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Il faut lire Jean-Claude Michéa

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Pascal Meynadier

Jean-Claude Michéa est un philosophe français qui a l’étonnante particularité d’être un penseur socialiste détesté par la gauche. Le paradoxe n’est qu’apparent, et ce n’est pas le seul. De plus en plus d’intellectuels désertent leur camp d’origine. Mais qu’ils passent à droite, se revendiquent de la « vraie gauche » ou refusent le clivage droite-gauche, tous considèrent qu’il est aujourd’hui devenu impossible de respirer à gauche, faute d’une vraie liberté de pensée. À la fin du XIXe siècle, la droite était moraliste, puritaine, et hypocrite. C’est très exactement ce qu’est devenue la gauche au début du XXe siècle ! C’est sans doute ainsi qu’il faut comprendre le titre de son dernier opus Extension du domaine du capital (Albin Michel), clin d’œil appuyé à Michel Houellebecq, et c’est sans doute aussi la raison pour laquelle Michéa n’a jamais cogné aussi fort contre la bourgeoisie verte et métropolitaine, coupable, à ses yeux, de trahison à l’encontre des classes populaires. Il n’est pas en reste non plus contre une certaine droite conservatrice incohérente qui « vénère le marché tout en maudissant la culture qu’il engendre ».

Depuis ses premiers livres, l’essayiste a mis au jour une des vérités de notre temps : l’unification programmée des deux libéralismes, culturel et économique, de gauche et de droite. Bien loin de n’être qu’un système éco- nomique, le libéralisme est devenu un « fait social total » à la fois économique, politique et culturel. Son ressort secret, c’est le refus des limites, qu’elles soient morales, religieuses, étatiques ou culturelles.

Dans son village des Landes (« à dix kilomètres du premier commerce et à vingt kilomètres du premier feu rouge »), où il s’est réfugié il y a sept ans, le philosophe marxiste élève désormais ses bêtes et cultive son potager, loin de l’« ethnocentrisme métropolitain ». Avec ce nouvel essai jubilatoire qui rassemble articles et interviews, notes et, comme à son habitude, notes de notes, il se rappelle à notre bon souvenir grâce à un sens inégalé de la formule « No Border est le slogan libéral par excellence ». Et ses rappels historiques sont autant de flèches : « C’est mon droit, c’est mon choix » est la devise aussi bien du consumérisme que de la campagne de François Hollande.

Curieusement, avec le temps, le philosophe s’est mis à ressembler de plus en plus à son père Abel Michéa, capitaine dans les maquis FTP de Haute-Savoie pendant la Seconde Guerre mondiale et chef des pages sport de L’Humanité. Bon sang ne saurait mentir. Bien avant son fils, Abel Michéa a lui aussi voué aux gémonies le clivage droite-gauche avec un ton et une gouaille uniques, une franchouillardise charmante, au risque de déplaire. « Je préfère boire un verre avec un confrère de mes amis, plutôt que de discuter politique sur un trottoir. » Tête des militants communistes ! D’autant que le confrère en question Antoine Blondin, alors hussard de droite, était son grand ami. Les deux compagnons formaient un sacré tandem sur le Tour de France. Abel Michéa prenait la vie par le bon goût — titre d’un de ses livres —, aimant la bonne cuisine, française évidemment, le bon vin et le Tour de France. Inutile de dire que le père comme le fils font figure d’épouvantails pour Sandrine Rousseau.

Source : Journal du dimanche, 5/11/2023

http://synthesenationale.hautetfort.com/archive/2023/11/05/il-faut-lire-jean-claude-michea-6469390.html

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