Pierre-Marie Sève est directeur de l’Institut pour la Justice, une association œuvrant à une réforme de la Justice et à la lutte contre la criminalité.
(…)
Après huit jours de tensions, le capitaine du navire déclare l’état d’urgence et entre illégalement dans les eaux territoriales australiennes. Les forces spéciales australiennes sont alors immédiatement lancées pour aborder le bateau et elles en prennent le contrôle sans résistance.
Dans la foulée, les migrants sont transférés dans des centres de rétention, sur le petit État souverain de Nauru, lequel est largement subventionné par l’Australie pour l’occasion. Toute cette affaire pose les prémices opérationnelles et idéologiques de la «Pacific Solution», la méthode anti-immigration illégale à l’australienne. Dans les heures qui suivent l’affaire Tampa, le parlement australien fait voter un projet de loi anti-immigration illégale qui se décompose en deux parties.
C’est d’abord un problème juridique qui est réglé. Tous les territoires du Nord australien sont ainsi exclus du droit habituel en matière de migration. Les passeurs sont prêts à utiliser la souveraineté australienne sur des petites îles clairsemées? Alors, ces îles n’offriront plus le droit migratoire habituel: entrer sur ces territoires n’offre plus les garanties judiciaires classiques et n’offre aucun droit en tant que réfugié ou demandeur de visa.
D’un point de vue très concret, chaque bateau de migrants détecté est intercepté, puis transféré dans des centres de détention: Nauru, Papouasie-Nouvelle-Guinée ou l’île Christmas, des territoires à l’écart du continent australien. Si une minorité obtient finalement le droit de s’installer en Australie, la majorité retourne dans son pays d’origine. Et la dissuasion fonctionne. L’année suivant la mise en place de cette opération, on enregistre une seule arrivée illégale par bateau. Moins de 500 arrivées illégales sont enregistrées sur les sept années suivantes.
Efficace, cette solution a en outre le mérite d’être très populaire. Deux mois après l’affaire Tampa, le parti libéral, en retard dans les sondages avant l’affaire, remporte finalement les élections face aux travaillistes. Et en 2010, soit près de dix ans après le début de l’opération, 62% de la population soutenait toujours la «Pacific Solution» (qui a changé de nom en 2013).