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Agricultrices : ce que pensent les femmes

Sur les barrages, au volant des tracteurs, sur les plateaux télé, qu'elles soient responsables syndicales ou simples paysannes, les femmes prennent largement leur part à la révolte agricole. Et pour cause : elles représentent 30 % des actifs permanents de l'agriculture et le quart d'entre elles sont chefs d'exploitation. Deux femme et fille d'agriculteur - faut-il le rappeler ? - ont payé de leur vie la mobilisation : Alexandra et Camille. Qu'elles ne soient jamais oubliées. D'autres, moins visibles, répétant sans doute inconsciemment le geste ancillaire de leurs aïeules, héroïnes des grandes guerres qui « tenaient les fermes », sont restées en base arrière, assumant le travail pour deux. C'est aussi grâce à elles que les tracteurs font route vers Paris.

Une présence féminine non négligeable propre à faire mentir le regretté Patrick Buisson qui, dans La Fin d'un monde (Albin Michel), tenait l'exode féminin des années 60-70 (dû en grande partie à l'émancipation des femmes) pour premier responsable de la disparition programmée du modèle rural, car « se lever entre 5h30 et 6h30 du matin, porter le lait au camion, préparer le petit déjeuner, faire la vaisselle, les lits, le ménage, la lessive, préparer le repas, nourrir les poules et les lapins, donner un coup de main aux champs [...] cette vie grevée de servitudes immémoriales [...] quelle fille d'agriculteur pouvait encore l'accepter ? » Car en réalité, dans le monde agricole, s'agissant des femmes, les choses ont évolué, et plutôt dans le bon sens.

« Le statut des femmes a énormément progressé »

« Autrefois, les femmes travaillaient souvent plus dur que les hommes, cumulant les travaux de ferme et ceux du foyer sans reconnaissance aucune », reconnaît Béatrice Marie, éleveuse laitière en bio auprès de BV ; « les évolutions législatives de ces dernières années ont été bénéfiques pour les épouses d'agriculteurs, leur statut a énormément progressé. Signe des temps, nous fait-elle remarquer, ce n'est qu'en 1961 que le mot "agricultrice" se conjugue au féminin et entre dans le dictionnaire. »

Les améliorations se sont faites progressivement : grâce à la loi de 1999 créant le statut de « conjoint collaborateur » et à celle de 2006 qui propose trois statuts au conjoint du chef d'exploitation : salarié, chef d'exploitation ou collaborateur. Celles qui, jusque-là, travaillaient dans l'ombre bénéficient désormais d'une véritable reconnaissance de leur travail et surtout d'une protection sociale et juridique. Un quart de ces femmes sont devenues chef d'exploitation tout comme Béatrice.

Reste, toutefois, une part non négligeable de 5 à 6.000 femmes demeurées « invisibles » car « sans statut juridique ». Un chiffre avancé par un récent rapport du Sénat qui « s'explique pour partie, et malgré les risques graves, par le fait que certains exploitants peinent à arbitrer entre payer plus de cotisations à la MSA et investir dans du matériel pour préserver leur activité ». Un effet de plus de l'asphyxie des normes et des prélèvements qui étouffent la profession...

Des efforts sont faits pour briser l'isolement

Si le sujet de l'isolement s'invite dès que l'on parle d'agriculture (en témoigne le succès de l'émission de Karine Le Marchand, Le bonheur est dans le pré), Béatrice Marie, de son côté, salue les efforts des organismes agricoles pour créer du lien social entre agricultrices. Elle cite l'exemple de la MSA (Mutualité sociale agricole) organisant régulièrement des rencontres entre femmes pour échanger et des ateliers pour se former ou se divertir.

La maternité dans les champs

Lorsque l'on évoque avec elle la maternité, notre éleveuse qui a eu quatre enfants avoue « que mener de front travail de la ferme et l'occupation de petits au milieu des vaches ce n'est pas très facile, ce n'était pas mon meilleur souvenir ». À l'époque, son statut de conjointe collaboratrice lui donnait droit à « quelques jours de remplacement », bien insuffisants selon elle. Dans ce domaine, aussi, les choses évoluaient jusqu'ici dans le bon sens : inexistant jusqu'en 1976, le congé maternité a progressé ; de deux petites semaines (quand les salariées étaient déjà à 14 semaines) à 8 semaines en 1986 (quand les salariées bénéficiaient du double). Une inégalité rattrapée en 2008 lorsqu'il a été rallongé à 16 semaines. Qu'en sera-t-il avec la réforme du congé parental d'Emanuel Macron qui pénalisera les mères ?

Les angoisses de la profession n'épargnent pas Béatrice qui déplore, le matin même, avoir « vendu deux veaux 40 euros pièce au lieu des 150 euros il y a quelques semaines. Le fruit de 15 jours de travail à surveiller le vêlage et l'élevage du veau. » Preuve supplémentaire que la profession a de quoi se battre ; la retraite. Évaluée par notre éleveuse (passée chef d'exploitation depuis six ans après plus de vingt ans de labeurs en tant que conjointe collaboratrice) à 700 euros par mois. Une misère, comparé aux 1.531 euros bruts, en moyenne, perçus par les Français en 2021. De quoi comprendre encore un peu mieux les raisons de la colère.

Sabine de Villeroché

https://www.bvoltaire.fr/agricultrices-ce-que-pensent-les-femmes/

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