La fille d’Alexandre Douguine, le géopoliticien dont les idées sont considérées comme étant influentes auprès du président russe Vladimir Poutine, a été assassinée à Moscou. Son père était visé par l’attentat et un concours de circonstances a fait qu’il a, pour sa part, échappé à celui-ci. Lionel Baland a interrogé, une nouvelle fois pour Breizh-info, l’éditeur français d’Alexandre Douguine et ami de ce dernier, Christian Bouchet.
Breizh-info.com : Daria Douguine a été tuée ce week-end. La connaissiez-vous ?
Christian Bouchet : Oui, bien sûr. Je l’ai rencontrée à de nombreuses reprises, mais il y avait entre nous presque quarante ans d’écart, donc je n’ai jamais été proche d’elle.
C’était la fille d’un ami et je la considérais comme telle. Il y a une dizaine d’années, elle avait voulu faire un doctorat de philosophie en France, à Lyon, et je me souviens avoir contacté alors Bruno Gollnisch pour faciliter son intégration dans cette université. Finalement, cela ne s’était pas fait et elle était venue étudier, autant que je me souvienne, à Bordeaux.
Breizh-info.com : Quelles étaient les activités de Daria Douguine ?
Christian Bouchet : Daria Douguine n’était pas la seule enfant d’Alexandre Douguine, mais elle était la seule de ceux-ci qui se soit engagée ostensiblement auprès de son père. François Bousquet a très bien défini qui elle était devenue en écrivant ceci : « Elle et lui [Alexandre Douguine], c’était un couple intellectuel, fusionnel. Les deux hémisphères d’un même cerveau. Quand on parlait à l’un, on entendait l’autre. »
Depuis son enfance, on la rencontrait dans toutes les manifestations eurasistes, mais, depuis quelques années on la voyait beaucoup dans les médias où elle s’exprimait avec brio et défendait une vue du monde traditionaliste – il est à cet égard signifiant qu’elle soit morte en revenant d’un festival dont le nom était Tradition – et des thèses géopolitiques et philosophiques favorables à un monde multipolaire.
Elle était l’auteur aussi de nombre de traductions du français en Russe pour les sites eurasistes et de multiples articles de doctrine sur ceux-ci.
Breizh-info.com : En quoi consistent les théories d’Alexandre Douguine ?
Christian Bouchet : Alexandre Douguine est à la fois un traditionaliste, inspiré de René Guénon et de Julius Evola, et un géopoliticien héritier des penseurs russes eurasistes et nationaux-bolcheviques.
Dans ses livres, il propose un modèle de société profondément anti-libéral, respectant les identités et, donc, favorable à une construction impériale eurasienne, ce que moi, disciple de Jean Thiriart, que Douguine a rencontré et apprécié, j’appelle « La Plus grande Europe », celle qui va de Galway à Vladivostok.
Contrairement à ce que je peux lire ici et là, ce n’est pas un nationaliste russe, bien au contraire. Il pense en termes d’Empire, pas de race, de nation ou d’ethnie.
Breizh-info.com : Pourquoi est-il devenu si influent ?
Christian Bouchet : Est-il si influent que les médias occidentaux le disent ? Telle est la question.
Ces médias le présentent comme le « Raspoutine de Vladimir Poutine », comme le « cerveau de Poutine », etc. Or, en réalité, je crois bien qu’il n’a jamais rencontré le président Poutine et, il y a quelques années, il a perdu sa chaire à l’Université de Moscou car ses prises de position radicales gênaient le gouvernement Poutine alors favorable à la signature des accords de Minsk.
Contrairement à ce qui peut être écrit, il n’est pas celui qui murmure ses conseils à l’oreille de Vladimir Poutine. Cela ne veut toutefois pas dire qu’il n’a pas d’influence, mais celle-ci s’exerce différemment : par ses livres, ses articles, ses conférences, ses interventions télévisées, ses prises de position sur la toile. Et cette influence est importante, même si elle est bien différente de celle qu’on nous présente. Si je peux faire une comparaison, il est plus proche, en Russie, du statut qu’a en France Bernard-Henri Levy que de celui qu’a pu avoir Jacques Attali avec François Mitterand.
Par ailleurs, Alexandre est virtuellement à la tête de tout un réseau international qui fait qu’on le traduit et l’édite dans le monde entier et qu’il a des partisans dévoués aussi bien au Brésil qu’en Turquie, en Italie, en France, en Espagne, en Afrique, en Chine, aux États-Unis, etc. Son influence dépasse ainsi largement les frontières de la Russie. D’une certaine mesure, même si ses thèses sont hétérodoxes, il est un agent d’influence informel russe exerçant une influence mondiale, et cela n’est pas rien.
Vous me demandez pourquoi il a acquis cette influence, même si elle est bien différente de celle dont nous bassinent les médias ? Je serais bien en peine de vous répondre avec exactitude. Sans doute est-ce une question d’intelligence, de charisme ; sans doute aussi les solutions aux périls de notre temps qu’il nous propose sont-elles énoncées au bon moment et de la bonne manière ?
Pour lire la suite, c’est ici !