Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

L’Europe d’une guerre à l’autre (III—1) – L’assassinat de Sarajevo

Par Nikolay STARIKOV  Oriental Review

“Les empereurs autrichiens et russes ne devraient pas se détrôner l’un l’autre et ouvrir la voie à la révolution.” 
Archiduc Franz Ferdinand

C’était une visite ordinaire et banale d’un haut dirigeant de l’Empire à l’une de ses villes centrales. Et pour nous, ce ne serait d’aucun intérêt, s’il n’y avait eu un “mais”. Suite à une série d’accidents suspects et de coïncidences étranges ce jour-là qui a conduit à la mort de l’héritier du trône autrichien, la Première Guerre Mondiale a commencé …

La journée fatidique a commencé avec une série de particularités, et l’héritier autrichien est mort à cause de ce grand nombre d ‘«accidents». D’après son programme, l’invité d’honneur était censé assister à une réception à l’hôtel de ville, puis partir pour une visite planifiée des sites touristiques locaux. Mais, sitôt les premiers échanges de bienvenue terminés, Franz Ferdinand et sa femme sautèrent dans une voiture à toit ouvert et firent route vers la ville tandis que les gardes du corps du successeur de l’empereur François-Joseph 1erpour une quelconque raison, étaient restés derrière à la gare – ce qui est assez surprenant étant donné que les rumeurs d’une tentative d’assassinat s’étaient répandues dans la ville la veille. Mais aucune mesure de sécurité particulière n’a été prise même après que l’envoyé serbe (!) de l’Empire austro-hongrois ait averti d’une possible tentative de meurtre contre Franz Ferdinand. La date choisie, le 28 juin 1914, était également assez étrange. C’est ce jour-là, en 1389, que l’armée turque a vaincu la Serbie et a privé les Slaves de l’indépendance pendant des centaines d’années. En 1878, la Bosnie-Herzégovine a été occupée par l’Autriche à la suite de la guerre russo-turque et a été formellement annexée par l’Empire des Habsbourg en 1908. Tenir une fête militaire pour les nouveaux «oppresseurs» à cette date était presque une provocation. Mais la date des festivités n’a pas été changée et le voyage des Archiducs n’a pas été annulé.

30005

Le cortège de quatre voitures roulait à une vitesse de 12 km/h le long des berges de la Miljacka où s’était massée une immense foule. Tout était pimpant et festif. Les spectateurs le long des berges agitaient et criaient des éloges en allemand et en serbe. Un spectateur de 18 ans s’était frayé un chemin vers l’avant de la foule. Quand il a vu le regard interrogateur d’un policier, il a souri et a demandé à pouvoir voir le véhicule de l’Archiduc et, au même moment, a jeté un paquet contenant une bombe sur la voiture. Le chauffeur, voyant des mouvements suspects du coin de l’œil, accéléra et la bombe rebondit sur le capot du premier véhicule explosant sous les roues de la seconde. La bombe était pleine de clous: Franz Ferdinand était indemne, mais sa femme avait de légères égratignures au cou. Vingt personnes dans la foule furent blessées et deux officiers dans l’entourage de l’héritier. Nedeljko Gabrynowicz (c’était le nom du jeune terroriste) avait commencé à courir, mais il fut immédiatement attrapé.

Assez curieusement, l’attentat manqué n’eut aucun effet sur l’ordre du jour prévu de la visite. Le maire de la ville lisait un discours fleuri, mais Franz Ferdinand, ne pouvant se retenir, l’interrompt

“Monsieur le maire, je suis venu ici en visite amicale et j’ai été accueilli par des bombes. C’est scandaleux!”. Il se ressaisit alors et dit ” Eh bien, continuez! “

À la fin du discours, l’Archiduc s’était calmé et un sourire était revenu à son visage quand il a demandé au maire:

«Alors, qu’en pensez-vous, y aura-t-il une autre tentative d’attentat contre moi aujourd’hui?

La réponse du maire reste inconnue à ce jour, de même que tous les autres mots de l’Archiduc. Cependant, aucune mesure de sécurité supplémentaire n’a été prise à la suite de leur conversation, malgré le danger évident. De plus, il a été décidé de suivre le programme original de la visite ! Imaginez ceci: une bombe explose près du véhicule du président autrichien, mais au bout de deux heures il roule encore paisiblement à travers la ville, agitant joyeusement la main devant la foule en liesse. C’est simplement impossible. Mais à Sarajevo, c’est exactement ce qui s’est passé.

Une file de voitures se déplaçait le long de la promenade allant dans la direction opposée. Cette fois, les voitures roulaient plus vite. La femme de l’héritier était toujours assise à côté de lui avec le gouverneur militaire de Bosnie, le général Potiorek. Un officier portant un sabre à la hanche se tenait sur le marchepied gauche. À un moment donné, au milieu de la route, le conducteur de la première voiture se perd et tourne accidentellement  à droite dans la rue Franz Joseph. Le général s’aperçoit alors qu’ils allaient dans la mauvaise direction et crie sévèrement contre le chauffeur. Celui-ci freine, roule sur le trottoir et s’arrête. L’ensemble du cortège était derrière lui, il entame alors de faire demi-tour pour éviter les embouteillages. C’est ainsi que le véhicule des Archiducs se retrouve devant la « Morits Schiller Delicatessen », l’endroit même où se trouvait justement un terroriste de 19 ans qui était destiné à entrer dans l’histoire. Il s’appelait Gavrilo Princip. Pour couronner le tout, la voiture de l’héritier ne fait pas que s’arrêter à cet endroit, elle avait aussi son côté droit face au terroriste, le côté sans garde sur le marchepied. L’héritier et sa femme n’avaient aucune protection.

Princip sort son revolver et tire deux coups sur le véhicule à l’arrêt. La première balle frappe Sofia, perçant la carrosserie de la voiture et le corset serré de la comtesse; la seconde frappe l’héritier du trône autrichien. Tous les deux sont tués. Trois enfants âgés de 10, 12 et 13 ans sont devenus orphelins. Gabrilo Princip et son complice tentent de s’enfuir, mais les deux sont rapidement pris et sévèrement battus. Ils sont battus à coups de poings et de pieds et ont même reçu quelques blessures à l’épée, de sorte que Princip a dû être amputé du bras en garde à vue. Une enquête est lancée presque immédiatement. La question à laquelle il fallait répondre à l’époque était de savoir qui avait organisé l’attentat. Voici la partie étrange – après avoir fait preuve d’une négligence suspecte dans la protection de Franz Ferdinand, le département de la justice austro-hongrois montre une agilité olympique dans la résolution du crime. L’enquête prend un rythme effréné. Immédiatement après, une vague d’arrestations est effectuée et une image claire du crime apparait.

Gavrila Princip a déclaré avoir tiré sur l’Archiduc parce que ce dernier était à ses yeux “l’incarnation de l’impérialisme autrichien, représentant d’une grande idée autrichienne, pire ennemi et oppresseur de la nation serbe”. Après une série d’interrogatoires, le crime est pleinement élucidé ; Franz Ferdinand a été tué par des Serbes – des étudiants de l’Université de Belgrade et des membres de «Mlada Bosna» (Jeune Bosnie) venus spécialement de Serbie à cet effet. L’organisation est apparue pour la première fois en 1912 avec pour objectif de libérer la Serbie du joug autrichien et de créer un État serbe indépendant unifié avec les provinces qui étaient alors occupées par l’Autriche. Derrière cette organisation terroriste, un groupe secret de nationalistes serbes appelé «la Main noire» a pris forme sous la direction d’un colonel nommé Apis …

Mais ce jour étrangement tragique donne des raisons de soupçonner que des acteurs austro-hongrois ont été impliqués dans la mort de l’Archiduc. En fait, beaucoup dans le double empire étaient mécontents de la politique possible du futur empereur. Marié à une Tchèque, Franz Ferdinand nourrissait une grande sympathie pour les Slaves à l’intérieur et à l’extérieur de l’empire. Il croyait que la monarchie serait renforcée en donnant des droits aux Slaves qui les rendraient égaux aux citoyens allemands et hongrois de l’empire. A Budapest et à Vienne même, de telles idées déplaisaient à beaucoup de politiciens. En fait, les régions slaves de l’empire comprenaient un territoire administré par la monarchie hongroise, et si le plan de Franz Ferdinand se concrétisait, les Slaves dans ces régions recevraient leur autonomie. Peut-être cela explique-t-il l’étrange comportement des services de sécurité autrichiens.

Mais la simplicité et l’évidence du regrettable meurtre de l’Archiduc et de sa femme sont très trompeuses. Il n’a jamais traversé l’esprit des dirigeants austro-hongrois que la simplicité et l’évidence des éléments de l’enquête aient été rassemblées par les conspirateurs ! En divulguant les détails du crime, la police autrichienne a pu montrer … qu’elle l’avait organisé !

Ceux qui se trouvaient derrière les 18 assassins avaient besoin de plus que la mort de Franz Ferdinand lui-même. Pour que les enquêteurs autrichiens parviennent à ceux qui étaient les véritables responsables, il fallait qu’ils capturent les assassins vivants. Par conséquent, tous les participants ont été dotés de capsules de poison!

Voyant qu’ils seraient incapables de s’échapper, Nedeljko Gabrynowicz et Gavril Princip ont tous deux pris leur poison. Mais ça n’a pas marché, sur aucun des terroristes! Ce hasard, simple au premier abord, est un maillon essentiel dans l’enchaînement des événements tragiques ultérieurs! La prévoyance des conspirateurs est frappante: fournir aux assassins du poison «sûr» et le temps suffisant pour tirer. La foule et la proximité des gardes de l’Archiduc, à la seconde occasion, ne laissèrent pas aux assassins le temps de se suicider et ils tombèrent entre les mains de la justice autrichienne.

C’était sur les mots mêmes des terroristes que les conclusions de toute l’enquête étaient fondées ! Si la police s’était retrouvée avec deux cadavres plutôt qu’avec deux terroristes en parfait état, l’enquête serait restée au point mort. Mais, grâce à l’étrange poison, les enquêteurs ont eu, pas seulement un fil, mais une corde entière, avec laquelle éclaircir le mystère. Qui a donné le poison aux assassins ? Quiconque avait intérêt à ce que les Autrichiens trouvent rapidement les suspects et dirigent leur colère contre la Serbie. Les Serbes eux-mêmes n’avaient aucun intérêt à ce que la police mette la main sur les terroristes en vie – cela ne pouvait que nuire à la réputation des dirigeants serbes. Tout ce que les services secrets autrichiens avaient à faire, c’était de mal protéger les dignitaires et quelques «négligences» dans la sécurité au bon moment. C’était la seule contribution qui était attendue d’eux. Mais ce n’est que la pointe de l’iceberg. Les membres de Mlada Bosna ont clairement reçu le poison d’une organisation différente …

On peut faire des suppositions sur les vrais organisateurs de l’assassinat de l’héritier autrichien en comparant les faits suivants:

– celui qui a dirigé l’intrigue vers des conclusions rapides et évidentes n’était pas seulement intéressé par la mort de l’Archiduc, mais voulait aussi clairement utiliser la situation comme excuse pour provoquer le conflit;

Ceux qui ont donné aux terroristes un poison ‘sûr’ ont servi de prétexte à quelque chose de plus qu’une guerre austro-serbe.

Et ce ne sont pas les Serbes, ni les Autrichiens! La décision de Vienne de punir la Serbie pour ses activités malveillantes a conduit au déclenchement de la Première Guerre Mondiale. Mais posons-nous une simple question: les organisateurs serbes de la mort de Franz Ferdinand auraient-ils voulu quelque chose de plus grand? Cherchaient-ils une guerre énorme et sanglante qui prendrait la vie de millions de personnes ? Voulaient-ils un conflit à CETTE ÉCHELLE en créant chez les Autrichiens une juste colère ? Il était dans l’intérêt des nationalistes serbes et de certains politiciens hongrois de limiter l’affaire à la mort de l’Archiduc, en tant qu’individu. Ni les Serbes ni les Autrichiens n’avaient besoin d’une guerre majeure. La Serbie voulait semer la discorde dans l’Empire austro-hongrois – et non pas le combattre. D’autres combats allaient sûrement éclater. Ayant initialement fourni une résistance décente aux forces autrichiennes, en 1915, les Serbes ont été mis en déroute. Leur armée embarquée sur les navires de l’Entente alliés fut évacuée en Grèce, laissant leur pays occupé par leur adversaire. En conséquence, le taux de pertes parmi les unités serbes était le plus élevé parmi tous les pays belligérants! L’Autriche-Hongrie a utilisé l’assassinat comme une excuse pour sévir contre la Serbie rétive et, après cette petite campagne victorieuse, à la fin de la guerre, l’empire a cessé d’exister, divisé en plusieurs États,

Ce n’est pas une coïncidence si Sir Edward Gray, ancien ministre britannique des Affaires étrangères, a écrit dans ses mémoires: «Le monde ne connaîtra probablement jamais toute la vérité de l’assassinat de Franz Ferdinand. Il semble que nous n’aurons jamais une seule personne qui puisse savoir tout ce qu’il y a à savoir sur ce meurtre”. De quel secret parlait le chef de la politique étrangère britannique? Une enquête a rapidement et facilement nommé les auteurs. Mais le Foreign Office britannique disait quelque chose de tout à fait différent: un mois après l’assassinat de l’Archiduc, la Première Guerre Mondiale commençait, une guerre dans laquelle des dizaines de millions de personnes périraient. Comment cela s’est passé? Encore personne ne peut l’expliquer. Dans le prochain chapitre, nous essaierons de comprendre qui avait besoin d’une guerre d’une ampleur sans précédent?

Source : https://orientalreview.org/2010/06/22/episode-3-assassination-in-sarajevo-i/

Traduction : Avic – Réseau International

https://reseauinternational.net/leurope-dune-guerre-a-lautre-iii-1-lassassinat-de-sarajevo/

Les commentaires sont fermés.