On le sait depuis Clausewitz, « la guerre, c’est la politique par d’autres moyens ». Michel Foucault, historien et philosophe-phare de la gauche depuis les années 60, avait retourné la fameuse formule du général de division prussien, qui devenait ainsi : « La politique, c’est la guerre par d’autres moyens. » Mais l’époque actuelle nous encourage à aller plus loin. Et si, finalement, la lutte politique dans l’Occident du xxie siècle n’était pas autre chose que de la religion par d’autres moyens ?
La gauche, malgré son athéisme, son anticléricalisme et son rationalisme, se comporte d’une façon très similaire à celle d’un mouvement religieux. Il existe des préceptes indiscutables (l’égalité), une orthodoxie gardée et transmise par des clercs (journalistes, universitaires, ONG diverses), une mythologie (le culte du Progrès) et surtout, des symboles et des « dieux » (qu’il s’agisse de personnes Karl Marx, Simone Veil, Adama Traoré ou de minorités destinées à hériter du monde futur). Analyser la gauche comme un mouvement religieux, c’est comprendre comment elle combat, pourquoi elle gagne, et comment la vaincre.
Le mariage gay, cas d’école de guerre psychologique et religieuse
C’est bien en tant que mouvement religieux que la gauche a mené le combat politique : derrière le foisonnement doctrinal apparent, c’est le fanatisme de la sainte Égalité qui constituait le carburant de leur lutte. Et sans doute plus par instinct que par stratégie, la gauche a compris très tôt un des piliers de la guerre religieuse : la destruction des symboles et des temples de l’ennemi. Dans une guerre de religion, il n’est pas suffisant de terrasser l’adversaire sur le champ de bataille : il est nécessaire de triompher au sein-même de sa conscience, pour s’assurer qu’après la défaite, les vaincus, abandonnés par leurs idoles, ne choisissent pas de se rebeller à nouveau. Idéalement, leur conversion au culte des vainqueurs assurera la pérennité de leur soumission.
Dans le champ religieux, la destruction des idoles a un but simple : montrer à l’ennemi que malgré la mise en ruines de ses temples, ses dieux n’interviendront pas, prouvant ainsi leur inexistence, contrairement aux dieux conquérants, bien réels, puisqu’ils assurent la victoire pour les leurs. Cette démoralisation est la clé de la victoire.
Pour ce qui est du politique, le parallèle est évident, quoique les moyens d’actions empruntent moins à la violence physique qu’à la violence du discours et des symboles.
Le cas du mariage homosexuel est des plus limpides : l’élargissement (pour ne pas dire la distorsion) du concept de mariage pour y inclure les homosexuels n’est pas seulement un but en lui-même pour la gauche, obsédée par la marche vers l’égalité. Il s’agit également d’une tentative de destruction de la conception traditionnelle du monde et de démoralisation de la droite (au sens large). Le discours de la gauche à cette époque consistait à déclarer que l’adoption du mariage gay n’aurait aucun impact dans la vie de la majorité de la population, mais constituait simplement la correction d’une inégalité, et donc d’une injustice millénaire. Implicitement, ce discours signifiait que si l’adoption du mariage gay ne se soldait pas par la fin du monde, c’était bien le signe que la philosophie des conservateurs était fausse. La perte de confiance de la droite envers ses idoles (ses croyances, ses valeurs les plus fondamentales) serait ainsi le jalon qui préparerait à son tour les prochaines victoires de la gauche et la marginalisation définitive de ses adversaires.
Du gramscisme de droite à la guérilla politico-religieuse
L’histoire politique de l’Occident depuis les années 60 est celle de la démoralisation perpétuelle de la droite au fur et à mesure des victoires du camp du Progrès. Pour autant, plusieurs épisodes récents prouvent que cette tendance s’essouffle et que c’est au tour des idoles de la gauche de s’effondrer. Cette tendance au renversement a débuté avec le mandat de Donald Trump comme 45e président des États-Unis, marqué par l’attitude de mépris affichée par le magnat new-yorkais de l’immobilier envers les institutions sacrées de la société américaine, qu’il s’agisse de la déférence requise envers la caste journalistique, des organisations internationales (ONU, OMC, etc.) ou les experts en tous genres. Ces transgressions symboliques furent un véritable coup de Jarnac contre l’édifice mental de la gauche et son arrogance. Plus Trump piétinait leurs idoles, plus ses partisans le soutenaient, et plus les gardiens de l’ordre sombraient dans la démence et le ridicule. Toujours aux États-Unis, l’infirmation en juin 2022 de l’arrêt Roe vs Wade, qui garantissait jusqu’alors le droit à l’avortement au niveau fédéral fut un séisme pour les progressistes du monde entier : ceux-ci assistaient, impuissants, à la destruction d’un de leurs temples les plus sacrés, alors même que la philosophie du Progrès qui les anime interdit de penser ce genre de retournement comme possible.
La question sur le fond, quant à la légitimité d’une telle décision, est finalement tout à fait mineure : ce qui importe ici, c’est de comprendre qu’il est bon, par nature, de terrasser les idoles de l’ennemi et de mettre la société (voire le monde entier) devant le fait accompli de l’impuissance du camp du Bien. Celui-ci, en proie à la panique, aura tôt fait d’annoncer que la décision de rendre aux États le choix de légaliser ou non l’avortement par la voie démocratique ouvrira la voie à une dystopie cruelle et totalitaire. Il n’en sera évidemment rien. Et face à cette apocalypse qui ne vient pas, les masses habituées à suivre mollement les invectives morales du progressisme commenceront à douter de la toute-puissance des dieux de l’égalité.
Penser le combat politique comme une guerre de religion ne signifie pas qu’il faille abandonner une approche rationnelle des choix à faire pour gagner, mais plutôt qu’il est nécessaire de ne pas laisser tomber le versant symbolique de la lutte. Gramsci nous a enseigné que « la politique se situe en aval de la culture ». Bien entendu, cette maxime est toujours pertinente, ce qui implique la nécessité de continuer à éveiller les consciences. Mais il faut bien voir que pour occuper l’espace culturel, il est nécessaire de se débarrasser des idoles de l’ennemi. Détruire les symboles de nos ennemis (par la voie légale et politique de l’interdiction ou par la voie culturelle de la dérision) doit constituer pour les identitaires un impératif moral et stratégique de premier plan.
Clément Martin
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