L’Empire carolingien en 814.
Période de renouveau de la culture et des études au haut Moyen Âge marquant pour certains historiens la véritable rupture entre l’antiquité et le Moyen Âge (les VIe, VIIe et VIIIe siècles étant considérés par ceux-ci comme des siècles d’une Antiquité tardive), la Renaissance carolingienne reste pourtant relativement méconnue.
Beaucoup oublient ainsi qu’une grande partie des écrits latins dont nous disposons aujourd’hui, tels ceux de Boèce, Virgile, Cicéron ou la Guerre des Gaules de Jules César, sont l’objet d’une volonté de préservation qui remonte aux premiers souverains carolingiens : Pépin le Bref, Charlemagne, Louis le Pieux. A Byzance et dans le monde arabe étaient surtout conservées des manuscrits grecs. Sans les souverains carolingiens, il est fort probable que nous aurions perdu presque tout de la culture latine.
I. Un contexte politique favorable
La Renaissance carolingienne et le renouveau culturel ne peuvent pas être compris sans connaître le contexte politique européen aux VIIIe et IXe siècles.
En 751, Pépin le Bref, maire du palais, renverse le dernier roi mérovingien Childéric III, lequel est tonsuré et enfermé au monastère de Saint-Bertin. Lorsque Pépin meurt en 768, il a deux fils : Charles et Carloman, qui se partagent les territoires de leur défunt père. En 771, Carloman trouve la mort, permettant à Charles de devenir l’unique roi des Francs. Le royaume des Francs est déjà très étendu et Charles va repousser encore les frontières grâce à une série de conquêtes sur les Lombards, les Saxons, les Frisons, les Avars, les Maures,… En 800, lorsque Charles devient empereur d’Occident sous le nom de Charlemagne, le couronnement impérial ne fait que consacrer un état de fait établi depuis longtemps.
L’Empereur est un personnage intelligent, connu pour sa grande taille, excellent chef de guerre, mais aussi esprit curieux et attiré par les arts et les sciences. C’est ainsi un amoureux de la poésie qui organise des joutes lyriques dans son Palais d’Aix-la-Chapelle (capitale de l’Empire) où il fait s’affronter les lettrés de sa Cour à travers des lectures, récitations et improvisations.
À l’Est, l’Empire byzantin revendique à lui seul l’héritage romain mais les protestations se borneront à de vaines paroles : l’impératrice Irène est contestée en Occident car ayant crevé les yeux de son fils Constantin VI, l’empêchant ainsi d’exercer le pouvoir. Néanmoins, Constantinople jouit d’un rayonnement culturel qu’admirent l’empereur et l’ensemble des lettrés d’Occident.
Charlemagne, conscient que la puissance politique n’est pas suffisante, sait qu’un Empire est puissant aussi par le prestige que peut lui apporter une floraison artistique, culturelle et intellectuelle. Il est aussi important de former des aristocrates cultivés capables d’administrer avec intelligence l’Empire. Charles attire ainsi à sa Cour des lettrés venus de tout l’Empire, pour des raisons d’efficacité et de grandeur.
● L’Empire carolingien est-il une résurrection de l’Empire romain d’Occident ?
Bien que le pape Léon III ait proclamé Charles « empereur des Romains » (« sérénissime Auguste, couronné par Dieu grand et pacifique empereur gouvernant l’Empire romain, par la miséricorde de Dieu, roi des Francs et des Lombards »), ce dernier ne se considère pas comme un successeur des empereurs romains et conteste même ce titre aux empereurs byzantins. Par ailleurs, comme la coutume franque le veut, il souhaite partager l’Empire entre ses fils (conception du royaume en tant que patrimoine). Cependant, il n’en reste plus qu’un de vivant en 814 à sa mort : Louis le Pieux. Parler de « royaume franc » pour la période qui s’étale de Clovis à Pépin le Bref est un abus de langage : il n’y a quasiment jamais eu de royaume franc mais des royaumes francs (Neustrie, Austrasie, Bourgogne, Aquitaine,…), parfois réunis (Dagobert, Clotaire II), souvent divisés.
Louis le Pieux (régnant de 814 à 840), en revanche, souhaite fonder un Empire destiné à rester uni et à perdurer et se montre en cela bien plus moderne que son père : il se rapproche d’ailleurs du modèle romain, rejetant les titres de “roi des Francs” et “roi des Lombards” pour ne garder que celui d’ “Empereur auguste”. En 817, Louis décide que la couronne impériale reviendra à Lothaire, l’aîné, ainsi que quasiment tout l’Empire. Les deux autres fils n’auront que la couronne d’Aquitaine et celle de Bavière en lot de consolation ; mais ces deux territoires resteront attachés à l’Empire en tant que provinces et non en tant que royaumes indépendants. Évidemment, cela suscite d’immenses jalousies et de là viennent les guerres entre les trois fils. Malgré l’immense soutien que les clercs apportent à Louis le Pieux durant son règne, enthousiasmés à l’idée que l’Empire romain d’Occident puisse renaître, l’Empire se fragmente à partir de la mort de l’Empereur en 840.
II. Une Cour de lettrés
Charlemagne fait venir à la Cour d’Aix-la-Chapelle un grand nombre de lettrés, pour la plupart originaires de contrées lointaines. Ainsi en est-il du Lombard Paul Diacre, né entre 720 et 730. Charles le rencontre en 782 alors qu’il envahit le royaume de Lombardie. Grand orateur et poète, il impressionne le roi des Francs et lui enseigne le latin. Il dit avoir su le grec, mais affirme par modestie ne plus le connaître : il aura cependant assez de connaissances pour l’enseigner au roi. Il rédige une Vie de saint Grégoire le Grand puis se tourne vers la culture profane avec une Histoire des Lombards, une Histoire romaine et surtout L’Art de Donat, un manuel destiné à mettre la grammaire latine à la portée de tous. Mais le personnage ne voit que les débuts de la Renaissance, il retourne en effet vers 787 dans son pays natal, l’Italie, où il décède avant 799.
Le rôle principal de la Renaissance est tenu par l’anglo-saxon Alcuin, né vers 730. En voyage vers Rome, il rencontre Charles en 781 à Parme. Il s’attache vite au futur empereur, qui devient son élève favori. Il lui enseigne la rhétorique, les mathématiques, l’astronomie. En 790, il regagne l’Angleterre et revient dans le royaume des Francs en 793 avec la vaste ambition de former une large élite intellectuelle : il entend vulgariser la connaissance aux clercs et aux laïcs. Il réhabilite le trivium regroupant trois disciplines ayant trait à l’écriture : grammaire, rhétorique et dialectique ; il écrit quatre traités sur ces matières. Il entretient de nombreuses correspondances avec l’élite de son temps, en rédigeant parfois en prose, parfois en vers. À sa mort en 804, il laisse à la Cour un élève prometteur : Eginhard.
Ce dernier est un Franc pur jus, « un homme barbare, à peine initié à la langue latine » affirme-t-il modestement au début de sa Vie de Charlemagne. Né vers 775, il est introduit vers 791-792 à la Cour de Charles pour y poursuivre sa formation, et devient son confident. Parlant grec et latin, il connaît bien Cicéron, Virgile, Homère, s’intéresse à l’étymologie grecque et à la poésie latine. Il est petit de taille et il est dit d’une grande intelligence (ce qui inspire un petit poème à Alcuin doit voici le début : « La porte est petite, et petit aussi l’habitant / Lecteur, ne méprise pas le petit nard contenu dans ce corps / Car le nard à la plante épineuse exhale un grand parfum / L’abeille porte pour toi en son petit corps un miel délicieux »). À la mort de Charlemagne en 814, Eginhard s’occupe de l’éducation de Lothaire, l’aîné de Louis le Pieux. Assistant aux luttes entre les fils de Louis, probablement écœuré, il se retire dans un monastère vers 830 où il rédige la célèbre Vie de Charlemagne (Vita Karoli) sur le modèle de La Vie des douze Césars de Suétone. Il meurt vers 840.
Ces trois grands noms ne doivent néanmoins pas faire oublier les autres grands noms de la Renaissance carolingienne : Théodulphe, Wisigoth réfugié d’Espagne ; Raban Maur, théologien ; le théologien et philosophe irlandais Jean Scot Erigène ou encore Nithard, auteur d’une Histoire des fils de Louis le Pieux.
III. Un gigantesque travail de copie et de traduction
L’effort gigantesque de copie impulsé par Charlemagne et les lettrés qui l’entourent permettent de sauver l’héritage antique en Occident, qui aurait sinon très probablement disparu. Les scriptoria (ateliers d’écriture et de copie) se multiplient. L’empereur lui-même dirige celui d’Aix-la-Chapelle. De nombreux ouvrages sont traduits du grec au latin, ou du latin en langue vulgaire (comme De rerum natura de Lucrèce). En 817, Louis le Pieux impose à tous les monastères d’Occident la règle bénédictine, qui propose un mode de vie autarcique équilibré entre prière, travail et repos ; travail qui comprend la copie et l’écriture.
Vers 770, afin de faciliter la copie et la lecture, les scriptoria engagent une réforme de l’écriture, laquelle aboutit à la naissance de la minuscule caroline. Déformée aux XIe et XIIe siècles, retrouvée au XIIe, de nouveau déformée au cours des deux siècles suivants, elle est définitivement reprise par les humanistes des XVe et XVIe siècles et donnera nos caractères d’imprimerie modernes. Un autre souci apparaît : la ponctuation, qui tend à disparaître dans les copies. Alcuin lui donne une grande importance, soulignant son rôle dans la lecture des textes, marquant une pause brève ou longue dans la pensée. Fait moins connu, il est créé un nouveau signe, promis à un grand avenir : le point d’interrogation ! Il est alors dessiné tantôt comme un trait horizontal ondulé, tantôt comme un point-virgule moderne à l’envers.
IV. Charlemagne, inventeur de l’école ?
La Renaissance carolingienne touche essentiellement les élites, et elle est parfois relativisée par les historiens en cela. Mais Charles se soucie aussi du petit peuple et entreprend une réforme visant à lui inculquer des bases, tant dans le domaine religieux que celui des connaissances profanes. En 789, dans l’Admonitio generalis, il demande aux prêtres d’enseigner aux fidèles la lecture et l’écriture. En 798, il exige que des écoles gratuites soient ouvertes pour les enfants de la paroisse. Malheureusement, les résultats sont plus que discutables : le clergé de base n’est guère plus instruit que le peuple.
V. L’affirmation des langues vernaculaires
C’est durant la période carolingienne que s’affirment les langues vulgaires. Au Palais, l’accent est mis sur l’enseignement du latin, parlé et écrit. Mais ce latin est un latin classique, celui de Virgile, très éloigné du latin parlé par le peuple. Le renouveau de la culture latine permet de consommer le divorce entre les deux formes de latin : le latin vulgaire évolue vers les parlers romans, eux-mêmes rapidement divisés en Gaule entre « langue d’oïl » au Nord de la Loire, et « langue d’oc » au Sud ; entre italien, catalan et langue germanique. Ces différentes langues aboutissent à des langues régionales ou nationales par lesquelles s’expriment des spécificités ethniques et culturelles.
Bibliographie :
FAVIER Jean, Charlemagne, Paris, Fayard, 1999.
BÜHRER-THIERRY Geneviève, L’Europe carolingienne (714-888), Paris, Armand Colin, 2001.
https://www.fdesouche.com/2014/05/18/desouche-ecole-histoire-la-renaissance-carolingienne/