Claudine Junien, professeur émérite de génétique médicale et membre correspondante de l’Académie nationale de médecine, co-auteur du livre C’est votre sexe qui fait la différence (Plon), a été interrogée par Eugénie Bastié dans Le Figaro. Extrait :
[…] Les progrès de la génétique nous ont appris que ce sont les chromosomes, supports de l’ADN, qui apparaissent dès la conception, sont présents dans chacune de nos milliers de milliards de cellules, et qui font de nous une « femme » avec la paire de chromosomes sexuelle XX ou, un « homme », avec la paire XY, de la tête aux pieds. Ainsi quand les hormones vont apparaître (entre la 6ième et la 8ième semaine de gestation) en quantités variables (gestation, périnatalité, puberté, ménopause) elles ne seront jamais seules mais toujours accompagnées de ces chromosomes et de leurs gènes, qui sont eux, dans toutes nos cellules et tout au long de la vie.
Trouvez-vous qu’aujourd’hui la biologie est niée ?
Le déni ou la minimisation du rôle de la biologie dans les différences liées au sexe, repose, en partie sur la confusion entre les notions de sexe et celle de genre, d’inné et d’acquis, de facteurs génétiques et environnementaux. Une idée reçue domine : la croyance qu’on ne peut pas agir sur la génétique en raison de l’inertie de l’ADN, alors que l’on pourrait agir sur tout ce qui est lié à l’environnement par le biais de l’épigénétique, considérée – en partie à raison – comme réversible, mais pas dans sa totalité. Cette idée reçue oriente la préférence vers les seuls facteurs environnementaux plus faciles à manipuler. Dans l’esprit du plus grand nombre les différences liées au sexe (DLS) résulteraient de constructions sociales et historiques qu’il n’y aurait plus qu’à déconstruire (grand mythe sur les stéréotypes). Cette croyance dans le rôle majeur et quasi exclusif d’un environnement omniprésent dépend de la nature de la formation : scientifique ou non.
Y a-t-il une forme d’exception française sur ce sujet ?
Entre ignorance et rejet, cette exception française fait partie d’une idéologie à laquelle on adhère encore de nos jours. Il faut peut-être remonter à l’époque de Trofim Lyssenko (1898-1976), l’égérie soviétique et à sa déplorable manie de mélanger sans discernement Science et Politique à propos de la biologie végétale. Ses « errances » rejetaient la « génétique bourgeoise » et faisaient toute la place à des « facteurs environnementaux », en plein obscurantisme pour l’époque. […]
Le cerveau aussi est-il sexué ?
Les hormones ne peuvent pas être tenues pour seules responsables des différences observées entre mâles et femelles. Ainsi plus précisément les gènes des chromosomes X et Y sont à l’origine des DLS qui apparaissent dès la conception et jusqu’à la détermination du sexe à partir de la gonade primitive. C’est sous l’influence du gène SRY spécifique du mâle situé sur le chromosome Y, entre la sixième et la huitième semaine que va se produire la détermination du sexe, avant l’apparition des hormones mâles et femelles sécrétées par les gonades différenciées, (ovaires et testicules). Ce sont donc les chromosomes et uniquement les chromosomes qui sont responsables dans toutes nos cellules des DLS observées avant cette période. Comme tous nos organes, toutes nos cellules, neurones compris, le cerveau ne souffre aucune exception : il est aussi sexué. Ainsi dans la maladie de Parkinson outre certains mécanismes dopaminergiques, des études récentes ont montré que le gène SRY joue un rôle-clé, impossible chez la femme, du fait de son absence. Or cette maladie affecte 2 fois plus d’hommes que de femmes ! Dans le cerveau comme nous l’avons vu, les DLS qui sont détectées sont dues aux chromosomes puis aux hormones d’origine génétique (sexe), elles aussi.
À propos des jouets sexués, vous affirmez que la socialisation semble n’avoir qu’un effet modulateur sur des différences comportementales en réalité ancrées dans la biologie…. Qu’est-ce à dire ?
De nombreuses études ont comparé l’usage d’objets divers et les comportements ludiques au cours de jeux des jeunes en fonction de leur sexe. Comme chez l’humain, il existe chez l’animal des DLS dans les types d’objets utilisés comme jouets par les jeunes femelles et les jeunes mâles. Les DLS observées chez les grands singes, les rats ou les souris ressemblent à celles observées chez les humains. En toute bonne foi, pourtant, certains parents s’évertuent à apporter à leurs enfants une éducation « neutre » , plutôt que de laisser libre cours à la nature. Cette attitude va malheureusement à l’encontre de ce que les neurosciences nous ont révélé ! On sait maintenant que le noyau préoptique de l’hypothalamus dans le cerveau montre un important dimorphisme sexuel, en faveur des mâles dans plusieurs espèces, y compris l’humain. Or de nombreuses études le montrent : cette région possède des neurones impliqués dans le développement de divers comportements liés au sexe chez l’enfant et l’adulte dont : les jeux infantiles, l’activité copulatoire du mâle, les comportements maternels…
Suffirait-il de «désexuer» les jouets, les «dérosifier», par exemple, ou concevoir des catalogues mixtes, pour changer les préférences des enfants? La socialisation semble n’avoir qu’un effet modulateur sur ces différences comportementales sexuées enracinées dans notre héritage biologique et lié à l’évolution – elle peut les amplifier ou les atténuer, en aucun cas elle ne peut les inverser, les créer ou les détruire.