Incontestablement, 2022 marque une étape dans l'histoire de la droite. Objectivement une nouvelle défaite. Mais un net progrès en voix et en sièges. Surtout une évolution dont on sent bien qu'elle va se poursuivre : marginalisation de LR, dynamique du RN, interrogation sur l'avenir de Reconquête. Une chose est certaine : la géographie du vote Le Pen et RN valide de plus en plus la pertinence du concept phare de Christophe Guilluy : la célèbre « France périphérique ». Il fête ses vingt ans dans deux entretiens publiés par Marianne cette semaine.
Laissons l'auteur rappeler le caractère révolutionnaire de sa trouvaille : « J’indiquais, en gros : "Attention, la France populaire, les catégories populaires, ce n’est pas seulement ce que les médias nous projettent 24h/24, c’est-à-dire seulement la banlieue. C'est aussi tout le reste : les trois quarts des classes populaires, des gens qui vivent hors des écrans radars, de la presse, du monde académique, etc." »
Et cet intellectuel lui-même peu académique, mais visionnaire, subit régulièrement les ergotages d'universitaires à l'affût de résultats qui écorneraient sa grille d'interprétation. Par exemple, après l'élection de 2017, un autre géographe - Aurélien Delpirou - croyait faire mentir le concept en arguant qu'Emmanuel Macron avait réalisé des scores très élevés dans certains coins de cette France périphérique et que son succès était uniforme. En 2022, le reflux du macronisme au second tour de la présidentielle et aux législatives par rapport à 2017 devrait le pousser à rebattre ses cartes. En effet, le retrait de la vague macroniste a dessiné une carte qui correspond bien à celle de la France périphérique, comme le confirme l'analyse de François Luciardi, chercheur à l'Université libre de Bruxelles. Pour lui, « en répétant ce traitement statistique pour les présidentielles de 2002 et 2012 (2007 est mise de côté du fait de l'affaiblissement du FN dû à Sarkozy), nous constatons que l'échelle de la France périphérique n'a fait que gagner en puissance sur la période 2002-2017 ». Avec amplification en 2022. Concrètement, les géographes anti-Guilluy qui croyaient que des facteurs régionaux ou historiques feraient mentir le concept n'ont pu que constater la montée en puissance du vote Le Pen dans des endroits qu'ils pensaient inaccessibles : la Creuse et certaines communes de Bretagne, par exemple, et toujours par la voie périphérique !
La France périphérique avance - et le vote Le Pen avec elle. Géographiquement, elle recule aussi (tout en se renforçant numériquement), et ses contours évoluent comme ceux des côtes avec la montée des océans. Après la gentryfication des métropoles, le littoral est en voie d'accaparement total par les CSP+, comme le constatait Christophe Guilluy dans Le Figaro en novembre dernier : « Les jeunes issus de milieux populaires ne pourront pas vivre là où ils sont nés. Ils sont obligés de se délocaliser le plus loin possible du littoral dans ce qu’on nomme le rétro-littoral, voire plus loin encore. Propriétaire à la mer, c’est fini pour les classes populaires. [...] Cette violence invisible, cette appropriation, rappelle celle qu’ont connue les grandes villes hier. » Avec ce paradoxe que ces CSP +, les plus sensibles au discours écolo, achètent dans le plus grand déni... climatique. Mais, pour notre carte France périphérique-RN, on constate déjà cette tectonique des plaques du littoral : les arrière-pays breton, charentais, girondin et méditerranéen ont déjà commencé à basculer en 2022.
Le concept de France périphérique a encore de beaux jours devant lui, et le vote qui va avec aussi.
Frédéric Sirgant