Spartacus est né d’une famille libre, au Ier siècle avant J.-C. (vers 93), dans la province de Thrace, province de culture grecque conquise par Rome. Très jeune, victime d’une razzia, il fut vendu comme esclave. N’ayant pu faire valoir son statut d’homme libre auprès d’un tribunal romain, il devint gladiateur. Entre 73 et 71, l’esclave prit la tête d’une grande insurrection contre Rome. Comment ces hommes de toutes origines, souvent des esclaves fugitifs, sans moyens, sans formation militaire, sans armes, purent-ils défier l’armée romaine et vaincre des légionnaires rompus à tous les combats ?
Rome mobilisa contre eux plusieurs armées, les meilleurs soldats de l’époque, et pourtant, au moins cinq légions, soit 25 000 hommes, furent anéanties… Rome prit peur et fit appel à l’illustre Crassus pour vaincre Spartacus. À l’aide des rares sources écrites, Yann Le Bohec tente de répondre à ces questions. Il reprend la chronologie des faits, reconstitue le parcours des insurgés, analyse la situation militaire de Rome, et nous donne une lecture inédite de l’« énigme » Spartacus. L’histoire d’un homme qui, d’une condition subalterne, s’est hissé à l’égal d’un authentique chef de guerre.
L’ouvrage de Yann Bohec corrige utilement le mythe de Spartacus héros au grand coeur, libérateur d’esclaves, et, à lire certains ouvrages parus à son sujet au préalable, presque ancêtre de Karl Marx ou de Lénine. Un personnage créé de toute pièce par idéologie, que Yann Le Bohec s’attelle à remettre dans un contexte historique, tout en rappelant les vérités historiques sur la vie de Spartacus. Un livre qui doit figurer en bonne place dans la bibliothèque de nos lecteurs intéressés par l’histoire romaine.
Nous avons interrogé l’auteur, suite à notre chronique :
Breizh-info.com : Après Rome, vous vous êtes attaqués à un autre monument de l’histoire de l’Antiquité, Spartacus. Pourquoi ?
Yann Le Bohec : Spartacus fait partie de l’histoire de Rome, donc je ne m’écarte pas trop de mon domaine. Mais, au départ, l’aspect militaire, qui est ce que je connais le moins mal, paraissait presque hors sujet.
En fait, j’ai écrit ce livre pour répondre à une requête de ma femme, et je ne regrette pas sa demande, car j’ai découvert que le personnage avait été mal traité pour des raisons idéologiques. Et j’ai découvert l’existence d’une armée des esclaves. Et bien sûr il fallait parler de l’armée romaine et de ses chefs de l’époque, Pompée et Crassus surtout, et aussi Lucullus.
Breizh-info.com : Quels ont été, selon vous, les épisodes marquants de son épopée ?
Yann Le Bohec : Tout ce que l’on sait de Spartacus est passionnant : c’est un vrai roman, mais un roman qui paraît invraisemblable. Un berger Thrace (la Thrace était la Bulgarie actuelle, en gros) qui devient un chef d’armée et qui fait trembler pendant plus de dix-huit mois les meilleurs soldats du monde, c’est extraordinaire. Il est capturé par des marchands d’esclaves, mis en vente à Rome et il demande à un juge de reconnaître qu’il est un homme libre. Le juge refuse de répondre à sa demande, ce qui le révolte. Il est acheté par le propriétaire d’une école de gladiateurs et il s’échappe. Les grands moments de sa vie viennent alors : il crée une vraie armée et il ravage l’Italie, détruisant plusieurs armées romaines. Sa mort ne manque pas de grandeur non plus.
Breizh-info.com : D’emblée vous annoncez la couleur en renvoyant dans les cordes notamment les historiens marxistes, afin de briser le mythe du Spartacus libérateur de peuples. Spartacus fût donc avant tout selon vous quelqu’un qui a combattu avant tout pour sa propre liberté ?
Yann Le Bohec : Certes, les marxistes ont dit et écrit des bêtises ; mais il n’y a pas qu’eux. Ceux que les marxistes appelaient « les bourgeois », les « libéraux », ont aussi déformé le personnage. Les marxistes se sont demandé sa position par rapport à la lutte des classes, et ils se sont divisés pour savoir si Spartacus était pré-marxiste, para- marxiste, proto-marxiste, marxiste à 100 % ou pas marxiste du tout. Ces querelles nous paraissent bien byzantines. Les autres ont érigé Spartacus en combattant d’une liberté à laquelle il n’a même jamais songé. Ces débats ont occulté la seule vraie question des historiens : Qui a fait quoi, où et quand ?
Breizh-info.com : Pourquoi durant le 20 ème siècle, ce mythe du Spartacus tel qu’il fût présenté par les marxistes n’a jamais été brisé ?
Yann Le Bohec : Pour deux raisons. Les marxistes faisaient peur (ceux qui ont été étudiants dans les années 70 se rappellent de quelques professeurs « en Sorbonne » …). Et les non-marxistes avaient les yeux fixés sur l’image du personnage qu’ils s’étaient fabriquée.
Breizh-info.com : Qu’avez vous pensé de la série télévisée Spartacus ? Ne reflète-t-elle finalement pas nettement plus ce que vous écrivez à propos du gladiateur ? Elle semble beaucoup plus proche de la réalité que le film avec Kirk Douglas non ?
Yann Le Bohec : Je ne regarde pas souvent la TV, et je n’ai pas suivi cette série. En tant que film, le Spartacus de Stanley Kubrick est un bon film, à mon avis du moins. Mais, comme la série TV, je suppose, c’est une œuvre de fiction et pas un cours d’amphithéâtre.
Breizh-info.com : Spartacus fait-il partie selon vous des « grands hommes » de l’histoire, ou des héros ?
Yann Le Bohec : Les deux. Spartacus est un « grand homme » : il fait partie de ceux qui ont fait l’histoire au lieu de la subir. Mais bien sûr, il avait ses faiblesses. Il était sans doute naïf (il s’est fait rouler par des pirates qui lui ont fait payer des voyages qui n’ont jamais eu lieu). Il était cruel (mais il avait des bonnes raisons de l’être). Il n’a pas su créer des troupes pour la prise des villes (la poliorcétique), il n’a pas eu de marine ni d’État. Tout grand homme est grand, mais il est aussi homme.
Propos recueillis par Yann Vallerie
Spartacus, chef de guerre – Yann Le Bohec – Editions Tallandier – 17,90€
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