C’est un auteur précieux, un expert, un vrai. Bien connu des lecteurs de Boulevard Voltaire, Philippe Charlez sort un livre qui lui ressemble : sérieux, appuyé, scientifique mais aussi facétieux, raisonnable et provocateur, jamais exactement où on l’attend. Un livre libre.
Les 10 commandements de la transition énergétique (VA Éditions, 177 pages) sera le livre de chevet de qui veut aborder avec honnêteté les perspectives affolantes dessinées par les Verts. C’est un outil pour y voir clair et droit, quitte à abandonner quelques convictions que l’on croyait fondées. Quitte aussi, pourquoi pas, à contester le maître.
Mais il ne vous facilitera pas le travail car Philippe Charlez ne s’est pas improvisé climatologue en taguant des slogans faciles sur les murs des centrales nucléaires dans les années 1970. Non, pendant que les chevelus pressés de retourner à l’âge des cavernes se donnaient des frissons, Charlez bossait et passait des diplômes. Ce Belge est ainsi ingénieur de la Faculté polytechnique de Mons, docteur en physique, expert en énergie et auteur de nombreux livres. Il est professeur à l’université parisienne Dauphine, à l’INSEAD ou aux Mines Paris Tech, excusez du peu.
Sa liberté sur ces sujets délicats n’est donc pas celle du fou mais celle du savant. Il a le courage d’en user en conscience dans un domaine (un de plus) dans lequel le moindre écart, la moindre erreur, la moindre divergence vous vaut aussitôt l’enfer médiatique. « La tyrannie de la pensée dominante est difficile, voire impossible à contester, écrit Philippe Charlez dans sa préface. Oser la challenger conduit à la marginalisation, voire à la diabolisation. » Lui se veut scientifique au sens noble du terme, sans égard pour la chape de plomb : « Parfois empreinte d’une certaine poésie, l’affirmation idéologique l’emporte souvent à court terme sur un discours scientifique, lequel exige rigueur, modestie et ouverture », note-t-il. Il n’est pas dupe, Philippe Charlez : le militantisme vert ne s’embarrasse pas de science. « Soucieux de défendre un agenda souvent déconnecté du climat, l’écologie politique a transformé le problème scientifique en dogme religieux. Comme les Gardes rouges durant la révolution culturelle chinoise, les ONG fondamentalistes forment aujourd’hui "l’ignorance" de leurs militants. »
Le premier commandement selon Philippe Charlez est ainsi clair : « Le climato-scepticisme tu déconstruiras. » Place aux faits. La Terre se réchauffe-t-elle, demande-t-il ? Chiffres en mains, appuyé sur de nombreuses notes de bas de page, il répond clairement. Le CO2 dans l’atmosphère augmente-t-il et à quel rythme ? Quelle est l’influence de l’effet de serre ? Les questions sont claires et les réponses transparentes. Elles s’accordent parfois au « vent dominant », parfois non. Mais elles sont toujours argumentées. À son rythme, l’auteur attaque les faux monuments chéris de nos écolos-dingos. Commandement second : « Le décroissantisme tu combattras », lance-t-il, désossant un par un les arguments déraisonnables de ceux qui rêvent de revenir à l’araire. « Le monde de Greta se délecte à surestimer les faibles probabilités », écrit-il. Toujours équilibré, il appelle plutôt à améliorer l’existant. On peut mieux faire sur la consommation d’énergie, les comportements, le choix des équipements nécessaires pour décarboner. C’est un sage qui invite à renoncer très vite à une énergie dépendante à 100 % du renouvelable, à s’appuyer sur le nucléaire, à se méfier de l’excès de biomasse dans notre mix énergétique, à accepter « un reliquat d’énergies fossiles ».
Les dix commandements de Charlez ne sont pas seulement techniques, ils sont aussi politiques. Ce tableau très pragmatique dans un univers si passionné, contesté, menacé de rêves destructeurs et funestes, verrouillé par une gauche écolo qui a souvent perdu le contact avec la réalité, semble déboucher sur une ode induite à la nation. C’est ainsi qu’on peut lire le dernier chapitre et dernier commandement : « La coopération internationale tu soutiendras. » Les intérêts et les réflexes des différentes nations et chefs d’État sont très éloignés, explique l’auteur, documents en main. « Même si le réchauffement climatique n’a pas de frontières, la transition énergétique pourra difficilement être mondiale », dit-il. Mais il ne croit pas à cet horizon d'une partie de la droite, au « localisme, qui s’accommode parfaitement des idées décroissantistes des climatogauchistes », même si les deux camps ne partagent pas la même vision d’avenir. Une pierre au débat. On en sort lucide et documenté.
Malheureusement, Philippe Charlez fait le constat, dans les dernières pages, de l’insuffisance française face aux grands blocs dans le monde, Chine et États-Unis en tête. Il semble plaider pour une politique commune basée sur notre socle culturel judéo-chrétien européen. Il appelle à de grands projets européens structurants capables de « relancer une Europe en panne ». Air entendu. C’est oublier que l'Europe n'est pas la solution au mal, c'est sa cause. Nous avons déjà tenté l’expérience dans le charbon, l’acier, l’industrie, l’agriculture… Avec un résultat identique catastrophique. Lâcher le volant et le levier de vitesses de la voiture France en plein virage, en espérant que l’Europe la conduira mieux que nous Français, nous a conduit dans le décor. Hors de l’Union européenne, le Royaume-Uni, quoi qu’on en dise, la Suisse, l’Islande, avec leurs particularités, ne s’en sortent pas si mal. La France ne retrouvera le chemin de sa grandeur que souveraine. La transition énergétique doit s'accompagner d'une transition souveraine. La nation ou le chaos.