Bardella avait brillé
En sortant le débat politique du cadre habituel de l’Assemblée nationale, du Sénat ou des plateaux télévisés, Macron avait réussi sa première opération Saint-Denis, fin août. Il était apparu en roi thaumaturge parmi ses barons, en père de la nation. Tous les partis conviés, c’est-à-dire ceux qui sont représentés au Parlement, avaient alors fait le déplacement. À ceux-là s’ajoutaient la présidente de l’Assemblée nationale, Yaël Braun-Pivet, son homologue du Sénat Gérard Larcher et celui du CESE Thierry Beaudet. Manquait Reconquête qui, du fait de son absence de députés, n’avait pas participé aux agapes.
Le rendez-vous avait fait deux heureux. Le président de la République, satisfait d’avoir donné l’illusion d’apaiser le débat l’espace de quelques heures. Et, déjà, le RN de Jordan Bardella. Nouveau venu dans ce type d’agape, le jeune patron du parti avait brillé par son aisance et sa connaissance de chaque dossier.
Pour Macron, toujours pressé d’exister pour se maintenir à flot dans les sondages, il suffisait de remettre le couvert. Bis repetita. Comme pour la manifestation contre l’antisémitisme, le RN a sauté sur l’occasion. Dans une lettre au Président publiée ce 16 novembre au soir, Bardella l'écrit dès les premiers mots : « Le dialogue franc entre les responsables d'opposition et le président de la République est une nécessité. » Il souhaite que « ce rendez-vous aboutisse à des décisions d'intérêt général pour le peuple français » et dénonce « l'inertie présidentielle ». Les autres partis ont montré moins d'enthousiasme, c'est le moins qu'on puisse dire. Chat échaudé craint l’eau froide : les représentants du PS (Olivier Faure), de LFI (Manuel Bompard) et de LR (Éric Ciotti) ont décliné. Le président LR du Sénat, Gérard Larcher, lui, sera à nouveau présent (comprenne qui pourra la stratégie de LR…) comme, bien sûr, la présidente de l’Assemblée nationale, la macroniste Yaël Braun-Pivet. À gauche, le Président pourra converser avec Fabien Roussel (PC) et Marine Tondelier (Europe Écologie Les Verts) qui seront présents. Un mangeur de viande et une végétarienne : de quoi compliquer la composition du buffet sur la table de bridge.
Sécurité, islamisme et référendum
Fureur de Macron qui n'aime pas qu'on morde sa main tendue : le Président évoque une « faute politique majeure » et une absence « absolument indigne ». Pas de quoi troubler le parti de Marine Le Pen où on se frotte les mains en démontant les démissionnaires : « Comme bêtise stratégique, on ne peut pas faire mieux, rigole un dirigeant du RN qui préfère rester anonyme. Ils nous servent sur un plateau le statut presque exclusif du grand parti d’opposition, le reste des prétendants a disparu ! » C’est surtout le renoncement de Ciotti qui étonne : « Soit il n’avait pas envie de travailler ou n’a plus rien à dire, soit il ne souhaite pas sortir de l’ambiguïté de son parti. Cela signe la fin politique de LR », exécute notre dirigeant, qui tient pour négligeable la présence de Larcher.
Dégagé de toute concurrence à droite (hors Larcher, tout de même), Bardella a prévu de mettre le doigt sur les dossiers chauds. La députée porte-parole du RN Edwige Diaz les a mentionnés dans un communiqué : il évoquera « l'urgence d'opérer un sursaut politique, moral, juridique et sécuritaire pour mettre la communauté nationale hors de portée de ses ennemis », rappellera à Emmanuel Macron que « la montée de l'islamisme et celle de l'antisémitisme sont étroitement liées » et « réaffirmera sa volonté de proposition de référendum sur l'immigration comme le souhaitent les deux tiers des Français ».
« On construit »
Pas de barnum ni de conférence de presse prévus dans la foulée par le RN : un simple compte rendu auprès des instances du parti et des porte-parole du mouvement. « On construit, explique notre dirigeant. C’est inutile de montrer les muscles. On veut représenter nos électeurs, avancer nos idées, sans faire de coups : c’est la construction patiente et longue d’un statut, d’une image. » Plus philosophiquement, le RN entend jouer la carte du fonctionnement démocratique : « Quand un Président invite des élus, on s’y rend. Il faut respecter les institutions. Ce n’est pas le moment de s’attaquer à la fonction présidentielle. » Surtout quand les sondages vous laissent penser que ce sera peut-être bientôt votre tour.
Marc Baudriller
https://www.bvoltaire.fr/rencontre-de-saint-denis-le-sacre-de-bardella/