La bataille civique qui se dessine semble à ce jour, de plus en plus probablement, devoir s'investir sur l'échéance des élections européennes de juin. Et il apparaît aussi que la préoccupation numéro 1 des électeurs dans les 27 pays du Vieux Continent s'apprête à s'exprimer, de la Scandinavie à la péninsule ibérique, de la mer Égée à la Baltique, dans le débat sur l'immigration illégale.
Mesure-t-on par exemple à Paris ce que signifie la présidence italienne du G7 ? Elle a été inaugurée en ce mois de janvier par Giorgia Meloni. Or, Rome a pu inscrire cette question en tête de l'ordre du jour, sur lequel travailleront en commun et se concerteront cette année les grandes puissances occidentales.
Nous nous gargarisons de politique hexagonale. Or, si le pouvoir exécutif en France se préoccupait d'exécuter les lois, il disposerait déjà, sur ce terrain, d'un arsenal législatif considérable. Hélas, non seulement il ne l'applique pas, mais il cherche à instrumentaliser le Conseil constitutionnel, la CEDH et autres nuisances non-élues, pour le saboter. Il ignore sans doute la formule du fondateur de la Cinquième république : "en France, la Cour suprême c'est le peuple."
Ce 9 janvier, la Macronie régnante a choisi de faire appel, comme nouveau Premier ministre, à un pur communiquant. Essentiellement clinquant, bon chic bon genre, ce "Young global leader" breveté Klaus Schwab, promotion Davos 2020, d'origine socialiste, est crédité de deux ou trois déclarations de bon aloi qui donnent un [petit] coup d'arrêt symbolique à la déliquescence soixante-huitarde, et, comme dit la sagesse populaire, "ne mangent pas de pain".
Et cela suffit pour que, le 10 au matin, Le Monde puisse titrer : "Au RN, la crainte d’un premier ministre jugé 'malin et qui vient sur nos terres'... Salué à l’extrême droite, pour son sens politique et sa cordialité, Gabriel Attal offre moins de prises à la critique qu’Elisabeth Borne." Bigre : si l'extrême droite pense vraiment cela, que pense donc l'ultra droite ? On tremble.
Pour en savoir plus sur ce que pense du Premier ministre la droite en général j'ai donc d'abord écouté, avec beaucoup d'intérêt, l'intervention, toujours pertinente de François-Xavier Bellamy. Au micro de Sonia Mabrouk sur Europe N°1, il s'interroge en effet : "Quelles sont les qualités de Gabriel Attal pour entrer à Matignon ?" Poser la question c'est évidemment y répondre.
Dans son éditorial du Figaro Vincent Trémolet de Villers souligne d'abord ce même 9 janvier 2024, combien "la France vit une crise existentielle. Elle craint pour sa survie en tant que puissance et en tant que nation historique. Elle craint de perdre son identité et son unité. Elle s’oppose comme jamais aux semblants d’élites qui l’ont prise en otage. Elle souffre comme toujours – mais elle en a pris désormais conscience – d’un régime instable, incompétent, où rien n’est pérenne ni sacré, ni transcendant."
Quoique se situant sur un terrain que l'on pourrait qualifier de philosophique, un tel diagnostic se révèle concrètement terrible. Il condamne le macronisme sans appel. Or, le jeune Attal fait aujourd'hui figure de tête de proue de cette embarcation de la décadence nationale. Pourtant, ce texte s'adresse à un public bourgeois, que le journal ménage. Son lectorat vote largement pour Macron. Le dernier sondage IFOP, publié par Marianne le 21 décembre indique ainsi la répartition de ses suffrages en 2022 : 31 % pour Macron, 19 % pour Le Pen, 13 % pour Zemmour 12 % pour Pécresse... et même 15 % pour Mélenchon. Le taux d'adhésion à la Macronie y est donc situé à peine au-dessous des 33 % de La Croix et des 34 % des Échos.
Ajoutons que le même jour sur Europe N°1, Vincent Hervouët pouvait dresser le bilan accablent, hélas indiscutable, du recul international de l'influence de notre pays sur tous les dossiers. Nous aurons malheureusement l'occasion de revenir sur ce bilan. Ne manquait à vrai dire à ce tableau que le désastre linguistique et diplomatique de son utilisation de l'anglo-américain sur la scène internationale. On vient d'apprendre en effet que Donald Trump lui-même, avec l'élégance qu'on lui connaît, s'est permis, le 8 janvier dans la campagne des primaires de l'Iowa, de ridiculiser notre président à raison de son accent français...
On va donc vraisemblablement mesurer, très vite, qu'Attal n'a été choisi que comme doublure du président de la république, à peine un favori. À moins qu'il change beaucoup il n'apporte concrètement jusqu'ici rien de nouveau... pas même la petite touche d'acharnement technocratique, rassurante pour les naïfs, dont Mme Borne, à défaut d'opérer un charme quelconque faisait une marque de fabrique.
La Constitution de 1958 n'a jamais prévu de faire du Premier ministre une marionnette, mais au contraire le Chef d'un gouvernement. Celui-ci, article 20, "conduit la politique de la nation. Il dispose de l'administration et de la force armée." Michel Debré, rédacteur et premier titulaire de la charge, se faisait jouer la Marche consulaire.
Or, le texte ajoute à propos du gouvernement qu'il est supposé diriger : "il est responsable devant le Parlement dans les conditions et suivant les procédures prévues aux articles 49 et 50." Mme Borne avait certes abusé, sur ordres, de l'article 49 alinéa 3 : 23 fois en 20 mois. Mais, en dépit de son acharnement certain, elle n'avait pas battu le total de Michel Rocard, 28 fois mais en 3 ans. Gabriel Attal le dépassera-t-il ? Les paris sont ouverts.
JG Malliarakis