Cette humiliation de plus après les accrocs au maillage de la Françafrique – dernièrement au Mali, où le français n’est plus une langue d’État dans la nouvelle Constitution, et au Niger où un coup d’état a balayé le président pro-français, est due à la décision de l’exécutif d’envoyer des armes en Ukraine… bien que les Ukrainiens, eux, ne soient pas très contents des AMX qu’ils ont reçus en qualité de « chars » alors qu’ils ont des roues et des chenilles – ce qui au printemps et à l’automne, ainsi que sur les terrains marécageux dont le front ne manque pas – les cantonne sur les routes, facilement atteignables par l’artillerie russe et constamment surveillées par les moyens aériens.
Il faut reconnaître que les AMX ont été conçus pour un tout autre usage – comme des véhicules de reconnaissance armée face à un adversaire en situation d’infériorité d’armements lourds, et dépourvu d’anti-chars. De conception assez ancienne, ils n’ont pas résisté à la propagation d’armes lourdes et d’anti-chars au sein des diverses bandes rebelles – l’invasion franco-américaine en Libye a largement propagé l’ancien arsenal de l’armée de Kaddhafi à travers toute l’Afrique, et jusqu’au Proche-Orient –, au développement des engins explosifs artisanaux (IED) et surtout des drones dont le théâtre d’opération ukrainien ne cesse de souligner l’importance, comme un autre clin d’oeil à la première guerre mondiale (qui, elle, avait consacré le rôle de l’aviation) après la guerre des tranchées et la bataille de Verdun perdue par les ukrainiens à Bakhmut.
Du coup la France en a livré 40 début 2023, et annoncé encore 40 en mai – dont une partie est allée à la 37e brigade d’infanterie de marine ukrainienne, entraînée sur ces véhicules dans un paysage visiblement très provençal, d’après des vidéos ukrainiennes publiées sur le canal Telegram Voenny Osvedomitel’ le 14 mars dernier – il s’agirait de la base de Canjuers selon le blog spécialisé Lignes de Défense.
Un blindage vraiment trop fragile
Le 24 juillet dernier, une publication russe revenait sur les pertes de cette unité, actuellement engagée sur le front de Zaporojie en plein dans la « contre-offensive » ukrainienne en cours depuis deux mois qui devait percer le front jusqu’à Marioupol en deux semaines… et qui a péniblement libéré quatre localités en ruines après des semaines de combats, des milliers de morts, des dizaines d’engins principalement fournis par les pays occidentaux semés dans les champs de l’ex-saillant de Vremyevka… tout ça pour aller buter sur une autre des 30 lignes de défense russes successives du secteur. Une lenteur qui est aussi due au matériel engagé (mais pas que).
« Bien avant que ces engins blindés se retrouveraient sur la ligne de front, il était clair que leurs équipages seraient suicidaires. L’expérience réelle a confirmé cette sombre opinion. Ces engins, prévus pour l’action sur des théâtres d’opération africains ou pour des opérations humanitaires, semble étrange même en comparaison avec des chars soviétiques [d’anciens modèles] Les problèmes constatés ne peuvent être corrigés en principe. S’il est possible de mettre des blindages additionnels avec des tôles d’acier et des grilles de protection statistiques [contre les roquettes anti-char], il est impossible de couvrir complètement les roues – et c’est elles qui suscitent le plus de critiques de la part des combattants ukrainiens ».
Par ailleurs la fragilité des boîtes de vitesse a été pointée par un major de la 37e brigade d’infanterie de marine ukrainienne qui s’est exprimé début juillet auprès de l’AFP, sous le pseudo Spartanets (Spartiate). Il a aussi affirmé qu’il y a « eu des cas où un obus de 152 mm [calibre très fréquemment utilisé par l’artillerie russe] explosait à proximité et les éclats perçaient le véhicule. Cela a entraîné la mort de l’équipage », au moins une fois d’après lui.
Si le canon de calibre 105 était innovant à l’époque de leur conception – dans les années 1970 – sur un véhicule si peu protégé, si léger qu’il était conçu pour passer des coupures humides en flottant (caisse en aluminium mécano-soudé, blindage léger en acier) et pouvait faire la différence contre un adversaire dépourvu d’artillerie roulante, la faiblesse de son calibre était déjà pointée par des spécialistes en France avant leur livraison en Ukraine. Et ce d’autant plus que les obus (105x527R) ne sont pas compatibles avec les standards de l’OTAN – ce qui n’empêche pas les Ukrainiens d’essayer quand même, ce qui a déjà conduit à l’usure anticipée, voire à la perte de divers canons et engins livrés par des pays occidentaux.
Des capteurs démontés, des roues de secours absentes : vols ou livraisons au rabais ?
Le 11 juillet, une autre publication pointe d’autres problèmes : « les Français ont transmis ces AMX sans les capteurs d’irradiation laser [en place sur les chars russes T-72 et plus récents, ainsi que sur divers modèles occidentaux, ils servent à détruire automatiquement les roquettes anti-char et fusées à guidage laser] alors que les équipages ukrainiens étaient instruits à l’usage des AMX avec ces capteurs. Les Ukrainiens ont constaté l’utilité de ces appareils et ne comprennent pas pourquoi ils ont été démontés [d’autant que les Russes maitrisent largement cette technologie].
Il y a un autre problème, c’est l’absence de roues de secours que les français n’ont pas livrées. Ces engins servent dans des endroits où le feu de l’artillerie et des obusiers est très intensif, et il y a beaucoup d’objets coupants au sol, donc les pneus s’usent vite, ce qui conduit à la mise hors service des AMX ».
Au sujet des pneus, il est tout à fait possible aussi qu’ils ont été volés sur les bases arrière ukrainiennes – c’est déjà arrivé avec d’autres armements étrangers livrés, et notamment avec de nombreux drones Switchblade et anti-chars Javelin au début des opérations, qu’on pouvait retrouver sur le darkweb pour 4 à 5000 euros, voire qui ont été livrés par centaines au Proche-Orient et dans divers pays d’Afrique.
Des AMX abandonnés sans combat, 3 au moins récupérés par les russes
Plusieurs AMX ont été abandonnés par les Ukrainiens même sans combattre. Deux d’entre eux, fraîchement rénovés avant d’être envoyés sur le front et pourvus d’un filet de camouflage, l’ont été à Novodonetskoe dès le 10 juin. Des soldats russes se sont régulièrement photographiés avec, avant de la ramener vers l’arrière. Une vidéo faite par un drone russe de la destruction d’une colonne de la 37e brigade de marine par l’artillerie russe, le 10 juin, montre l’abandon de deux AMX et la mise hors d’état de plusieurs véhicules livrés par des pays de l’OTAN, notamment Oshkosh (USA) et Mastiff (UK), a été mise en ligne et commentée par le canal Telegramm du think tank géopolitique russe Rybar le même jour. Le 5 juin, trois autres AMX avaient été abandonnés par les troupes ukrainiennes après l’échec d’une attaque de la 37e brigade d’infanterie de marine – encore – sur des positions russes à Neskuchnoe ; trois autres ont été récupérés par l’armée russe et transférés vers l’arrière le 9 juin – l’un d’eux a servi, un temps, de véhicule de liaison pour une brigade d’infanterie marine russe.
Les destructions d’AMX émaillent les communiqués russes et sont régulièrement corroborées par les vidéos prises depuis les drones – deux notamment ont été détruits le 28 juillet près de Rabotino, au moins un a été détruit le 5 juillet par l’artillerie de la 40e brigade d’infanterie marine russe de la flotte du Pacifique, etc. Mais il est fort possible que les Ukrainiens en reçoivent d’autres, car la France n’en manque pas.
Près de 337 avaient été achetés par l’armée, au 1er juillet 2019 encore 246 étaient comptabilisées en état de marche – une notion très relative dans l’armée française – et tous doivent être mis au rebut après 2030, du fait d’un nouveau décalage, pour être remplacés par des véhicules de reconnaissance blindés EBRC Jaguar. En 2030, l’armée française aura donc encore des AMX conçus en 1970…
Louis Moulin
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