Breizh-info.com : Pouvez vous vous présenter à nos lecteurs ?
Yvan Guehennec : Da gentañ penn e trugaran Breizh-Info d’he bout daet tremazon. J’ai fait toute ma carrière dans l’Éducation Nationale en tant que professeur certifié d’histoire et de géographie. Du fait du métier de mes parents j’ai beaucoup voyagé étant très jeune, et j’ai été scolarisé dans de nombreuses régions de France, en Alsace, en Lorraine, Bourgogne, Provence, ainsi qu’en Belgique et aux Pays-Bas. Grâce à mon nom de famille, j’étais immédiatement identifié comme étant Breton, ce qui m’a donné partout des accueils très sympathiques, à Anvers en particulier, en Belgique flamande. Le flamand fut ma première langue étrangère en vérité, langue que j’apprécie encore beaucoup. Tous ces voyages m’ont donné une forte conscience bretonne et l’amour des langues. Chez moi, le bilinguisme breton-français était chose courante, avec l’anglais en plus, du fait d’une autre branche familiale. Passer d’une langue à l’autre fut mon grand bain dans le chaudron.
Ce qui m’a emmené vers une étude plus approfondie de la langue bretonne, puis vers celle des autres langues celtiques, le gallois en premier lieu. Puis l’irlandais ancien, et de fil en aiguille, l’étude des langues indo-européennes, avec un peu de basque et de chinois, pour ouvrir l’espace et le plaisir. Puis ce fut mes études universitaires celtiques à Rennes, avec Léon Fleuriot, Ch-J. Guyonvarc’h, Gwennole Ar Men et Per Denez entre autres. Et à côté de cela, une forte activité culturelle bretonne, trop longue pour être résumée ici. Et grâce à Léon Fleuriot et Per Denez, j’ai pu suivre une formation universitaire au Pays de Galles. Sans oublier le fait d’avoir parcouru l’ensemble des pays celtes et l’Angleterre dans tous les sens. Au Pays de Galles, je fus membre de la Plaid Cymru, le parti nationaliste, et plusieurs fois j’ai eu l’occasion d’écouter et de parler avec Gwynfor Evans qui m’avait surnommé le Cymro o’r Gyfandir le « Gallois du Continent » ! En Écosse, mon épouse et moi, nous fûmes les premiers Bretons à visiter le Parlement Écossais, nous étions guidés par une membre du SNP, le Parti National Écossais.
Breizh-info.com : Qu’est-ce qui vous a motivé à écrire sur la tradition celtique et quelles sont les principales sources d’inspiration pour votre livre?
Yvan Guehennec : L’étude des langues celtiques, de façon synchronique et de façon diachronique, amène obligatoirement à l’étude des textes anciens, gallois et irlandais, dans leur langue nationale ou bien en latin. Ce qui amène à la Tradition, sans oublier le fait de tenir grand compte de l’archéologie. La comparaison des données linguistiques entre elles, avec souvent l’intervention des faits historiques et archéologiques, nous guident vers la compréhension de cette Tradition celtique, de sa réalisation sociale, politique, religieuse et mythologique. La langue est le vecteur naturel et hautement organisé de cet ensemble.
L’étude de la Tradition passe par le travail fait par nos prédécesseurs, on ne bâtit pas sur du vide. Le fait d’avoir vécu au Pays de Galles et d’avoir parcouru l’ensemble des îles Britanniques m’ont permis d’acquérir beaucoup d’ouvrages. Il faut fouiller partout, par exemple c’est dans une petite librairie de l’île de Skye, en Écosse donc, que j’ai trouvé le Barddas gallois de J. Williams Ab Ithel, ouvrage publié en de 1862. La chance compte beaucoup aussi.
Cependant, ce qui demeure l’essentiel c’est de suivre des cours universitaires et étudier sans relâche. En France on ne tient plus assez en valeur le rôle de l’Université, et en Bretagne, dans les études celtiques, les livres essentiels qui paraissent en Grande-Bretagne et en Irlande, sont très souvent ignorés parce qu’ils sont rédigés en anglais la plupart du temps, ou en gallois. La méconnaissance de la langue anglaise en Bretagne est fort regrettable. Toute la façade maritime de l’Europe du Nord et du Nord-Ouest s’exprime internationalement en anglais. La France est misérable en ce domaine, les Bretons, pour leur émancipation, ont besoin de maîtriser la langue anglaise. C’est vers l’Ouest et le Nord que nous devons regarder. Certains vont peut-être être sabatuet, mais parler trois langues (français, breton et anglais) n’est pas inconcevable, tous les enseignants de breton le savent bien. Et dans beaucoup de pays c’est effectivement le cas (Belgique, Suède, Finlande, pays Baltes…). Et qu’on aime ou qu’on aime pas, aujourd’hui la langue interceltique est l’anglais. Pour l’instant du moins, car la reconstruction d’un brittonique commun me semble réalisable, basée évident sur la phonologie, l’étymologie et la sémantique. Mais dans quel but ? Est-ce vraiment nécessaire ?
Breizh-info.com : Comment avez-vous abordé la recherche sur l’antiquité celtique et quelles ont été vos principales méthodes pour recueillir et analyser les données historiques et culturelles? Quelles ont été vos principales sources pour écrire ce livre et quelle méthodologie avez-vous adoptée pour étudier la tradition celtique?
Yvan Guehennec : La méthode de travail consiste en plusieurs manœuvres : étudier, apprendre et comparer. Tous ces éléments nous permettent de définir ce qu’est la Tradition celtique, et de définir d’abord ce qu’est une tradition. Et donc, la méthode est nécessairement pluri-disciplinaire. Cependant son approche peut se faire par plusieurs biais. Le mien est la langue. Et de par la langue, on aborde le vécu ancestral et encore vivant de notre tradition. Tradition qui est à la fois conservatrice et évolutive. Ainsi, nous voyons que nos racines celtiques bretonnes remontent très loin, et c’est dans l’univers ancestral des Indo-Européens qu’il convient de rechercher les premières apparitions de ce qui deviendra plus tard, la tradition populaire bretonne.
Le cœur de la méthode est celui de la comparaison, comme le préconisait Georges Dumézil. Mettre côte à côte les langues indo-européennes et celtes, les textes et diverses expressions (le formulaire), les coutumes, les faits historiques indéniables des peuples celtiques, et alors apparaissent des concordances manifestes (celle des trois couleurs, des trois morts, d’Ogma en Irlande et de l’Ankou en Bretagne, l’Angau au Pays de Galles…) qui expriment une unité brittonique et même britto-gaélique, qui nous emmènent, nous Bretons du Continent, vers les îles Britanniques dont sont issus nos ancêtres, notre langue celtique, nos coutumes, avec des similitudes que nul n’avait envisagées, si ce n’est celui qui cherche, qui trouve et qui prouve. C’est ce qu’ont fait nos professeurs des deux côtés du Mor Breizh.
Mon travail, depuis toujours, consiste à mettre en évidence le fait que la Tradition celtique bretonne est d’origine insulaire. C’est-à-dire d’origine brittonique, comme celle des Gallois et des Cornouaillais de Grande-Bretagne. Pour cela, dans mon ouvrage La Tradition celtique, qui vient de paraître (et dont le sous-titre est « de par la langue et les textes, la Bretagne dans la tradition celtique »), je donne une quantité importante de textes anciens, gallois, irlandais, bretons, qui affirment et qui prouvent les origines insulaires de notre langue et de notre façon de penser l’univers. Je fournis des textes ou extraits de textes dans la langue celtique d’origine, avec une traduction bien sûr. Ainsi se dessinent ou réapparaissent les liens multi-séculaires entre les deux Bretagne.
Breizh-info.com : Pouvez-vous expliquer l’importance des langues celtiques dans la compréhension de la tradition celtique et comment celles-ci ont-elles évolué au fil du temps?
Yvan Guehennec : Nombreux sont les textes mythologiques gallois, miraculeusement mis par écrit, qui trouvent leurs correspondants en Petite-Bretagne (Le Livre Noir de Carmarthen et la Gwerz Sklolan, Kêr Is et Maes Gwyddno etc.) ; j’ai donc mis cela en évidence ainsi que l’apparition régulière des Bretons du continent dans cette même mythologie galloise. En ce domaine, le fond est très riche. De ce côté-ci de la Manche, nous devons chercher dans les Vitae des saints de Bretagne. Saint Hervé par exemple, auquel je décline quelques lignes, apparaît comme étant purement mythologique, image d’un barde ou d’un druide aveugle, guidé par un loup, traversant une forêt la nuit, puis auprès duquel se dessine une roue qui tourne… Autant de schèmes notionnels qui s’expriment ici. Hervé est également l’un des trois saints qui déterminent le centre mythologique de notre Bretagne, le Mené Bré. Les Sept Saints Fondateurs dessinent la carte du nouveau pays conquis par les Bretons en Armorique. Chose que nous retrouvons en Écosse et en Inde védique. Les trois couleurs cosmiques des Indo-Européens, gwenn, ruz et du, apparaissent dans plusieurs de nos contes, comme dans toutes les branches du Mabinogi gallois et même dans les récits arthuriens de la littérature médiévale française issue du fond brittonique, en ce domaine évidemment.
Les druides de l’Antiquité celtique et du haut Moyen Âge en Irlande, ainsi que les grands bardes gallois de ces époques, ont appuyé sur la nécessité d’une ‘’Haute-Langue’’, ur Yezh Uhel, que les historiens et les philologues nomment ‘’la parole bien charpentée’’, selon des principes très anciens. Ces principes ont perduré dans toute la littérature et la poésie irlandaise et galloise, ainsi que dans celles de la Bretagne. Joseph Loth, Léon Fleuriot et Gwennole Le Menn avaient bien présenté cela ; je donne d’ailleurs des extraits des travaux de Léon Fleuriot et de Gwennole Le Menn à ce sujet. De J. Loth aussi.
Les Celtes ont presque divinisé leurs langues ; Ogma, Gwydion, Caradec en sont les précepteurs. La population celtique a toujours voulu conserver une langue unifiée et s’est toujours opposée à la promotion des dialectes. Mais les langues vivent par elles-mêmes, leur évolution interne nous échappe, même l’École ne peut s’opposer à cette réalité. Cependant croire que le peuple, le petit peuple, ne veut pas être éduqué est une lourde erreur. Notamment en ce qui concerne la langue. Ma grand-mère me disait que son père la fustigeait quand elle parlait mal breton. Au Pays de Galles, à Cardiff un jour, j’étais avec un compatriote bien connu, au Welsh Tourist Board, un responsable Gallois qui nous recevait dans un français parfait, nous dit que « quand il commettait des fautes en gallois, il recevait un grand coup de pied au c… » de la part de son père.
En ce qui concerne la langue bretonne aujourd’hui, langue à l’avenir incertain, il conviendrait d’enrichir le vocabulaire enseigné, les méthodes, les romans tournent très souvent avec le même vocabulaire basique. L’enseignement de la syntaxe est aussi à améliorer. Et la richesse du dialecte vannetais, rannyezh Bro Ereg, est souvent négligée. Même dans le Geriadur Istorel ar Brezhoneg de Roparz Hemon, de très nombreux termes sont absents, et pas seulement vannetais. Mais les Bretons ne peuvent pas tout faire, face à ceux qui souhaitent la mort de leur langue et de leur culture. Se maintenir est déjà chose difficile. Pourtant des erreurs pourraient être évitées facilement, notamment dans la toponymie, ou dans la re-bretonnisation des noms de lieux déjà de langue bretonne à l’origine. La Yezh Uhel doit se maintenir là aussi. Comme le conseillait Léon Fleuriot, lors de ses cours de gallois, il conviendrait de promouvoir les formes longues des toponymes. Et non pas des formes dialectales, ou même parfois, extrêmement locales.
Il faut éviter cette idéologie populiste qui est en fait anti-populaire. Les formes longues, qui d’ailleurs ne sont pas oubliées par tous les Bretonnants locaux, constituent une forme très riche et très importante du patrimoine breton et de l’histoire de Bretagne. La toponymie enseigne l’histoire. Les druides irlandais formaient la jeunesse en enseignant la religion et la mythologie celtiques via le Dindsenchas Érenn « Les Antiquités des Hauts-Lieux d’Irlande » (XIIè – XIVè siècle), ce qui donnait ainsi aux jeunes Gaëls la possibilité d’apprendre en plus la géographie de leur pays. C’est encore l’exemple qu’il faudrait suivre.
Il faut se défier aussi de la gallomanie qui revient au galop actuellement. Des ouvrages fallacieux paraissent mettant en cause notre celtitude ou bien voulant nous plonger dans le monde gaulois. C’est avec brio que Léon Fleuriot mit un terme à ces tentatives outrancières, en faisant éditer « Les Origines de la Bretagne » (Payot, 1980). Le Professeur Kenneth H. Jackson, de l’Université d’Edinburgh, avait fait de même en publiant « A Historical Phonology of Breton » en 1967 (The Dublin Institute for Advanced Studies). Malheureusement cet ouvrage fondamental ne fut pas traduit en français. Notre Tradition est aussi une tradition de résistance. Il serait naïf de croire que l’offensive pro-gauloise n’est pas organisée. Cela a pour but de nous hexagonalisés davantage, de nous couper de nos racines, à un moment où les échanges Irlande-Bretagne par exemple, redeviennent importants. A l’heure où notre Tradition est à nouveau attaquée, la réédition de l’ouvrage de L. Fleuriot « Les Origines de la Bretagne » est plus que souhaitable. Le dernier livre de Barry Cunliffe, « Bretons & Britons, the Fight for Identity » (Oxford, 2021), est à traduire également. Mais j’ai déjà trouvé des oppositions à cela. Des oppositions pro-gauloises.
Breizh-info.com : De quelle manière la tradition celtique influence-t-elle encore aujourd’hui les cultures européennes, notamment la culture bretonne?
Yvan Guehennec : La Tradition celtique fait du monarque le personnage central du monde celte. A défaut de monarque, ou de « Duc de Bretagne, Roi en son domaine », les Britons du Continent ont toujours leur Ténacité et leur Glwad, leur « Patrimoine », et comme le roi celte sur son char et Cinquième Élément dans l’orientation mythologique celtique, toujours appliquée par les marins pêcheurs bretons, ils sauront, j’espère, encore une fois appliquer les préceptes de ce qui le Reizh, le « Droit ».
Y.G.
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