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Bonaparte, la Russie, ou comment rien ne change.

Franco-russe, je me souviens encore de ce sentiment de gêne qui me travaillait, enfant, à chaque fois que j’entendais parler de la guerre partiotique de 1812. Si j’avais eu le malheur de naître à cette époque, qu’aurais-je fait ? Comme, en certains cas, le sens des réalités n’est pas négociable, je finissais par me ranger du côté russe car, après tout, qui était l’envahisseur ? Le barbare ? Je me souviens des réflexions que m’avaient inspirée la biographie de la bonne vieille Comtesse de Ségur dont le père, Fédor Rostopchine, gouverneur de Moscou entre 1812 et 1814, ordonna la mise à feu de Moscou. Si j’avais été à sa place, me demandais-je, aurais-je pu épouser un Français ? Prenant un peu plus de recul, 25 ans plus tard, je me repose la question mais en d’autres termes : est-ce que les Russes ont bien raison de ravaler une rancune normalement indigeste alors que, si l’on inverse un certain nombre de scénarios, on se rend compte que jamais l’Occident n’aurait absous la Russie. Imaginons que les trois-quarts de Paris eussent été brûlés pour éviter que l’envahisseur russe ne s’en empare !

Imaginons que plus de 10 000 Français auraient trouvé la mort sur les champs d’honneur russes pendant la I GM et que le roi (le président, l’Empereur …) qui les y aurait envoyé aurait fini trahi par le gouvernement russe de l’époque ! Imaginons que deux divisions SS russes aient été aux portes de Paris mais que Paris, au lendemain de l’armistice, ait décidé de passer l’éponge ! Imaginons que le gouvernement russe ait soutenu une guerre civile menée par un gouvernement fantoche contre des régions ethniquement françaises et francophones et qu’ils aient imposé des sanctions à la France parce qu’elle osait soutenir ces régions ! Cette dernière remarque vaut aussi pour l’Allemagne qui pourtant, vu un passé peu glorieux, ferait mieux de la mettre en veilleuse. Dois-je poursuivre ?

J’entends être claire : il ne s’agit pas de dénigrer le bercail, d’opposer une Patrie à une autre, mais bien de supposer, observations empiriques à l’appui, que la Russie n’est pas assez rancunière. Que le gouvernement russe actuel n’est pas assez lucide lorsqu’il estime que l’on peut se permettre de raisonner le gangster étasunien et de séduire la ravissante’Europe qui, dans l’esprit d’un grand nombre de Russes auxquels j’ai l’immense plaisir d’enseigner notre langue que j’affectionne, reste l’Europe des châteaux forts, des cathédrales, des blés mûrs et des champs moissonnés.

Le fait que le gouvernement russe ait ENFIN décidé de voter une loi sur les médias « agents de l’étranger » en réponse aux poursuites délirantes qui accablent aujourd’hui RT est, à mon sens, un bon début. Encore faut-il persévérer sans craindre de ne pas être « assez démocrates » aux yeux des gouvernements occidentaux qui s’en soucient comme d’une guigne.

On doit bien sûr respecter les règles du jeu … jusqu’au moment où votre adversaire les respecte. Or, le droit international, aujourd’hui, c’est le droit du plus fort. Lorsque les schémas classique ne fonctionnent plus et que le discours politique tourne à l’impasse, il faut parfois oser prendre des décisions inattendues comme en avait pris, il y a 215 ans, le tsar Alexandre I et ses hauts-fonctionnaires.

Ainsi, et là encore, à mon humble sens, la présence fantasmée d’une armée russe dans le Donbass restera telle tant que Kiev ne se décidera pas – s’il s’y décide ! – à un blitzkrieg mettant en jeu la survie de la région et de ses peuples. Ce qui sépare le droit de son sosie, l’action vraie du discours hypocrite, c’est précisément cette ligne rouge qui, si elle est franchie, mettra un terme à cette diplomatie de façade de plus en plus ridicule incarnée par les accords de Minsk. Les Russes se sont bien décidés à en découdre avec Daesh et sa sordide constellation, pourtant, on essayait de l’en empêcher arguant l’existence d’une opposition modérée. Ils le firent quand ils n’avaient plus le choix. Je ne suis pas dans le secret de Dieu et j’ignore comment se fera la libération du Donbass et dans quelle mesure la Russie s’investira si elle s’investit. Ce qui pour moi est clair, c’est que nous entrons dans une période où il faudra oublier le droit et adopter des tactiques de circonstances, là encore, comme le firent les aïeux russes il y a 215 ans car, au fond, à travers le Donbass, c’est toute la Russie, tout le monde slave orthodoxe qui est dans le collimateur.

Voici, ci-dessous, le petit texte qui m’a inspirée ce billet d’humeur et qui prouve qu’en deux centenaires, bien peu de choses ont changé. Chacun en tirera ce qu’il jugera bon d’en tirer.

Les sept petites merveilles qui ont choqué Bonaparte.

1. La tactique déployée par l’armée russe.

La tactique déployée par les troupes russes avait impressionné Bonaparte. Impressionné dans tous les sens du terme! Placée sous le commandement du général Barclay de Tolly, l’armée russe recourait sans discontinuer au retrait tactique. Les troupes purent ainsi reculer au-delà de Vitebsk, Smolensk, et Moscou. Avant le redéploiement de Tollay et de Koutouzov, les Français ne purent engager que deux batailles.

Le regard que porta Bonaparte sur le retrait des troupes russes était équivoque. Au début de la campagne, le choix d’une telle tactique profitait à l’Empereur français car il espérait progresser jusqu’à Smolensk sans grandes effusions de sang. Néanmoins, les Français ne prirent pas Smolensk puisqu’ils trouvèrent cette ville dans un état lamentable. S’y cantonner n’avait donc aucun sens, quant à pousser plus loin, le risque était bien trop grand. Cette armée française qui misait sur une opération fulgurante, une sorte de blitzkrieg, s’enfonçait jusqu’au menton dans les tréfonds d’un pays incernable, égrenant des terres qui n’en finissaient pas, s’enlisant.

Les soldats entraient dans des villes désertes, achevant piteusement les provisions qui leur restait alors qu’un sentiment de panique gagnait progressivement les rangs. Exilé à Sainte-Hélène, retranché dans ses souvenirs, Bonaparte avait fait cette confidence :

«Consternées de voir sans cesse s’éloigner puis se perdre les fruits de leurs efforts conquis au terme de traversées si difficiles et si périlleuses, mes troupes en vinrent à mesurer, non sans angoisse, la distance qui les séparait de la France», 

(NdT. N’ayant pu retrouver l’original de cette confidence, j’ai dû me contenter d’une traduction approximative. Idem pour les confidences qui suivront).

2. Des murailles (trop) épaisses.

Bonaparte consacra toute une page de ses Mémoires aux murailles inexpugnables de Smolensk. La description qu’il y fait commence par un éloge des beautés de la ville auquel succède l’énumération de tous les procédés insensés mis à l’oeuvre pour s’en emparer :

« J’ai dû utiliser toutes les réserves de mon artillerie pour essayer de défoncer la courtine, mais en vain: nos boulets finissaient coincés dans l’épaisseur des murailles qui résistaient comme si de rien n’était. Il n’y avait qu’un moyen de percer : focaliser tous nos tirs sur deux tours rondes. L’inconvénient, c’est que nous en ignorions l’épaisseur comparée à celle de l’ensemble de la muraille ».

3. Les incendies.

Si ce n’était les Mémoires de Bonaparte, on aurait pu croire que les villes russes avaient été mises à feu par l’armée française. L’avancée napoléonienne s’accompagnait en effet d’incendies spectaculaires : le feu ravageait non seulement les villes, mais aussi les routes ! A Smolensk, à Gzatsk (actuellement, Gagarine, NdT), à Maly Jaroslavets, c’était les Français qui éteignaient le feu ! Les Russes brûlaient tout : les maisons, les magazins, les rues, les champs. Au beau milieu d’un Moscou cerné de flammes, Bonaparte ne parvenait pas à comprendre d’où venait un tel brasier. On en retrouve le témoigage à travers ces lignes imprégnées de poésie et de tristesse :

« Moscou n’était plus qu’un océan de flammes. La vue qui s’offrait à moi depuis un balcon du Kremlin aurait épaté Néron mettant Rome à feu ; en ce qui me concerne, jamais je n’ai ressemblé à ce monstre, et le coeur me saignait à la vue de cet horrible spectacle dont je fus alors le triste témoin »

4. Les villes.

Bonaparte se montrait admiratif du talent des architectes russes. Pour se consoler de l’échec cuisant de son artillerie, il consacra plusieurs pages de ses Mémoires aux tours de Smolensk. Mais ce fut Moscou qui, plus que d’autres villes rebelles à l’invasion, impressionna l’Empereur à tel point qu’il écrivit ceci :

« Bâtie, à l’instar de Rome, sur sept collines, Moscou est pittoresque. Il faudrait voir ne serait-ce qu’une image de cette ville où Orient et Occident fraternisent, ses deux-cents églises avec les milliers de dômes multicolores les surplombant, pour imaginer quelles furent nos impressions lorsque nous la vîmes, pour la première fois, depuis les hauteurs du mont Poklonnaïa ».

5. Les routes

Les routes que Bonaparte dut sillonner lors de sa campagne russe étaient loin de l’avoir satisfaites. En l’occurence, ce n’était pas le climat qu’il mettait en cause – il en parlera amplement mais ailleurs –  mais le fait que celles-ci se soient révélées impraticables :

« Faute d’avoir assez d’informations sur l’état des routes, et vu que les cartes dont nous disposions étaient incomplètes ou fausses, je décidai de ne pas disperser mes unités, car rien ne garantissait qu’elles allaient prendre des routes praticables ».

6. La météo.

Bonaparte lança sa campagne au début de l’été, alors que le retrait eut lieu vers le printemps. L’Empereur avait donc tout loisir de se faire une idée de ce qu’était le climat en Russie. Ainsi, l’automne était d’une « exceptionnelle beauté dans ces rudes contrées ». Mais c’est au pire moment de sa campagne, en rebroussant chemin, qu’il se heurta au véritable froid russe :

« Au-delà du 7 novembre, les températures se mirent à dégringoler aussi vite que l’angoisse gagnait mes hommes, un sentiment qui ne les quittait plus depuis la bataille de Viazma ».

7. Les partisans.

Comment ne pas être fier en constatant que c’est bien le courage exemplaire du peuple russe qui choqua jusqu’à l’admiration la plus franche un Bonaparte pourtant assez peu sentimental ? De cette guerre patriotique (populaire selon les termes de l’original, NdT), Bonaparte dit ceci : « La plus redoutable des armées ne saurait guerroyer contre un peuple unanimement résolu à vaincre ou à mourir. Ce n’était plus au peuple lituanien, témoin indifférent des grands cataclysmes de l’Histoire, que nous avions affaire. Chaque habitant de ce pays, produit organique du peuple russe, quittait sa demeure à notre approche. Des logis désertés et des villages carbonisés, voici le spectacle sinistre qui se déployait sur toutes les routes que nous prenions. Les habitants qui avaient pris la fuite s’organisaient en bandes et s’en prenaient à nos fourrageurs. Sans jamais troubler l’avancée des troupes, ils n’hésitaient pas à enlever les maraudeurs et les soldats à la traîne ».

Françoise Compoint

Texte original de Anna Fomenkova

source:http://nrt24.ru/fr/news/bonaparte-la-russie-ou-comment-rien-ne-change

https://reseauinternational.net/bonaparte-la-russie-ou-comment-rien-ne-change/

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