, la solidarité - s’étiole en même temps que le sens du devoir et la conscience sans lesquels elle ne peut exister. Il se dit que les jeunes cherchent désormais du sens dans leur métier, et l’on s’en extasie comme s’ils étaient prodigieusement altruistes, mais dans le même temps, selon un sondage récent, la moitié d’entre eux seraient prêts à démissionner si le « 100 % présentiel leur était imposé ».
Or, le baby (papy) phone a ses limites : impossible de travailler virtuellement dans une crèche ou un EHPAD par Zoom et Slack interposés. Pourtant, quel métier a plus de sens que celui, profondément incarné et ancré dans le réel, consistant à prendre soin des plus faibles, ceux qui nous sont le plus précieux, nos enfants et nos parents ? Pour leur défense, on a tellement inculqué à cette génération l’amour du lointain aux dépens de celui du prochain, qu’elle tend à croire qu’il n’est de mission humanitaire qu’à l’autre bout du monde quand leur propre grand-mère, à 2 heures de TGV, serait si contente de recevoir enfin leur visite, ou leur tante d’être dépannée temps à autre, à une demi-heure de métro, pour un enfant malade. Par ailleurs, ayant tous obtenu un simulacre de bac aussi dévalué qu’un assignat de l’an IV mais auquel tout le monde fait mine de croire, comment s’imagineraient-ils destinés à un métier qui ne serait pas hautement intellectuel ?
Le cercle vicieux, absurde, est le même que pour l’Éducation, la restauration, la santé… le métier, mal rémunéré et déprécié, n’attire plus ? Qu’à cela ne tienne, déprécions-le un peu plus pour recruter. Et l’on table bien souvent sur une main-d’œuvre immigrée, dont le peu d’exigence en matière de salaire et d’horaires tient lieu de curriculum vitae - quand ce n’est pas de papiers - pour combler les trous dans le planning. Jamais, sans doute, gouvernement n'aura eu vision plus court-termiste.
Gabrielle Cluzel