Certes, la popularité (toute relative) de Mme le Pen comme celle d’Edouard Philippe ne sont pas fabriquées de toute pièce. Elles correspondent sans doute à une réalité, mais elles sont récupérées et façonnées, à travers les questions posées et la présentation des résultats, pour tenter de verrouiller le futur scrutin. Ainsi, selon une autre enquête d’opinion Elabe BFMTV, 61% des Français pensent que Mme le Pen « peut gagner la présidentielle » et 58% sont persuadés qu’Edouard Philippe peut battre Marine Le Pen. Le procédé relève de la manipulation. Pourquoi Mme le Pen ne pourrait-elle pas gagner ? Pourquoi serait-il impossible qu’elle l’emporte et que répondre d’autre que « oui » à une telle question destinée à introduire l’autre question : qui peut empêcher cette présumée catastrophe ? D’où le sauveur providentiel qui ne saurait être que l’ancien premier ministre d’Emmanuel Macron.
Les sondages mettent ainsi en avant leur « épouvantail » traditionnel, c’est-à-dire, selon leurs propres termes, « la cheffe d’extrême droite » pour servir de tremplin à Edouard Philippe comme protecteur face à cette menace. Après tout, « jamais deux sans trois » ; malgré la grossièreté de la manœuvre en cours, pourquoi la recette qui a fonctionné en 2017 et en 2022 ne servirait-elle pas une nouvelle fois pour verrouiller l’élection et conduire à l’Elysée, en jouant sur la peur des « extrêmes », le candidat issu du macronisme ?
Cette logique s’apprête à écraser la vie politique pendant les quatre années à venir et à priver le pays d’un débat sur le bilan de dix ou quinze ans. Va-t-elle triompher pour la troisième fois ? La tentation naturelle est d’en relativiser la portée en considérant que 2027 est une échéance bien lointaine. Pourtant, entre 2017 et 2022, des centaines de sondages ont annoncé, pendant 5 ans, un duel inéluctable entre Mme le Pen et M. Macron puis la victoire de ce dernier. Et tout s’est passé comme prévu. La même logique est désormais sur les rails et rien ne permet d’assurer qu’elle ne débouchera pas sur l’objectif attendu c’est-à-dire l’accession à l’Elysée de M. Philippe.
La faveur de l’opinion pour M. Philippe, comme pour Mme le Pen, relève des mystères de la psychologie de foule. Concrètement, les Français doivent au premier la crise des Gilets jaunes issue de la taxe carbone et des 80 km/heures, la fermeture de Fessenheim, revendiquée haut et fort, le psychodrame des masques au début de la crise sanitaire et les premières mesures liberticides dont, avec le recul, l’utilité semble plus que douteuse. Et n’a-t-il pas plaidé en faveur d’un allongement de l’âge de la retraite à 67 ans quand le peuple, quasi unanime, se révoltait contre le passage de 62 à 64 ans ? Quant à Mme le Pen, de quel bilan peut-elle se prévaloir sinon de trois élections présidentielles perdues ?
Pourtant, l’un comme l’autre doivent leur popularité à un certain style. Nul n’a la moindre idée de leur projet éventuel ou de la ligne qu’ils seraient en mesure de proposer. Mais cela n’a aucune importance dans le contexte actuel. Chacun des deux offre une image devenue assez familière aux Français et au total, plutôt sympathique. Pendant la crise sanitaire, M. Philippe s’est invité quotidiennement dans le salon ou la salle à manger des Français. Dans le malheur collectif, il leur est apparu comme plutôt humble et accessible. Quant à Mme le Pen, elle fait partie du paysage quotidien depuis au moins vingt ans. Son allure sans prétention – elle n’écrit pas de livres contrairement aux autres politiciens – son statut d’éternelle seconde au classement, comme une sorte de Poulidor de la politique, et aussi de paria des élites, facilite un phénomène d’identification populaire.
Par ailleurs, la perspective de ce duel annoncé reflète l’effondrement du niveau de la culture politique française, résultat sur le long terme du déclin scolaire mais aussi du régime politique qui favorise le choix d’une « savonnette présidentielle » au détriment du débat d’idées et du choix de société. Peut-on aujourd’hui espérer conjurer cette fatalité du duel le Pen-Philippe, avec – en vérité – la forte probabilité d’une victoire de ce dernier, c’est-à-dire, la poursuite du macronisme sous d’autres formes ?
La porte d’une troisième voie est étroite. Elle consiste dans le pari, fragile et audacieux, d’un retour à l’intelligence politique. Plutôt que de vendre une savonnette présidentielle, peut-on encore parler aux Français en termes d’idées et de projet collectif à la fois réaliste et ambitieux, sur la réhabilitation du mérite scolaire, la lutte contre les filières d’immigration esclavagistes, la répression de la délinquance et la criminalité, la réduction de la dette publique, un discours de vérité sur le chômage, l’inflation, la pauvreté, le retour de la démocratie nationale ou le pouvoir du peuple, et enfin la réhabilitation du joli mot de « liberté » ? Le pari mériterait d’être tenté
MT