L’historien et professeur des universités Éric Anceau se demandait, sur X, il y a quelques semaines, au moment de la colère des agriculteurs, pourquoi tant de Français faisaient montre de solidarité avec les agriculteurs et si peu avec les enseignants ? Peut-être pour cela. On plaint les pompiers en première ligne au feu, un peu moins quand ils sont pyromanes.
Déjà, dans mon collège, jadis, mon professeur de français qui ressemblait à Danielle Mitterrand nous faisait chanter Balavoine, qu'elle trouvait très poétique : « Ton étoile jaune, c’est ta peau, tu n’as pas le choiiiiiiaaa ! » (C’était la génération SOS Racisme). L'Aziza plutôt que La Princesse de Clèves, c'était son choix. J’avais dû aussi réciter par cœur sur l’estrade Le Déserteur, de Boris Vian. Mon père, médecin militaire, détestait et était furieux, mais il ne lui serait pas venu à l’esprit de menacer la prof. Évidemment. Le professeur d’histoire, qui ressemblait à Robert Hue, ne craignait nullement, lui non plus, de m’offenser, pas plus qu’il ne redoutait l’ire de mon père quand il parlait de torture-en-Algérie. Bien tranquille. En toute impunité. Il était un antimilitariste fanatique, faisait passer l'armée pour un ramassis de brutes sanguinaires. Mais ne redoutait pas d'être inquiété pour ses propos. Et il avait raison.
Une génération est passée, rien n’a changé. En première, mon fils a dû faire une fiche de lecteur sur Eldorado, de l’écrivain proche de LFI Laurent Gaudé : une ode aux migrants clandestins.
Bien sûr, il en va des profs comme des autres professions : ils ne sont pas tous à mettre dans le même sac. Citons, par exemple, Jean-François Chemain, ancien cadre dirigeant en entreprise, qui a passé l’agrégation d’histoire avec pour seule ambition de devenir prof de ZEP. En 2011, il a publié Kiffe La France (Via Romana). Il y décrit cette boîte pétrie du choc des civilisations qu’est une classe de collège de « quartier sensible ». Il y dénonce aussi les discours d’auto-dénigrement servis en classe par ses collègues venant encore renforcer un ciment identitaire explosif, nourri de « fierté exacerbée, de préjugés ressassés, de frustration collectivement confite ». Jean-François Chemain, lui, enseignait l’histoire « en vérité ». Un exemple parmi d’autres ? Le sujet des croisades, dont le seul mot générait dans sa classe une véritable fureur collective, entre ignorance, mauvaise foi et naïveté. Il leur explique, lui, l’affaire à sa façon :
« C’est comme si les Américains occupaient La Mecque et interdisaient aux musulmans de s’y rendre : vous feriez quoi ?
-Ben, on irait de force !
- C’est exactement ce qu’ont fait les chrétiens ! ça vous choque ?
- Pas du tout ! »
Et l’auteur de conclure : « Je suis persuadé qu’une bonne partie de la colère de la jeunesse qui pourrait bien se muer en irréparable violence prend sa source dans le refus d’épancher sa soif d’absolu. […] Alors nous n’avons plus aujourd’hui d’autre choix que de redécouvrir ces racines chrétiennes, […] que nous sommes en droit de proposer, parce que ce sont les nôtres et que nous sommes chez nous, et en devoir de le faire […] »
Car il met en garde : « À défaut, cette jeunesse, innombrable, avide de posséder ces biens matériels qui sont tout ce que nous avons désormais à lui proposer, gorgée de discours politico-religieux appelant à nous "punir", cette jeunesse, comme jadis les barbares, détruira notre civilisation. »
Mais les Jean-François Chemain ne sont pas légion. Depuis 2011, l’impéritie migratoire s’est encore aggravée, il est arrivé Samuel Paty et Dominique Bernard, et certains professeurs, pourtant, n’ont visiblement toujours rien compris.
Gabrielle Cluzel
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