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L’ambiguïté menaçante de la construction européenne (article de 2002) 1/4

Intervention de Philippe Bourcier de Carbon - Forum d’Action pour une Confédération Paneuropéenne.

Messieurs les Ambassadeurs, mesdames et messieurs, je voudrais remercier les organisateurs de cette conférence de m’avoir invité à intervenir au cours de ce forum pour apporter un bref, mais sans doute important, éclairage complémentaire à ce qui vient d’être dit, ainsi qu’à vos débats de tout à l’heure. Je voudrais en effet vous apporter, en quelques minutes, le regard du démographe pour souligner quelques aspects trop méconnus, en tout cas de nos opinions publiques, des dérives de la construction européenne actuelle, que l’on peut qualifier, selon le titre que je veux donner à mon intervention d’ambiguïtés menaçantes de la construction européenne actuelle.

Pour vous apporter en très peu de temps quelques points de repères majeurs, en sachant que de bons graphiques sont plus évocateurs que de longs discours, mon intervention consistera à vous présenter une série de graphiques, dont les sources sont toutes officielles (ONU, EuroStat, INSEE…), et que je commenterai brièvement devant vous. Je commencerai en soulignant qu’au moment même où nous parlons, le Conseil Européen se réunit à Nice pour préparer une nouvelle étape géopolitiquement cruciale : Il s’agit surtout de tenter de dégager de nouvelles règles de fonctionnement de l’Union Européenne qui puissent rester efficaces dans la perspective de sa prochaine extension géographique à de nouveaux et nombreux membres.

L’Union Européenne de 377 millions d’habitants, qui fonctionne aujourd’hui avec 15 États membres, a décidé en effet d’accueillir, dans un proche avenir, 12 ou 13 nouveaux États membres : D’abord, la Pologne, la République Tchèque, la Hongrie, Malte et Chypre, soit 5 nouveaux États membres, portant l’Union Européenne à 20 États membres en accueillant une population supplémentaire de près de 61 millions de personnes, l’Union comptant alors 438 millions d’habitants (selon la population actuelle). Puis, la Slovénie, la Slovaquie, la Roumanie et la Bulgarie, soit 4 nouveaux États membres, portant alors l’Union Européenne à 24 États membres en accueillant une population supplémentaire de plus de 38 millions de personnes, l’Union comptant alors 476 millions d’habitants (selon la population actuelle). Puis, les trois États Baltes : la Lituanie, l’Estonie et la Lettonie - ce qui prépare de grandes difficultés avec la Fédération de Russie – en portant alors l’Union Européenne à 27 États membres et en accueillant plus de 7,5 millions de personnes, l’Union comptant alors près de 484 millions d’habitants (selon la population actuelle). Enfin la Turquie, portant alors l’Union Européenne à 28 États membres en accueillant plus de 66 millions de personnes supplémentaires, l’Union comptant alors près de 550 millions d’habitants (selon la population actuelle).

Cette Union Européenne, qui sera passée en quelques années de 15 à 28 États membres (presque un doublement) et de 377 à 550 millions d’habitants (173 millions d’habitants supplémentaires, soit un gonflement de 46%) aura alors porté ses frontières jusqu’à la Fédération de Russie, jusqu’à l’Ukraine et la Moldavie, jusqu’à la Géorgie, l’Arménie, l’Iran, l’Irak et la Syrie, en devant gérer toutes les nouvelles et turbulentes minorités de ces nouveaux membres. Les étapes de cette mutation sont annoncées pour cette première décennie du siècle.

Sur le plan démographique la construction européenne apparaît ainsi tout à fait exaltante pour les opinions publiques. Rappelons en les étapes :

Aux 6 membres fondateurs des traités de Messine et de Rome qui comptaient environ 165 millions d’habitants en 1957, la Communauté Européenne a adjoint d’abord 3 nouveaux membres, soit 64 millions d’habitants supplémentaires, 16 ans plus tard en 1973, en accueillant le Royaume-Uni, l’Irlande et le Danemark. Puis, 8 ans plus tard, elle s’est incorporé son dixième membre, la Grèce, en 1981, soit 9 millions d’habitants supplémentaires. En 1986, 5 ans plus tard, elle est devenue l’Europe des 12, avec l’entrée de l’Espagne et du Portugal, accueillant 48 millions d’habitants supplémentaires. 5 ans plus tard, en 1991, la réunification de l’ex-RDA avec l’ex-RFA a apporté 16 millions d’habitants supplémentaires à l’Europe des 12. Enfin, elle s’est adjointe ses trois derniers États membres, l’Autriche, la Finlande et la Suède, qui lui apportaient encore 22 millions d’habitants, 4 ans plus tard en 1995, pour devenir l’Union Européenne d’aujourd’hui rassemblant 377 millions de personnes.

Ainsi cette construction géopolitique apparaît, surtout depuis 20 ans, introduire un nouvel acteur géant sur la scène politique mondial. Troisième entité géopolitique de la planète par sa population, face à la Chine de 1,3 milliards d’habitants, à l’Inde d’un milliard d’habitants, l’Union Européenne à 15 compte aujourd’hui près de 100 millions d’habitants de plus que les États-Unis (280 millions d’habitants), quatrième État du monde par la population, et près de deux fois plus d’habitants que la Fédération de Russie (146 millions d’habitants).

On pourrait ainsi penser qu’il ne suffirait plus que de doter ce nouveau géant démographique que constitue désormais l’Union Européenne, d’institutions capables de lui conférer une identité et une existence politique à la mesure de ses dimensions, pour en faire un nouvel acteur géant de la géopolitique mondiale.

La première zone d'implosion démographique du monde

Et pourtant, ce géant démographique n’est qu’une apparence : L’Europe et l’Union Européenne constituent en réalité désormais la première zone d’implosion démographique du monde.

En effet, en raison surtout de trente ans de sous-fécondité, c’est-à-dire de fécondité inférieure au niveau de remplacement des générations (soit 21 enfants mis au monde par dix femmes au cours de leur vie féconde), lors même que l’espérance de vie s’accroît passé l’âge de 50 ans, les pyramides des âges des populations européennes sont toutes en voie d’inversion avancée, les effectifs des jeunes gens, n’ayant pas encore atteints les âges de reproduction, en diminution constante devenant désormais de plus en plus inférieurs aux effectifs des seniors (personnes âgées d’au moins 50 ans, c’est-à-dire ayant dépassé les âges de reproduction).

Depuis les années 70 la fécondité et les naissances ce sont en effet effondrées dans l’Union, de telle sorte qu’alors que les 330 millions d’habitants que comptait l’Union à 15 en 1965 mettaient alors au jour 6 millions de nouveaux nés par an, les 377 millions d’aujourd’hui n’en mettent plus 4 millions au monde en l’an 2000, soit moins qu’aux États-Unis qui comptent pourtant près de 100 millions d’habitants de moins.

Il suit de ce retournement de la pyramide des âges de l’Union que les effectifs des décès annuels, en augmentation constante, rejoignent aujourd’hui les effectifs des naissances annuelles en diminution constante, et que de manière mécanique, le déficit annuel des naissances sur les décès ne va cesser de se creuser, en Europe comme dans l’Union, au cours de cette décennie.

À suivre

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