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Intermittents du spectacle : profiteurs ou boucs-émissaires ?

Festival d'Avignon
 

Il y a deux choses que la droite libérale déteste tout particulièrement : la dépense publique et les « parasites » qui vivent de celle-ci, les « parasites » étant des individus qui gagnent très peu mais déjà beaucoup trop, selon elle, comparativement au travail qu’ils fournissent. Car la droite, on le sait, c’est l’amour du « secteur privé », gage de rigueur de gestion et d’efficacité économique. Et peu importe que les règnes de Jacques Chirac et Nicolas Sarkozy, les rapines des patrons voyous, les naufrages bancaires et les errements délirants des traders dilapidateurs de milliards démontrent le contraire, seul compte le mythe.

C’est donc ainsi, l’État dépense toujours trop, et toujours mal, forcément mal. Et il convient d’être précautionneux avec les deniers publics, tout le monde en conviendra. C’est pourquoi il est nécessaire, et même impérieux, de faire des économies, drastiques si possible. Mais comment ? En stoppant le déferlement d’aides à l’Ukraine ? Ah non, c’est compliqué, cela serait mal compris, c’est tout de même la démocratie dans le monde et le bon vouloir américain (ce qui est la même chose) qui sont en jeu. En bloquant l’immigration et les tombereaux d’aides sociales et de subventions qui l’accompagnent ? Non plus, vraiment, ce n’est pas le bon angle, c’est encore un sujet clivant, et puis nos amis du Medef ne sont pas d’accord. En luttant efficacement contre la fraude fiscale, en taxant le super-profits et les parachutes dorés, en contraignant les Gafam à payer des impôts dans les pays où ils font leurs profits ? Allons, voyons, soyons sérieux ! Vous pensez à l’attractivité du pays sur les marchés financiers et aux conclusions des agences internationales de notation ? Ne seriez-vous pas un peu bolchevique ?

Mettre au régime… le régime des intermittents

Alors, que faire ? Eh bien prendre un sujet qui n’intéresse (presque) personne à droite, et taper dessus. Un truc bien démago et consensuel : la Culture et ses « parasites », à savoir les « intermittents du spectacle » dont la remise en cause du « statut » est l’éternel marronnier des programmes électoraux de droite, à l’instar du « classement des meilleurs hôpitaux » pour les hebdomadaires en période estivale.

Qu’est-ce qu’un intermittent (dire « intermiteux » en ricanant dans les dîners en ville) du spectacle ? Pour Jean Droitard, c’est un gauchiste à dreadlocks qui vole quelques euros de ses impôts (qui pourraient tellement être mieux investis dans la rénovation du court de tennis de la longère en Vendée !) pour fumer des joints entre un spectacle de danse contemporaine et une démonstration de djembé à la MJC Nelson Mandela de Créteil.

Toute caricature se nourrit d’une part de réalité, certes, mais elle n’épuise pas celle-ci. Car l’« intermittent du spectacle » est aussi la cellule de base d’une « exception culturelle » française qui fait, par exemple, que le cinéma français reste le deuxième au monde, et que, par ailleurs, on peut encore vivre (ou en tout cas survivre) en choisissant des filières de métiers en effet « non rentables » du seul point de vue de la logique capitaliste. Doit-on s’en plaindre et en être accablés ?

Bien sûr, la qualité et l’orientation idéologique de la création culturelle actuelle, générée par un système il est vrai coûteux, peut légitimement être critiquée et contestée, et il ne faut d’ailleurs pas s’en priver au regard de tant de films subventionnés dont les scenarii ressemblent à de mauvais tracts de propagande pour Utopia 56 ou SOS Méditerranée. Mais réduire la production cinématographique nationale à ces exemples les plus grotesques est également simpliste et malhonnête. Les pouvoirs politiques se succèdent, les personnels changent et s’adaptent, les subventions publiques peuvent se réorienter, mais un modèle économique et industriel est très difficile à reconstruire une fois qu’on l’a cassé. Et, par ailleurs, certains enfants de la bonne droite préféraient, parfois, exceptionnellement, le théâtre, la poésie et l’école du cirque aux joies boutiquières des études de notariat ou de droit des sociétés, le panorama idéologique de ce milieu culturel exécré serait également peut-être un peu différent. On peut toujours rêver.

Et la culture, bordel !

Quoi qu’il en soit, le « statut des intermittents du spectacle » est sans doute un système qui génère beaucoup d’abus, qui peut et doit être amendé, réformé, mieux contrôlé. Mais faut-il pour autant – pour économiser des millions que l’on dilapide par ailleurs – jeter le bébé avec l’eau du bain, selon la bonne vieille méthode libérale, pour offrir un nouveau domaine, pourtant si précieux, à la seule logique du marché et des impératifs de rentabilité, à la seule loi du nombre ? Netflix plutôt que le ministère de la Culture ? La Bourse plutôt que le CNC ? Il sera pourtant toujours plus aisé d’avoir de l’influence sur les seconds que sur les premiers…

© Photo : En 2014 dans les rues du festival d’Avignon.

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