Au XIe siècle, en Espagne, le califat omeyyade entre dans une phase de “décomposition”. En 1031, il n’y a plus de calife, et al-Andalus éclate en une multitude de petits États appelés taifas, sur des bases ethniques. La reconquête s’accélère pour les États chrétiens du Nord. En 1086, l’année qui suit la prise de Tolède, les rois des taifas appellent à l’aide les Berbères almoravides qui venaient de fonder un empire en Afrique du Nord. L’émir Yûsuf ibn Tashfin stoppe alors la reconquête en écrasant l’armée chrétienne à Sagrajas (1086) avant de rembarquer pour le Maroc.
Les chrétiens parviennent néanmoins à rétablir la situation et l’expansion chrétienne reprend. En Afrique du Nord, la puissance almoravide s’effondre, remplacée par les Almohades. Ceux-ci débarquent en Espagne et s’opposent aux chrétiens, avec sur le plan militaire des hauts et des bas. En 1195 survient le désastre d’Alarcos pour les chrétiens, un traumatisme en Occident car survenant peu après la reprise de Jérusalem par les musulmans en Orient (1187). Les chrétiens sont repoussés jusqu’au Tage.
En 1199, le nouveau calife almohade, Muhammad an-Nasîr, souhaite en découdre avec les États chrétiens du Nord de la péninsule. Le calife est appelé chez les chrétiens le « Miramamolin » (déformation du titre al-Amîr al-Mu’Minin, « émir des croyants »). La puissance militaire de l’empire almohade est alors à son sommet et l’effroi se fait sentir jusque dans le Midi de la France : « à nous sont la Provence et le Toulousain, / jusqu’au Puy tout ce qui est au milieu ! » diraient les Sarrasins selon le troubadour Gévaudan. La trêve entre les Almohades et le royaume de Castille est rompue au milieu de l’année 1210.
I. Vers la bataille
Au milieu de l’année de l’année 1210, an-Nâsir décide de lancer une grande offensive contre la Castille pour abattre son plus redoutable ennemi. An-Nâsir proclame le djihad, traverse le détroit de Gibraltar avec une grande armée puis assiège la forteresse de Salvatierra. Mais les défenseurs de Salvatierra se défendent bien, au moment où Alphonse VIII de Castille ne peut pas riposter.
Lorsque Salvatierra chute, Alphonse VIII décide de rassembler l’ensemble de ses forces pour livrer une bataille rangée. Il envoie également des émissaires auprès des rois espagnols, du roi de France et du pape. Quelques troubadours deviennent les propagandistes de la cause castillane. Innocent III déclare la croisade et des prières pour la victoire s’organisent en France et à Rome. Un peu partout on s’enrôle pour partir combattre les Almohades.
Les croisés se regroupent à Tolède fin mai 1212. Parmi ces troupes, on retrouve le chef spirituel de la croisade contre les Albigeois, l’archevêque Arnaud Amaury de Narbonne. Les sources donnent un chiffre de 40.000 fantassins et 10.000 cavaliers. Le roi d’Aragon est venu accompagné de ses chevaliers, les rois du Léon et du Portugal ont envoyé des contingents. L’armée almohade se concentre à Séville. Elle se compose de Berbères, d’Arabes, de Turcs, de Noirs et d’un certain nombre de volontaires.
L’armée croisée progresse à la vitesse moyenne de 15 kilomètres par jour. Une chaleur étouffante accable les hommes et de ce fait un certain nombre de croisés désertent. Deux forteresses musulmanes sont prises : Malagon et Calatrava. De son côté, le calife avance jusqu’à la Sierra Morena et adopte une stratégie défensive. Les chrétiens avancent vers l’armée musulmane, tandis que le roi de Navarre Sanche VII arrive au dernier moment avec 200 chevaliers.
Le 14 juillet, les croisés établissent leur camp sur un haut plateau du versant sud de la sierra. An-Nâsir, qui ne les attendait pas là, essaie de les y expulser en provoquant immédiatement la bataille.
II. La bataille de Las Navas de Tolosa
Le lundi 16 juillet, l’armée croisée se range en ordre de bataille. « Jamais tant et telles armes de fer n’avaient été vues en Espagne » rapporte la Chronique latine des rois de Castille. Les chrétiens sont 10.000 à 14.000. Les Castillonais sont placés au centre, les Catalans et Aragonais à droite, les Navarrais à droite. Les autres croisés se sont placés dans les rangs castillans.
Face à eux, An-Nâsir aligne 20.000 à 25.000 hommes. Dans l’avant-garde et sur les flancs, des cavaliers turcs, berbères et arabes ; derrière la foule des volontaires pauvrement armée ; au centre et à l’arrière Almohades et Andalous avec une cavalerie lourde. Derrière l’armée musulmane, une enceinte fortifiée sur une colline.
La bataille débute par l’attaque des avant-gardes chrétiennes contre les cavaliers musulmans ; ceux-ci ripostent par une attaque rapide et un volte-face. Les croisés chargent alors les volontaires et les massacrent. Ils poursuivent l’effort mais se heurtent au centre de l’armée almohade. C’est à ce moment qu’arrivent les deuxièmes corps chrétiens. Les Almohades tentent sans succès d’attaquer les flancs des croisés pour les encercler.
An-Nâsir ordonne alors à son arrière-garde de partir au combat. Les croisés, exténués et ayant subi des pertes, supportent mal ce nouvel assaut. Les pertes sont nombreuses chez les chrétiens ; parmi les morts, le maître du Temple, le maître de Saint-Jacques et l’évêque de Burgos. Voyant le moment décisif arriver, les rois chrétiens chargent alors avec leurs troupes encore intactes. Les rangs musulmans s’effondrent. C’est une débandade.
Les chevaliers avancent vers la forteresse sur la colline. Les défenseurs luttent courageusement tandis que le calife abandonne le camp et part en direction de Séville. Finalement, les croisés pénètrent l’enceinte fortifiée du fort par plusieurs côtés. La bataille est terminée. Les musulmans continuent à fuir jusqu’à la nuit.
Les pertes sont mal connues : probablement quelques milliers de combattants pour les croisés, au moins 10.000 pour l’armée almohade.
III. Le début de la fin de la Reconquista
L’armée croisée mène dans les jours qui suivent des opérations militaires dans la région (prise des forteresses de Ferras, Navas de Tolosa, Vilches, Banos de la Encina ; capture de la ville abandonnée de Baeza ; capture de la ville d’Ubeda). Touchée par la dysenterie, l’armée chrétienne se retire fin juillet. A Calatrava, les rois rencontrent le duc Léopold VI d’Autriche, arrivé trop tard pour la bataille ! Les vainqueurs parviennent à Tolède où est organisée une grande cérémonie religieuse et populaire.
La bataille a un grand retentissement. « En Espagne, jamais il n’y eut une bataille comme celle-là » écrit l’évêque Luc de Tuy. Le 11 août 1212, l’archevêque de Narbonne Arnaud Amaury déclare au chapitre de l’ordre de Cîteaux : « Nous vous annonçons une nouvelle de grande joie, parce que Miramamolin, roi de Maroc, qui, selon ce que nous avons entendu de beaucoup, avait déclaré la guerre à tous ceux qui adoraient la Croix, a été vaincu et mis en fuite en bataille rangée par les adorateurs de la Croix. »
Sur le long terme, la bataille prépara la reconquête de l’Andalousie avec le passage de la Sierra Morena sous contrôle chrétien. Les Almohades se virent largement affaiblis militairement. La défaite atterra les musulmans tandis que les chrétiens virent dans leur victoire le « jugement de Dieu ».
Sources :
ALBANEL Laurent, GOUZY, Nicolas (dir.), Les grandes batailles méridionales (1209-1271), Toulouse, Privat, 2005.
MENJOT Denis, Les Espagnes médiévales. 409-1474, Paris, Hachette, 1996.
https://www.fdesouche.com/2012/07/16/la-bataille-de-las-navas-de-tolosa-16-juillet-1212/