Lorsque l’on s’aventure sur les chemins de pensée de Pierre Boutang, on se heurte à des difficultés sans nombre. Elles tiennent à son style pour une bonne part, dont on a souvent dit qu’il était hermétique. Une réflexion paresseuse serait tentée de passer de l’adjectif au substantif, de l’hermétique à l’hermétisme et de classer son Ontologie du secret dans les rayons de l’ésotérisme, en faire l’émule d’un René Guénon. Rien ne serait plus erroné. Si sa langue déroutante se pare d’un voile d’obscurité, ce n’est pas pour dissimuler quelque doctrine secrète réservée aux initiés, au sens où peut entendre ce terme un sectateur de l’illuminisme maçonnique. Il y va tantôt d’une maïeutique de l’allusif et de la discrétion, tantôt d’une dialectique serrée, sans cesse traversées par la sève vivifiante d’une prose robuste comme une liqueur forte, et baroque, empreinte d’éros, dans le sillage de Maurice Scève. D’une part, il faut affirmer avec Gérard Leclerc que la langue de Boutang « est classique au sens le plus paradoxal. Classique d’être pleine, du refus de toute fioriture, d’une densité polysémique époustouflante ». D’autre part, sa prose nous demande d’abdiquer notre raison cartésienne bien ancrée dans le paysage mental français et son couple du clair et du distinct. Ici, un passage de l’Ontologie du secret peut nous éclairer : « Nous croyons spontanément et par éducation, que l’obscur est ce qui manque de lumière, qu’il suffit d’éclairer, de disposer vers la lumière. Sans doute le rationaliste le plus têtu sait-il que ce n’est pas aussi simple, il a entendu parler du clarum per obscurius de Jules Lagneau (et, en général, l’a aussitôt oublié) ; mais non seulement ce n’est pas si simple, encore est-ce autre chose : dans cet obscurus il y a la peau de l’écorce, cutis, qui s’oppose, qui fait obstacle à la lumière ; qui protège le fruit contre la lumière et d’autres menaces. Ainsi les numina des dieux auront-ils chance d’être clairs (certainement prononcés, comme le tonnerre qui éveille) et obscurs, c’est-à-dire protégés en leur apparence, ayant besoin d’être interprétés à leur heure par ceux qui savent ouvrir l’écorce sans gâter le fruit. Reste que l’obscurité est positive, protectrice de l’être et de son paraître, par exemple, “les années obscures de Jésus”, comme toute réelle enfance, n’indiquent rien d’inerte, rien qui pourrait être éclairé en restant ce que c’est, mais un secret actif, un être qui ne peut murir que séparé, recueilli, mis à l’abri. »
Entrer dans l’Ontologie du secret, son maître-ouvrage, ne peut se faire sans garder à l’esprit le souci constant d’« ouvrir l’écorce sans gâter le fruit ». C’est une gageure, car la lecture de cette œuvre est aussi ardue que stimulante, et l’enthousiasme du plaisir esthétique peut suppléer l’exigence d’interprétation minutieuse du texte. La pensée de Boutang ne peut faire l’objet d’une exposition systématique tant elle résiste, par bien des aspects, à l’analyse du concept – mot qu’il ne goûtait guère. Boutang n’a pas cédé à la tentation hégélienne, à savoir le mirage d’un dépassement de la philosophie, entendue traditionnellement comme amour de la sagesse, sacrifiée au savoir effectif de type scientifique et totalisant, se révélant savoir absolu au terme de la procession de l’Esprit. Tout au plus pouvons-nous en suivre l’itinéraire. Nous serons bien payés de notre peine si nous ne préjugeons pas qu’il trace des chemins qui ne mènent nulle part, à l’instar de Heidegger dans sa Hütte de Todtnauberg. Boutang : « si nous osons dire précisément une ontologie du secret, il faut que sa diversité initiale ne nous ait pas arrêté, ni contraint : nous subissions une autre loi, et devions nous étonner sans cesse de ses affinités avec l’archétype du voyage. »
Disciple du philosophe existentialiste Gabriel Marcel, qui intitula l’un de ses ouvrages Homo viator, il reprend à son compte cette détermination essentielle de l’Homme qui fait de lui, fondamentalement, un voyageur. Platonicien, il se souvient que l’âme est le principe du mouvement, que la vie voisine avec ce mouvement auquel elle est inextricablement liée. Mais il y a plus, sa méditation métaphysique n’étant jamais tout à fait coupée des considérations théologiques, en procédant comme d’une source, il va montrer la spécificité de la métaphore du voyage pour le Chrétien : « dire, traditionnellement, que l’homme est viator, c’est sous-entendre qu’il est un “subsistant” grâce à quelque “viatique”, plus qu’énoncer la pluralité des pays qu’il devra traverser ; mais le chrétien, chez qui cette métaphore du voyage est la plus vivace, même s’il désire le parcours le plus bref, conçoit, dans le tremblement, que le “viatique” consommé en route non seulement subsiste à la fin, mais de quelque manière décide du sens et de la fin. Appeler ce viatique “grâce” n’ôte ni n’accroît le paradoxe. »
Boutang reste fidèle au sens de la présence terrestre des païens, mais sans le contredire, y ajoute le sens chrétien de la transcendance et, sur ce terrain, Nietzsche est le grand adversaire : « Or c’est exactement le sens du “terrestre”, et le souci de la présence de l’être à ce monde, qui conduit à cette apparence de “nihilisme” ; lequel habite le plus exactement ce monde, de qui connaît que l’être lui est donné et repris, ou de celui qui a finalement besoin d’éterniser le devenir ? Mais l’homme, originellement, est l’habitant de la terre, humus, que les latins n’ont que très tard remplacé par terra, et l’humilité n’est, pour eux que le fait de rester au niveau de ce même humus, de cette même terre. Ce que le sentiment judéo-chrétien de l’être ajoute à cet humanisme paysan et à cette humilité païenne, c’est la reconnaissance au niveau de la terre, comme de toute chose créée (fût-ce du hilum, ce point de la fève qui n’est « presque rien »), d’un être participé et transcendant à ce qu’il fait être, sans qui toute forme tombe au néant. »
La fuite du sens
Lorsque le sens a déserté le monde, il devient insensé de croire pouvoir l’habiter. Le mouvement de la déconstruction a pour tâche d’entériner, d’approfondir cette fuite du sens constatée, sur une tonalité tragique, par Nietzsche : « Comment avons-nous pu vider la mer ? Qui nous a donné l’éponge pour effacer l’horizon tout entier ? N’errons-nous pas comme à travers un néant infini ? » La quête immémoriale du sens a été supplantée par la célébration, non de l’absurde qui conserve une relation tourmentée et comme nostalgique au sens, mais du non-sens même. Derrida, peu soucieux de la cohérence, ira jusqu’à dire que « partout où elle opère, la pensée ne veut rien dire ». Les amateurs de paradoxes savoureront. Deleuze, quant à lui, dont la philosophie est certainement l’expression paroxystique de cette tendance qui semble se réaliser jusque dans sa prose, célèbre « un corps sans organes qui ne cesse de défaire l’organisme, de faire passer et circuler des particules asignifiantes », dans une même veine il ajoute : « On ne demandera jamais ce que veut dire un livre, signifié ou signifiant, on ne cherchera rien à comprendre dans un livre. » Pareille rage à enterrer son propre message, qui ne veut rien dire, laisse pantois.
La question de l’enracinement, bien qu’elle y conduise naturellement, ne se limite pas à un rapport charnel à un terroir, une province, un pays, auquel cas il suffirait d’y séjourner. Un schisme de l’être, gangrénant les représentations traditionnelles qui ont forgé la Weltanschauung européenne, aussi bien antique que médiévale, a sévi. C’est bien malaisément que nous tentons de saisir la mentalité de nos ancêtres d’après les schèmes qui constituent le corps de nos perceptions du monde. Nous lisons dans le Gai savoir : « Nous ne comprenons plus bien comment les Anciens ressentaient les choses les plus banales, les plus courantes, par exemple le jour et le réveil : comme ils croyaient au rêve, la veille avait pour eux une autre lumière. Il en était de même du tout de la vie, éclairé par le contre-rayonnement de la mort et de sa signifiance : notre mort est une tout autre mort. Tous les événements de l’existence avaient un éclat différent, car un dieu resplendissait en eux ; toutes les décisions aussi, toutes les perspectives ouvrant sur le lointain de l’avenir : car on avait des oracles, de secrets avertissements et on croyait à la divination ».
À rebours de cette fascination, Apollinaire, dans un vers célèbre du poème initial d’Alcools, exprime le sentiment qui tendra à prédominer chez les postmodernes : « À la fin, je suis las de ce monde ancien ». Notre regard serait-il devenu vide, comme le suggérait Jean-François Mattéi à la suite de Gustave Thibon qui écrivait : « Ce n’est pas la lumière qui manque à notre regard mais notre regard qui manque à la lumière » ? Peut-être bien. La clé du festin ancien, de la bonne santé naturelle des anciens est-elle perdue ? Ce qui se perd se peut retrouver, et les guides ne manquent pas. Nous pensons particulièrement aux poètes ; bien plus, au mode de vie poétique qui n’implique pas nécessairement la versification mais un rapport au monde singulier, car « riches en mérites, c’est poétiquement pourtant que l’homme habite la terre », nous murmure Hölderlin depuis l’empire des morts.
George Steiner parle de l’ontologie du secret et de la philosophie de Pierre Boutang comme d’une pensée-poème. Boutang lui-même déclare : « J’ai appris de Jean Wahl […] que la poésie peut être la vraie métaphysique, son “moyen court” en tout cas. Ce sont là, si l’on veut, les gros mots de ma philosophie. » Sa querelle contre le nihilisme est aussi vive et franche que sa fidélité à La Fontaine, le plus grand de nos poètes lyriques, est intacte au fil des ans puisqu’il lui consacrera deux livres de dimensions inégales, le premier en 1981 et le second en 1995. La parfaite sécheresse du rationalisme cartésien préludait, en guise de repoussoir, à la débauche de sentimentalisme éthéré chez les romantiques français et, sur un mode plus sérieux, aux Hymnes à la nuit d’un Novalis. De même que la rationalité ne doit pas être abandonnée à ceux qui la déifient indûment, le domaine entier du sentiment ne doit devenir – sous peine d’être assimilé à sa caricature – aux romantiques, car écrit Boutang : « chaque réel poème a pour invisible réserve ce que le Moyen Âge nommait “vox cordis”, une voix dur cœur… » L’affranchissement de la phrase – la sortie de ses gonds – par le mot fait Dieu dans l’art poétique du romantisme hugolien, le relâchement du style ou sa boursouflure, reflets d’un égotisme débridé sont autant de symptômes d’un même mal : la corruption des forces rapicolantes de l’émotion ou quand pesanteur et profondeur se confondent. On se souvient de la phrase célèbre de Giscard d’Estaing, alias le foutriquet, selon l’expression du précis : « Vous n’avez pas le monopole du cœur. » Le mot est identique mais la chose diffère. Il ne s’agit pas de la réserve inépuisable de sensiblerie dont l’Empire du Bien a le secret. En effet, « le cœur est lieu des principes, qui sont une “première habitude” ; ces deux mots disent l’originaire et le non-démontrable, c’est-à-dire une transcendance au sommet de l’esprit et au fondement de la vérité, comme […] en ses fonds. »
Le nihilisme
Le nihilisme est la maladie de l’âme et de la civilisation qui révèle le tarissement des sources du chant. Boutang : « le nihilisme radical annonçait l’impossibilité du chant ». Philippe Barthelet écrit pour le dossier H consacré à Boutang ceci : « Pierre Boutang aurait pu faire siennes les remarques de Léon Bloy après son premier voyage en métro, aux ides de mars 1904 : “Impression de la fin des sources, de la fin des bois frissonnants, des aubes et des crépuscules dans les prairies du Paradis. Impression de la fin de l’âme humaine.” »
Dans son ouvrage-pamphlet consacré à Sartre, Boutang écrit au chapitre « Il ne sait pas chanter » : « Nous arrivons au point le plus important, qui est aussi le point le plus bas de la chute, comme le ravissement dans la musique est le point le plus haut de la contemplation : l’absence de tout lyrisme, de toute capacité de chant chez un homme tel que Sartre. Ce Socrate du néant ne rencontre jamais Apollon qui lui demande de chanter. […] L’âme contemplative chante à ravir ; la relation à Dieu s’exprime finalement dans un chant, car il faut être au monde, et le seul monde qui demeure est alors celui du chant. » Un monde qui demeure est un monde qui ne glisse plus, dont les essences sont intelligiblement perçues, par-delà le mobilisme héraclitéen. Boutang sera moins sévère avec Merleau-Ponty, pourtant du bord politique opposé au sien. Il lui saura gré de ses variations sur « la chair du monde » ainsi qu’au courant phénoménologique, plus globalement, d’avoir élaboré une théorie de la connaissance compatible avec celle de l’École. De surcroît, la phénoménologie permet de renouer avec le sensible que l’idéalisme cartésien avait manqué, voire offusqué. Question cruciale puisque, comme l’énonce Boutang, « les sens seuls ont un rapport cognitif direct avec les choses créées ». La section IV de l’Ontologie du secret aborde les rives du nihilisme. Le texte commence ainsi : « Le contraire de la foi n’est pas l’athéisme, c’est le “nihilisme”. » La vogue du mot nihilisme est un des effets de l’usage retentissant qu’en fit Nietzsche. Bien qu’il soit polysémique chez ce dernier et qu’il faille distinguer nihilisme passif et nihilisme actif, nous retiendrons deux formules présentes dans les fragments posthumes : « Nihilisme : le but fait défaut ; la réponse au “pourquoi ?” fait défaut ; que signifie le nihilisme ? Que les valeurs suprêmes se dévalorisent. » Et cette détermination psychologique, qui n’est pas sans rapport avec l’ontologie secrète du sophiste éternel dont la parole est ordonnée au non-être selon Platon, « sentiment creusant du rien », exprime le déclin de la volonté de puissance. Ici, le rien creuse. Il creuse dans l’intériorité de l’âme l’abîme du néant. Pour ne laisser rien d’autre que soi ? Même pas. L’homme même s’y désintègre et la figure du dernier homme dans Ainsi parlait Zarathoustra en annonce l’éclipse dans son refus de la hauteur, de la poésie aérienne des cimes et des montagnes que décelait Bachelard dans la pensée du philosophe allemand. Puisque, selon Boutang, « l’étymologie, c’est le parler vrai », mettons-nous en quête de l’origine de ce mot, pour en recueillir son sens. À l’article « nihilisme » du dictionnaire historique de la langue française (Le Robert), nous trouvons les informations suivantes : « Nihilisme n.m. est formé (1787) au moyen du suffixe -isme sur le latin nihil “rien”, forme réduite habituelle de nihilum, lui-même de ne-hilum, forme renforcée de la négation ne au moyen de hilum. Ce nom s’employant pour “tant soit peu”, et il est d’étymologie inconnue. Nihil, mot expressif ancien signifiant “rien”, a perdu de sa valeur au profit d’autres mots passés en roman. » L’herméneutique habituelle de ce vocable s’en tient au nihil, signifiant « rien ». Boutang en propose une exégèse renouvelée : « L’horizon ontologique et étymologique du mot a été bouché par l’équivalence immédiate du nihil qu’il contenait avec “rien” ; or “rien”, qui est rem, pourrait bien s’assortir de toutes les négations logiques, il ne produirait pas ce qui se trouve en la composition, dite savante, de “nihilisme”. C’est donc nihil qu’il faut regarder de manière nouvelle. » Ne hilum, c’est donc « pas même le hile », hile renvoyant au point noir de la fève où la graine adhérant au funicule, en reçoit les sucs nourriciers, un petit rien qui relie à la vie même. Le funicule est le filament qui relie l’ovule d’une plante au placenta de l’ovaire, un pédicelle plus ou moins long, ramification du pédoncule se terminant pas une fleur. Ce détour par la botanique est instructif et riche en enseignement philosophique. Le nihilisme, dont Sade fut une figure, se révèle haine de la vie à sa racine, secrète détestation de toute attache, volonté de conjurer le fleurissement de l’être. Boutang, pour conclure : « La rose trempée dans la boue par le divin marquis, ce n’est pas une anecdote sans importance, mais le symétrique infernal de “la rose est sans pourquoi ; elle fleurit parce qu’elle fleurit” de Silésius ». Nietzsche décelait dans le nihilisme européen la crainte de revenir à soi, dont la fameuse injonction rimbaldienne à l’absolue modernité, est un des avatars. Mais au terme d’une saison en enfer, après les ultimes douleurs, se fait jour le désir de retrouver l’Éternité diffamée jusqu’alors, cette mer allée avec le soleil, pour enfin posséder dans son âme et son corps, la vérité : fleur du bien au-delà de toute essence, couronnement de l’être en sa pureté rédemptrice.
La renaissance héroïque
Toute grande philosophie est une fontaine de Siloé à laquelle on doit de ressusciter à l’expérience de la pensée. Si le monde reste « notre premier et notre dernier amour », selon le mot de Camus, le philosophe comme l’artiste, doivent s’appliquer à le rendre, autant que faire se peut, intelligible ; à tout le moins, être à l’écoute de ses harmoniques fondamentales, du sens qui s’y voile et dévoile tour à tour, dans une alternance de transparence et d’opacité. « La nature aime à se cacher », disait Héraclite l’Obscur. Cependant, en dépit de Hegel, le monde ne se laisse enfermer dans aucun système philosophique ; c’est dans la plénitude de son chant originel qu’on en rejoint les profondeurs, qui se révèlent gloire et splendeur. Et ce chant, d’une tessiture illimitée, c’est le Logos qui l’entonne, que nous recueillons dans l’action de grâce qu’est le poème. En effet, selon Boutang, tout vrai poète, le sachant ou non, est témoin d’un Logos premier et pur qui ne peut être que chanté. La décomposition du langage, que ce soit dans la dissémination derridienne qui lui refuse l’ordination au monde, à l’être et finalement au sens, ou dans les bégaiements qui s’abîment dans la banalité du dire et des vains bavardages sans forme, ponctués par des borborygmes – pour donner bonne mesure – caractérise une décadence politique et une entropie spirituelle inouïes. Joseph de Maistre, en bon logocrate, énonce la loi anthropologique, politique et linguistique, suivante : « En effet, toute dégradation individuelle ou nationale est sur-le-champ annoncée par une dégradation rigoureusement proportionnelle dans le langage. » Simone Weil, dans « L’Iliade ou le poème de la force, » ne veut voir dans cette vertu que la puissance de réification et de mort qu’elle peut être par ailleurs. Le pathos de la faiblesse, de la morale des esclaves dont Nietzsche fut le diagnosticien à la pensée faible dont Gianni Vattimo est l’actuel promoteur, fait florès. On ne veut retenir de la force que son aspect destructeur. Or, dans son La Fontaine politique, Boutang, prenant le contrepied de la doxa du jour, écrit : « Il semble que l’heure, bonne et sévère, soit venue de reconnaître nos erreurs sur la figure de la force, et de sauver ce qu’elle a de divin – d’en implorer le salut. » Il en appelle à cette vertu, la reliant au souci de la langue : « La renaissance sera héroïque. Elle le sera d’abord dans la langue, par le refus de la laisser dissoudre, dans la rigueur de sa prose, mais aussi par le retour à son chant originel. Il n’y a pas tâche plus urgente que l’œuvre poétique, pour rendre à la parole la tension et les mesures capables d’ordonner tous les autres devoirs. Comme, au spirituel pur, celui de la transcendance, la charité commande tout […], aussi au spirituel politique, le juste parler, la parole vivante sont toute la morale et le corps même des autres biens. Une morale, au sens d’Aristote et de toutes les politiques, n’est pas une langue bien faite, mais c’est une parole égale à soi, fidèle à son origine. »
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