Ne jamais faire une alliance avec la Grande Bretagne (et son prolongement, les Etats-Unis), telle devrait être la maxime de tout dirigeant sensé dans le monde. L’Angleterre (ou les Etats-Unis) ne noue pas des alliances pour être plus fort en cas de guerre, mais pour lier l’allié et s’assurer que ce dernier ira jusqu’au bout dans le combat dans lequel il est engagé qui, en fait, poursuit des buts qu’il ne soupçonne même pas et dont il sera une victime au même titre que l’ennemi à abattre. En d’autres termes, l’Angleterre (ou les Etats-Unis) n’a jamais eu d’alliés, encore moins d’amis. Elle a toujours utilisé l’allié et l’ennemi comme des outils. L’Histoire le démontre amplement. RI
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Par Nikolay STARIKOV – Oriental Review
Pour évaluer correctement qui serait le bénéficiaire de l’assassinat de l’archiduc Franz Ferdinand, il suffit de regarder les résultats de la Première Guerre Mondiale. Il a détruit les deux principaux concurrents de la Grande-Bretagne – la Russie et l’Allemagne [NDT : et affaibli la France]. Convaincu que la Russie n’avait pas été écrasée pendant la guerre russo-japonaise et la révolution soigneusement planifiée, Londres a commencé à préparer un nouveau projet, beaucoup plus ambitieux, dont les objectifs étaient impressionnants et grandioses.
Le métal ne peut être fondu qu’à des températures très élevées. De même, la carte politique de l’époque ne pouvait être remaniée que par une grande guerre européenne. Ce n’est que dans ses cendres que les frontières des pays, et même des peuples, peuvent être modifiées de façon méconnaissable. Pour anéantir la Russie, les Britanniques n’avaient pas seulement besoin d’une guerre – une guerre mondiale ne pouvait que détruire le gouvernement russe détesté. Pour abattre l’Allemagne, où il n’y avait pas un soupçon d’esprit révolutionnaire, une guerre d’une force sans précédent serait nécessaire. Seule une catastrophe totale pourrait pousser les bourgeois allemands à mépriser leur bien-aimé Kaiser.
Le but principal du plan anglais était la destruction de la Russie, et ensuite l’Allemagne. Pour notre ennemi séculaire, l’Angleterre, la politique s’est construite autour d’un objectif principal: empêcher la création d’une puissante puissance continentale ou, pire encore, d’un puissant bloc de puissances. Une Union russo-allemande – c’était le pire cauchemar des Anglais. A cette fin, la tâche politique principale des Britanniques s’est graduellement divisée en deux tâches séquentielles: empêcher l’alliance russo-allemande et les forcer à se battre à mort les uns contre les autres. Mais ce n’était pas si facile. Au début du 20ème siècle, il n’y avait aucun différend entre la Russie et l’Allemagne qui puisse créer des motifs de conflit. Les deux pays étaient dirigés par des cousins royaux – Nicholas et Wilhelm, qui entretenaient de bonnes relations entre eux. Alors pourquoi ont-ils soudain commencé à se battre? Pour ceux d’entre nous qui sont nés à la fin du 20ème siècle – c’était l’Allemagne, l’agresseur arrogant qui, deux fois en 100 ans, a amené la Russie au seuil de la mort. La vision d’un Russe d’avant la Première Guerre Mondiale était cependant totalement différente. L’Allemagne pour leur pays était un régime traditionnellement amical contre lequel la Russie n’avait pas combattu depuis les guerres napoléoniennes 100 ans plus tôt exactement. Il fallait un événement important, une sorte de circonstance qui permette aux deux pays d’oublier leur longue amitié. Par conséquent, provoquer un conflit russo-allemand était devenu l’objectif principal de la politique britannique. La France avait aussi longtemps cherché ce résultat dans le cadre de sa propre politique étrangère. La France ne pouvait récupérer l’Alsace et la Lorraine que par la guerre, et la France ne pouvait à elle seule vaincre l’Allemagne. Qui d’autre pourrait se battre pour la «noble cause» du retour du territoire français au sein de la patrie, puis s’effondrer et tomber en morceaux? La Russie, bien sûr!
Le meurtre de l’héritier autrichien n’était que le dernier maillon, la dernière brique des plans d’incitation à la conflagration mondiale. Le travail avait été colossal et méticuleux, commençant aussitôt après la guerre russo-turque, et avait duré près de dix ans. Une fois les protagonistes créés et positionnés, les préparatifs suivraient et iraient à leur terme de façon logique, déclenchant le lancement d’une guerre future, une véritable guerre mondiale. Et quel meilleur endroit pour commencer que les Balkans, avec son jeu centenaire d’intrigues politiques, de conspirations et de guerres? La mort de l’infortuné archiduc serait un événement qui pourrait provoquer une guerre. Et ça a été le cas – à peine plus d’un mois après que Gavrilo Princip ait tiré ses coups de feu, l’Allemagne déclarait la guerre à la Russie!
La boucle est bouclée: l’Angleterre conclut une alliance avec la Russie afin d’empêcher notre rapprochement avec l’Allemagne, pour organiser une guerre terrible et détruire les deux rivaux!
Ce sont les services secrets britanniques (et français) qui ont été à l’origine de l’assassinat de Franz Ferdinand:
– Il était dans l’intérêt de la Grande-Bretagne que, grâce à une enquête rapide sur le meurtre, il apparaisse une piste claire de preuves menant à la Serbie;
– Il était dans l’intérêt de la Grande-Bretagne de fomenter le conflit entre les Serbes et les Autrichiens;
– Il était dans l’intérêt de la Grande-Bretagne que la Russie (alliée de la Serbie) et l’Allemagne (alliée de l’Autriche-Hongrie) entrent en guerre.
Selon le plan britannique, à la suite de la guerre et du déclenchement de la révolution, la Russie était censée perdre toutes ses frontières nationales pour devenir une république faible et se retrouver complètement dépendante de ses «bienfaiteurs». Le même triste sort attendait l’Allemagne. Le tir fatal de Gavril Princip fut le signal de départ de tous ces malheurs …
Cependant, un autre problème s’est posé lors de la préparation de la confrontation russo-allemande. Le gouvernement tsariste jugeait encore ses propres forces armées comme modestes et n’avait jamais pensé qu’il serait mêlé à une guerre contre l’Allemagne et son allié l’Autriche-Hongrie, c’est-à-dire avec deux superpuissances en même temps !
Par conséquent, pour impliquer la Russie dans l’horrible guerre, il fallait qu’elle soit persuadée qu’elle avait des «alliés loyaux» qui ne laisseraient pas le Tsar dans une impasse. C’est le même scénario qui nous avait entraînés dans une guerre contre le Japon [NDT : le même qu’on a tenté de faire jouer à la Turquie récemment contre la Russie], mais à plus grande échelle – rassurer le gouvernement tsariste et le laisser seul avec l’ennemi au moment d’un réel danger. Les événements d’avant-guerre ont commencé à se transformer en ce scénario précis. L’Angleterre, notre ennemi le plus implacable, changea radicalement de position et devint notre «allié». A la Convention anglo-russe de 1907, Saint-Pétersbourg rejoignit l’alliance anglo-française, «l’Entente» (tirant son nom de l’Entente cordiale en Français). Les Fils d’Albion, qui avaient si souvent fait bouillir le sang des diplomates russes, qui avaient provoqué tant de guerres pour affaiblir notre pays, sont devenus nos «alliés». On aurait dû être très prudent. Cependant, Nicolas II y crut et paya chèrement pour cela.
L’Angleterre avait rassemblé toute sa force pour préparer et nourrir le futur conflit. Et derrière cela se profilait la silhouette d’un autre futur «allié». Les États-Unis, après avoir généreusement financé l’agression japonaise et la révolution russe, ne se reposaient pas sur leurs lauriers et s’étaient également lancés dans l’arène. Avec l’arrivée de l’Amérique, tout l’équilibre mondial des forces pouvait radicalement changer. Auparavant, c’était le chien britannique qui remuait sa queue américaine, maintenant c’était la queue qui commençait à remuer le chien.
Se peut-il que ceux qui ont manigancé la Première Guerre Mondiale n’aient pas compris quel serait le fruit de leur labeur? Pourquoi nos «alliés» se sont-ils lancés avec autant d’ardeur dans ce conflit ? La réponse est simple: aucun État démocratique n’a été détruit par la Première Guerre Mondiale. De par leur nature, les États dotés de systèmes démocratiques ont une structure plus stable que les monarchies. En cette période de cataclysme mondial, un nouveau parti prend le pouvoir, un autre gouvernement ou un nouveau dirigeant, mais jamais une révolution ou une explosion sociale majeure. Les monarchies n’ont pas un si beau paratonnerre contre le mécontentement populaire – un simple changement de décor politique. Quels que soient les changements que fera le Tsar ou le Kaiser parmi les gouvernants pendant la période de guerre, il est toujours le responsable du pays. Et la haine sera dirigée non seulement contre un individu – mais contre la monarchie elle-même. Changer de Tsar est beaucoup plus difficile que de remplacer un Premier ministre. Par conséquent, parce qu’une monarchie ne peut pas changer de chef d’Etat, le peuple se lèvera pour changer la forme même du gouvernement. Et la révolution en temps de guerre conduira inévitablement à la défaite.
C’est cette stabilité frappante du régime démocratique au cours de diverses crises qui a donné à ces gouvernements la détermination organisationnelle de susciter un conflit mondial pour détruire leurs concurrents monarchiques. Pour cette raison, la Grande-Bretagne, la France et les Etats-Unis ont plongé tête baissée dans la confrontation et l’ont animée de toutes leurs forces. Il suffit de regarder le résultat de la Première Guerre Mondiale: les États-Unis n’ont rien perdu et ont gagné un paquet d’argent grâce à des contrats militaires de plus en plus importants. L’Angleterre a détruit ses rivaux dangereux la Russie et l’Allemagne et est sorti de la guerre légèrement affaiblie. Néanmoins, comparée à tous les autres pays belligérants, elle en sort comme une oasis de prospérité. De tous les bellicistes, c’est la France qui a le plus trinqué. La guerre avait ravagé son territoire causant de grandes pertes humaines et économiques. Et pourtant les Français avaient quand même atteint leur but – une inversion du cours de la guerre franco-prussienne et le retour des provinces perdues ! L’ennemi juré de Paris, l’Allemagne, était complètement vaincu et roulé dans la poussière, et les lourdes pertes de l’armée française n’étaient rien de plus que le prix à payer pour éliminer un voisin dangereux.
La vérité sur l’équipe de l’assassinat de Sarajevo était déjà connue. Dans chaque pièce, chaque acteur a un rôle bien défini: entrer dans la scène, dire son texte et faire ses gestes. Puis vient le temps de passer derrière le rideau. Ainsi, les principaux témoins et acteurs du drame du meurtre de Franz Ferdinand sont tous tombés dans l’oubli. Nedeljko Gabrynowicz a été le premier à quitter ce monde. Gavril Princip l’a tranquillement suivit le 1er mai 1918, succombant à la tuberculose en prison comme sa cohorte. Ils avaient terminé leur rôle de jeunes terroristes de deux manières: tuer l’Archiduc et mettre les Autrichiens sur la bonne voie. Ils ont joué selon le script préparé par les organisateurs militaires et politiques de l’assassinat. Le colonel Apis Dmitrievich, chef de l’organisation des nationalistes serbes, “the Black Hand”, a combattu honorablement sur le front de la guerre qu’ils avaient provoquée quatre ans plus tôt, avant d’être arrêté soudain sur les ordres de son propre gouvernement. L’important organisateur en coulisses était maintenant un témoin inutile: le tribunal militaire jugea en Cour Martiale le chef du renseignement de l’état-major serbe et le condamna immédiatement au peloton d’exécution.
L’organisateur «politique» de l’assassinat de Sarajevo, Vladimir Gachinovitch, est également mort dans des circonstances mystérieuses. Il était à la fois membre des trois organisations soupçonnées du crime: Young Bosnia, Civil Defence et Black Hand. Il était également l’idéologue en chef et le membre le plus influent de Mlada Bosna, qui a perpétré l’acte terroriste. Ce fut Gachinovitch qui donna ses contacts dans ces organisations aux révolutionnaires russes, qui à leur tour les utilisèrent pour saisir l’occasion de monter une révolution. Parmi ses amis il y avait le socialiste Natanson et les sociaux-démocrates Martov, Lunacharsky, Radek et Trotsky. Ce dernier lui a même fait des éloges après sa mort, car, en août 1917, le jeune et costaud Vladimir Gachinovitch tomba subitement malade. C’était une maladie tellement incompréhensible et mystérieuse que les médecins suisses l’ont opéré deux fois (!) sans rien trouver. Gachinovich mourut un peu plus tard le même mois …
La première balle frappa l’Archiduchesse dans la poitrine. Elle n’eut que le temps de soupirer et retomba instantanément sur son siège.
“La robe … la robe …” avait-elle murmuré en regardant la tache rouge étalée sur la soie blanche.
Mais ce n’était pas son sang. La deuxième balle s’était logée dans la colonne vertébrale de son mari, passant à travers le col de son uniforme, frappant une artère dans le cou. L’héritier du trône autrichien agrippa son cou, mais le sang continuait de jaillir de ses doigts, trempant la robe blanche de sa femme et son élégant uniforme bleu en quelques secondes.
“Sophie, Sophie, ne mourez pas! Restez en vie pour nos enfants ! ” gargouilla Franz Ferdinand en se tournant vers sa femme. Elle était déjà incapable d’entendre ses paroles, étant morte presque instantanément. Au même moment, une nouvelle partie de son sang coulait sur les mains du général Potiorek, qui tentait d’aider l’Archiduc. L’entourage de l’héritier a couru jusqu’à la voiture.
“Son cou, tiens son cou!” Cria quelqu’un avec hystérie. Non loin de là, un photographe s’est enfuit, après avoir capturé presque chaque moment de la fusillade. Les doigts de quelqu’un tentèrent de fermer la plaie de Franz Ferdinand, mais le sang continuait de couler à flot. Comprimer l’artère carotide, même dans un environnement calme, n’est pas une tâche facile, mais le col de son uniforme gênait aussi. L’Archiduc portait son uniforme très serré et, avec son humour habituel, plaisantait par le passé: « Le tailleur doit coudre les vêtements directement sur le corps, sinon les boutons vont s’envoler ». En ce jour fatidique, ses assistants ont désespérément essayé de le défaire de son uniforme bleu taché de sang pour arrêter l’hémorragie. Personne n’avait de ciseaux.
C’est le général Potiorek qui, le premier, a recouvré ses sens.
“A l’hôpital, vite!” hurla-t-il au conducteur, le sortant de son état de choc. La voiture s’est mise en mouvement. Sur la banquette arrière, Franz Ferdinand était en train de mourir dans les bras de deux aides qui luttaient en vain pour faire pression sur la blessure. L’Archiduc a continué à respirer pendant 15 minutes après avoir perdu conscience. Il est mort un peu plus tard dans la voiture à côté de sa femme, dont la robe blanche était trempée du sang des deux époux.
Un mois plus tard, ce sang remplirait toute l’Europe …
Traduction du Russe par ORIENTAL REVIEW
Source : https://orientalreview.org/2010/07/22/episode-3-assassination-in-sarajevo-ii/
Traduction : Avic – Réseau International
https://reseauinternational.net/leurope-dune-guerre-a-lautre-iii-2-lassassinat-de-sarajevo/