À l'aube de ce 5 avril, à cinq heures et demie du matin "Le Monde" titrait, sans doute avec quelque raison : "la Nupes de nouveau secouée par les tensions internes". La rédaction croyait utile de corriger le tir un peu plus tard : la coalition de la gauche et de l'extrême gauche était diagnostiquée, à 9 h 51, comme "minée par des divisions de plus en plus évidentes".
Tout semblait pourtant avoir bien commencé, la veille, 4 avril.
Souriants, les députés Sandrine Rousseau, qu'on ne présente plus, Sébastien Jumel, qui n'est plus maire de Dieppe, mais qui demeure un pilier du PCF, flanqués d'Eric Coquerel, président LFI de la commission des Finances, de Pierre Dharréville, "gauche démocratique et républicaine", groupe cache-nez des communistes et de Cyrielle Chatelain, "Europe Écologie Les Verts" s'étaient rendus ensemble, bras dessus bras dessous, au Conseil constitutionnel.
À remarquer toutefois que le seul représentant de "La France insoumise", Éric Coqueret paraît en disgrâce auprès de Mélenchon, ayant été mis à l'écart de la direction du parti, telle qu'elle a été redéfinie par son chef tout-puissant en date du 10 décembre 2022.
Accompagnés d’autres élus, ils devaient être entendus par les neuf bonzes que l'on est convenu de surnommer les "Sages". Ils présentaient leur recours contre la réforme des retraites.
Or, il se murmure de plus en plus dans les allées du pouvoir, un scénario subtil de sortie de crise. L'hypothèse la plus favorable à la Macronie serait qu'une pause soit commandée. Il s'agirait en effet de bloquer quelque temps, sans drame, le processus d'une pseudo-réforme devenue même inopérante, à force de contreparties, du point de vue des comptes publics.
On pourrait ainsi arguer d'obscures considérations de procédure. Cela éviterait de ternir, aux yeux des marchés financiers, l'image "réformatrice" du quinquennat. Le gâtisme précoce de Laurent Fabius, associé à la complaisance d'Alain Juppé, pourrait contribuer à ce genre de miracles. Cela permettrait aussi de renvoyer, entretemps, Mme Borne à ses chères études et d'opérer un remaniement ministériel, sans paraître l'associer au traitement technocratique calamiteux de ce dossier qui paralyse le pays depuis des semaines.
La concrétisation d'une telle manœuvre florentine supposerait certes un doigté auquel, depuis 2017, le pouvoir ne nous a guère habitué. En revanche, sa seule hypothèse indispose le capitaine Mélenchon. Tel un cap-hornier, il ne se sent vraiment dans son élément qu'entre les quarantièmes rugissants et les cinquantièmes hurlants. Yasser Arafat, hilare devant Beyrouth en feu, rappelait que "la révolution n'est pas un pique-nique". Le chef de "La France insoumise" est un disciple de Engels et de Lénine pour qui la violence est "la grande accoucheuse de l'Histoire". Il trouve donc toutes les excuses aux zadistes, black blocs et autres éco-extrémistes.
Tout ceci confirme une attitude conflictuelle constante, dont la plus révélatrice, sans doute, même si on peut la juger "anecdotique" a consisté à soutenir, à la grande rage des féministes, le député LFI du Nord Adrien Quatennens, condamné pour violences conjugales.
Plus politique encore, le fait de se retirer lui-même du parlement, ne doit pas être tenu pour anodin. Gravement, une des groupies de notre "lider maximo" français, Mme Sarah Legrain, député de Paris théorise la démarche. À l'entendre, Méluche, désormais "assume un autre rôle, de magistère intellectuel, plutôt que de revendiquer le leadership" d'un groupe parlementaire. Il préfère se replonger dans de vieilles lectures, Trotski et d’autres, assure-t-on, invitant des intellectuels et des experts dans son bureau...
En 2014, le camarade Jean-Luc Mélenchon publiait chez Fayard, vieille et respectable maison d'édition autrefois proche de l'Action française, un livre programmatique intitulé "L'Ère du peuple". On notera que, conformément à un usage typographique subtil que personne n'a encore pensé à bouleverser, nonobstant l'idée que ce titre est supposé dégager, le mot "peuple" y est écrit avec un p minuscule. Le principe du chef, horresco referens, énonce en effet qu'une nation en ordre de marche suppose "un peuple et son chef". C'est ainsi que son ami Chavez, par exemple, gouvernait à Caracas, menant le Venezuela à sa ruine. Est-ce cela que propose Mélenchon ? Pour le dixième anniversaire de sa publication, une réécriture de ce livre immortel est annoncée : écrira-t-on enfin Peuple avec un grand P ? J'imagine que les Français qui lisent ces lignes se posent d'autres problèmes. N'empêche...
Une grande partie des partisans de notre candidat dictateur ont en fait progressivement pris leurs distances.
On commence à se souvenir du passé du personnage au sein de l’Organisation communiste internationaliste. Dans ce mouvement trotskiste "lambertiste", par lequel sont passés tant de cadres de la gauche aujourd'hui reconvertis on cultivait les services d'ordres musclés, mais aussi des habitudes de clandestinité, comme celle d'user systématiquement de pseudonyme.
Le sien, "Santerre", renvoyait au commandant de la garde nationale de Paris de 1793. Sans-culotte sous Robespierre, il finira général sous Napoléon. "C’était, écrit Michelet pourtant sympathisant des jacobins, une espèce de Goliath, sans esprit, sans talent, ayant les apparences du courage, du bon cœur et de la bonhomie." Peut-être Mélenchon, natif de Tanger, y voyait-il aussi le sens phonétique de son destin déraciné, "sans-terre" ?
Toujours est-il que le comportement de son porte parole à l'Assemblée nationale, Manuel Bompard, n'a jamais été désavoué par le chef. "Le boss c'est Manu" feint-il d'affirmer. À ses côtés "Manu" défilait le 19 janvier à Marseille et le 21 janvier à Paris. Tout deux n'ont cessé de souffler sur les braises. Mélenchon affirme que son protégé a "gagné ses galons" à la faveur de cette interminable crise des retraites.
À en croire "Le Monde"Mélenchon aurait, au sein de son parti "joué les uns contre les autres, Eric Coquerel contre Alexis Corbière, Alexis Corbière contre François Ruffin. Il souffle le chaud et le froid, vante l’intelligence de Clémentine Autain, etc."
Tout ceci explique la crise du mélenchonisme. Les partenaires socialiste, écologiste et communiste n'en peuvent plus de son hégémonie à gauche. On les comprend.
Apparu à l'occasion de la présidentielle de 2012, il n'était alors qu'un substitut du parti communiste. Marie-Georges Buffet, secrétaire générale et candidate du PCF en 2007, n'avait obtenu qu'un désastreux 1,93 % des voix. Se présentant grâce aux réseaux de parrainages des élus locaux du PCF, notre ancien trotskiste recueille 11 % des suffrages, faisant avec les 1,15 % du "krivinien" Poutou, le plein de l'audience de l'extrême-gauche en France. À partir de cette date il devint l'espoir du gauchisme international, soutenu notamment par les révolutionnaires sud-américains, leurs sympathisants européens et leurs bailleurs de fonds extra-européens. En France il bénéficiera de l'effondrement du parti socialiste sous la misérable présidence Hollande : il passe à 19,6 % en 2017 tandis que Benoît Hamon, candidat du PS n'obtient que 4,8 %. À partir de cette date, il s'emploie à rassembler ou manipuler tous les protestataires... En vain, heureusement, puisqu'il échoue une troisième fois à la présidentielle de 2017. Depuis, son discours n'a cessé de se durcir, au point d'incommoder ses partenaires. Il est temps de mesurer le danger qu'il fait peser sur le pays et ses libertés.
JG Malliarakis