Sans trop de bruit, donc, la France est entrée dans un club très fermé – celui des pays qui maîtrisent la construction des centrales nucléaires munies de réacteurs de troisième génération, clés en mains. Deux EPR sont déjà en service en Chine depuis fin 2018 et septembre 2019 respectivement – mais les cuves des réacteurs avaient été faites par Mitsubishi (Japon) et Donfang (Chine) respectivement, ce qui n’avait pas empêché le budget prévisionnel du chantier d’être dépassé de 60%, deux autres devraient l’être en Angleterre, à Hinkley Point, en 2027 – au lieu de 2025 comme prévu initialement.
Un EPR en construction à Flamanville, entamé en 2007, ne sera mis en service que fin 2023, après avoir été perturbé par des malfaçons en châine, des problèmes de soudure et un concours d’exigences croisées entre l’IRSN (institut de radioprotection et de sécurité nucléaire) et l’ASN (Autorité de Sûreté nucléaire) au détriment de l’industrie nationale et des deniers publics – le coût du chantier étant réévalué de 3.3 milliards d’euros à 13.2 milliards d’euros actuellement. Depuis, Macron a annoncé que 6 EPR seront construits par paires en France, à Penly (76), Gravelines (Nord) et probablement dans la vallée du Rhône pour la dernière paire.
La France fait jeu égal avec la Corée du Sud, les USA, la Chine… et la Russie
En mettant en place, aux normes européennes – très strictes – et malgré retards et perturbations d’antinucléaires de tous poils – son réacteur finlandais, la France signe une réussite industrielle d’envergure qui lui permet de maintenir la continuité de l’Etat, grand principe administratif qui a forgé la France contemporaine depuis Henri IV et la reconstruction de la cathédrale d’Orléans alors abîmée par des troupes protestantes, et d’entrer dans le club très fermé des pays capables de produire de bout en bout un réacteur de troisième génération.
Outre la France et son EPR – le seul à développer 1600 MW de puissance, une force qui a aussi été la source de bien des problèmes, puisque réaliser une puissance nette de plus de 1400 MW par réacteur était une véritable terra incognita pour les développeurs, il y a la Corée du Sud avec son APR1400 – trois sont en service en Corée du Sud (Shin Kori 3 et 4, Shin Hanul 1) et deux aux Emirats Unis (Barakah), cinq autres sont en construction (une paire à Shin Kori, un à Shin Hanul, une autre paire à Barakah). Il développe une puissance électrique nette de 1400 MW – 40% de plus que son prédécesseur l’OPR 1000, être exploité 60 ans – moitié plus que le précédent, et est plus sûr. Un modèle plus perfectionné encore, l’APR+, existe depuis 2014. Sa conception a commencé en 1992 et il a été certifié en Corée du Sud en 2002.
Les Etats-Unis ont, eux, le réacteur AP1000 de Westinghouse – quatre réacteurs sont en service, tous en Chine, Sanmen 1 et 2 depuis juin 2018 et 2019 respectivement, et une paire à Haiyang. Conçu depuis la fin des années 1980, il est une évolution de l’AP600 et a été certifié pour la première fois en 2005 aux Etats-Unis, puis revu et corrigé pour mieux résister aux cataclysmes naturels et certifié de nouveau en 2011. Il produit 1154 MW et est plus compact que ses concurrents.
Plusieurs sont en projet – un à Kozlodouy en Bulgarie, en construction depuis 2014 et qui doit être mis en service en 2025, 6 autres en Chine – une paire de plus à Sanmen et deux à Haiyang, et une paire à la centrale nucléaire de Vogtle, autorisés en 2012 – le premier projet de nouveaux réacteurs aux Etats-Unis depuis trente ans, mais dont le premier a seulement été branché au réseau en mars 2023, après plusieurs reports et un dérapage du coût du chantier. La paire prévue à Virgil Summer, autorisée en 2012, a vu sa construction abandonnée en 2017, celle de Turkey Point est reportée à…2032, les deux paires prévues à Levy et Shearon Harris purement et simplement abandonnées… ce qui permet de relativiser quelque peu les difficultés subies par l’EPR.
Des entreprises du Japon et des Etats-Unis ont développé ensemble l’US-ABWR, dont le tout premier (1350 MW) a été mis en service… en 1996 à la centrale nucléaire de Kashiwazaki. Mais ses sept blocs ont été mis à l’arrêt en 2011 suite à Fukushima et sont toujours à l’arrêt. Deux autres, mis en service à Hamaoka et Sika au Japon, sont eux aussi à l’arrêt pour les mêmes raisons. La construction d’un autre réacteur à Simane, au Japon, a été interrompue en 2011 et n’a pas repris. Celle du réacteur de la centrale d’Oma, au Japon, est toujours en cours – la mise en service de cette première centrale MOX était prévue en 2014, ce ne sera pas avant 2028, au mieux. Deux autres réacteurs étaient prévus à Lungmen à Taiwan, centrale dont la construction a commencé en 1997, a été interrompue en 2011 suite à Fukushima et définitivement arrêtée en 2017 alors qu’un des réacteurs était achevé et chargé en combustible… Il n’y en a donc pas un seul actuellement en fonctionnement.
La Chine a développé contre vents et marées le Hualong 1 dit HPR 1000, dont le premier, celui de Fuqing 1, a été mis en exploitation commerciale le 30 janvier 2021 après six ans de chantier – il développe 1090 MW de puissance et est inspiré d’un réacteur français, le CPY ; un second a été achevé dans la même centrale et lancé début 2022 – et deux autres à la centrale nucléaire de Kanupp au Pakistan en mai 2021 et avril 2022 respectivement. Une paire est en cours de construction à Zhangzhou depuis 2019, pour une mise en service prévue en 2025, une autre à Fanchenggang, une autre à Taipingling. Un projet en Argentine pour un coût de 8 milliards de dollars a été annoncé en février 2022.
Enfin la Russie a dévelopé deux types de réacteurs à eau pressurisée de troisième génération, les VVER 1200 (1150 MW) et le VVER TOI (1300 MW). Six tranches de VVER 1200 ont été construites en Russie (Leningrad 1-4 dont deux en service et Novoronezh 1-2), deux en Biélorussie, dont un en service, et d’autres sont en cours de construction au Bangladesh, en Egypte… et en Hongrie, pour une mise en service en 2026. Des VVER-TOI sont en cours de construction par paires à Koursk, Smolensk et Novoronezh en Russie, Akkuyu en Turquie – quatre d’un coup, et Xudabao en Chine (une paire, prévue pour 2028).
Louis-Benoît Greffe
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